Jean Rhein, journaliste au Quotidien depuis 2004, est décédé dans la nuit de vendredi à samedi au CHL d’Esch, où il avait été hospitalisé. Notre journal perd un confrère estimé et le pays un intellectuel et penseur de gauche.
Mais que devient donc Jean Rhein ?» Cette question, les journalistes du Quotidien se la sont vu poser bien des fois ces derniers mois alors que la signature de notre confrère, disparu dans la nuit de vendredi à samedi, devenait plus rare dans nos colonnes.
C’est aussi la toute première chose que nous demandait François Biltgen en octobre dernier, lors d’une interview à la Cour de justice de l’Union européenne. Le magistrat européen et ancien ministre chrétien-social d’ajouter : «Vous le savez bien, nous n’avons pas tout à fait les mêmes opinions politiques, mais j’adore sa façon d’écrire, sa finesse d’esprit et son humour, sa culture en général et sa connaissance de l’histoire du Luxembourg en particulier.»
L’avis de François Biltgen était partagé par bien des personnes au Grand-Duché : responsables politiques de tous bords, syndicalistes, enseignants, chercheurs, journalistes et tous ces lecteurs du Quotidien qui, jour après jour, se délectaient de ses chroniques et articles dont la lecture laissait rarement indifférent.
Résolument engagé à gauche et doté d’une grande conscience sociale, Jean Rhein était un intellectuel connu et reconnu dans le pays.
Né le 3 juin 1955, il était enfant du Bassin minier. Habitant de longues années Belvaux, il était devenu ces dernières années citoyen d’Esch-sur-Alzette, ville où il avait effectué son cursus secondaire, au lycée de garçons. Il avait ensuite poursuivi des études d’économie à la Philipps-Universität Marburg avant de rejoindre l’Akademie für Gesellschaftswissenschaften de Berlin-Est, alors qu’il était membre du Parti communiste luxembourgeois qu’il quitta par la suite.
Bien des années après, il riait encore de la tête des policiers est-allemands qui l’interpellèrent un jour avec d’autres étudiants turbulents parmi lesquels figurait la fille d’Erich Honecker, dernier dirigeant de la RDA.
Féru de débats d’idées
Des anecdotes «people», il en avait quelques autres à raconter, Jean Rhein. Comme ce jour du début des années 80 où, parti à Paris en 2 CV avec un copain, ils déposèrent le ministre de la Culture Jack Lang à l’Élysée sous le regard et le salut martial des policiers en faction. Ces histoires, il se les rappelait avec régal et cet air un peu rebelle de gamin du sud du pays qui ne l’a jamais vraiment quitté.
En novembre 2004, il mit avantageusement sa plume au service du Quotidien après avoir officié plusieurs années à la rubrique économie du Tageblatt. Économie, politique, éducation, littérature, philosophie : Jean Rhein n’était étranger à aucun savoir, il était curieux de tout, même des religions, lui l’anticlérical patenté. Féru d’informatique et de nouvelles technologies, il avait investi les réseaux sociaux, s’en servant comme d’une tribune d’idées et de polémiques intellectuelles.
Il aimait partager ses connaissances dans ses articles et avec ses confrères plus jeunes du Quotidien pour qui il était une mémoire vivante, une boussole. Un doute, une question sur un événement passé, sur le parcours d’une personnalité ? Bien souvent, il avait la réponse qu’internet n’apportait pas.
Son érudition, Jean Rhein la tirait des livres qu’il dévorait par milliers. Il lisait presque tout ce qui était édité au Luxembourg : essais, romans, récits, etc. Ses lectures nourrissaient une rubrique quotidienne en dernière page de notre journal, «Luxemburgensia», dans laquelle le résumé d’un ouvrage devenait soudainement commentaire acerbe et amusé de l’actualité du jour.
Ces lectures étaient aussi permanente matière à débats d’idées, dans la rédaction du Quotidien et dans les cafés et tavernes d’Esch-sur-Alzette, où une nuit entière ne suffisait pas toujours à trancher des discussions passionnées et parfois houleuses. Car avec Jean Rhein, le débat d’idées pouvait glisser vers des colères grandioses, des coups de gueule légendaires. Mais tout cela finissait toujours par quelques tapes amicales dans le dos autour d’un verre.
Haro sur les «va-t-en-guerre»
Un exemple? Quand, en mars 2011, l’évidence d’une intervention militaire occidentale en Libye commençait à s’imposer, il s’emportait, en conférence de rédaction, contre les «va-t-en-guerre». Il martelait qu’il ne faut jamais souhaiter une guerre, qu’il ne faut jamais se réjouir du bruit des canons, qu’une guerre, quand bien même elle est dirigée contre un dictateur, n’apporte jamais rien de bon. La suite de l’histoire lui donna raison. Comme bien souvent.
Jean Rhein était pacifiste. Son pacifisme et son humanisme tenaient cependant moins de la posture intellectuelle que d’une nature profondément généreuse et fraternelle. Journaliste de valeur, Jean Rhein était aussi un collègue estimé et bienveillant, fidèle et serviable. Les qualités que l’on attend d’un ami.
Et des amis il en comptait d’innombrables. C’est de l’un d’eux, Jean Guth, que nous est parvenue samedi soir la funeste nouvelle de son décès. Par un message publié sur Twitter. Un message en luxembourgeois, aussi juste qu’émouvant : «D’Welt huet dëse Weekend ee fantastesche Mënsch, #Lëtzebuerg een exzellente Journalist a mär all ronderëm heen, een häerzensgudde Mënsch mat subtillem Humor, mat enger décker sozialer Oder an ee gudde Frënd verluer. Mär wäerten däin Droam realiséieren! #RIP #JeanRhein».
FG