Un documentaire retrace la vie du projet Hariko, installé dans le quartier de Bonnevoie de Luxembourg de septembre 2015 à fin 2018. Marianne Donven, à l’origine du projet Hariko, et Laetitia Martin, la réalisatrice du film, racontent.
«Ces deux projections m’ont un peu bouleversée…» Marianne Donven ne cache pas une certaine émotion en évoquant Hariko et le documentaire intitulé Hariko Monument – une histoire d’art et d’inclusion, réalisé par Laetitia Martin et projeté mercredi et jeudi derniers au Kinepolis Kirchberg. «Certains spectateurs avaient les larmes aux yeux, confie-t-elle. Certains n’avaient pas compris tout ce qu’on faisait à Hariko. Et d’autres nous ont demandé pourquoi un tel lieu n’existe plus en Ville»
En septembre 2015, bâtiment du 1 Dernier Sol à Luxembourg-Bonnevoie – qui abritait auparavant Sogel – reprend vie en accueillant le projet Hariko. Le «Gramsci Monument» réalisé par l’artiste suisse Thomas Hirschhorn dans le Bronx en 2013 est la principale source d’inspiration du projet Hariko, porté par Marianne Donven et la Croix-Rouge luxembourgeoise. La philosophie est simple : rendre l’art accessible à tout le monde. Hariko consiste à créer un lieu de création artistique, de réflexions et d’échanges. À travers des ateliers animés par des artistes, il offre un accès à diverses formes d’expression artistique à des jeunes âgés de 12 à 26 ans issus de milieux défavorisés, ainsi qu’à des jeunes attirés par le projet. Peintres, graffeurs, illustrateurs, danseurs…, au total une trentaine d’artistes – comme Sumo, Sophie, Medawar, Stick, Lucie Majerus, Victor Tricar, etc. – prennent part au projet dès le début et mènent des ateliers à destination des jeunes. Très vite Hariko compte plusieurs centaines de membres. «C’est une maison ouverte à tout le monde», rappelle Marianne Donven.
Au cours de l’année 2016, Laetitia Martin découvre Hariko. «À ce moment, je veux réaliser un pilote sur Sophie Medawar (NDLR : artiste plasticienne) dans le cadre d’un pilote sur des artistes féminines européennes, raconte la réalisatrice. Elle a son atelier à Hariko. Et là, j’arrive dans ce lieu… Un lieu authentique où on agit, un lieu qui permet de trouver le meilleur des gens. Un lieu qui remplit un rôle d’inclusion dans la société luxembourgeoise. À chaque fois, j’ai envie d’y retourner.»
«L’art par l’inclusion ou l’inclusion par l’art»
L’idée d’un documentaire s’impose très vite à Laetitia Martin. Elle pose sa caméra à Hariko et y filme la vie du lieu : «J’ai 1 000 heures de rushes…» «Des passerelles sociales se sont créées au Hariko, estime la réalisatrice. Hariko c’est l’art par l’inclusion ou l’inclusion par l’art. Les jeunes ont pu découvrir et connaître d’autres codes. Il y a eu des projets ambitieux qui ont été réalisés comme des pièces de théâtre ou des spectacles de danse. Il y a eu des vrais échanges entre les artistes et les jeunes de tous les horizons. J’ai aussi constaté que l’art pouvait entrer dans la vie et aussi être une question de survie.»
Au fil des ans, Hariko est un peu devenu «une maison de la cohésion sociale, un lieu de rencontres et d’échanges entre les jeunes qui arrivent et ceux qui sont déjà là, souligne Marianne Donven. L’art se prête bien à créer un espace de rencontre pour les gens de tous les horizons».
Mais l’une de ses caractéristiques dans l’acte de naissance de Hariko était son côté éphémère. Au départ, le bâtiment était laissé à disposition pendant un an. Mais de prolongation en prolongation de la mise à disposition du bâtiment, Hariko est resté à Bonnevoie jusqu’à la fin de l’année 2018. Et Laetitia Martin aussi. «Dès le départ, ma volonté était de rester jusqu’à la fin.» Et la réalisatrice a tout capté de ces derniers moments…. Après les deux projections de la semaine dernière au Kinepolis du Kirchberg, le documentaire Hariko Monument – une histoire d’art et d’inclusion (82 minutes) pourrait être prochainement projeté ailleurs dans le pays voire dans des écoles et peut-être ailleurs : «Le documentaire est là pour donner des idées à d’autres en Europe», estime la réalisatrice.
Aujourd’hui le projet Hariko est toujours présent dans le pays à Esch-sur-Alzette et à Ettelbruck (lire encadré), mais plus à Luxembourg. «La ville est un carrefour, souligne Laetitia Martin. C’est dommage que la capitale se prive d’un tel lieu unique. Un lieu de rendez-vous ouvert et chaleureux. Un lieu où on n’est pas en train de catégoriser ou d’orienter les jeunes. Un lieu de liberté.»
Guillaume Chassaing
Des «Maisons d’art» à Esch-sur-Alzette et Ettelbruck
Le Hariko de Bonnevoie a fermé ses portes fin 2018. Mais Hariko continue de vivre. Fin 2018, sept artistes se sont installés rue de l’Église à Esch-sur-Alzette dans deux anciennes maisons appartenant à la commune. Et depuis jeudi dernier, six artistes et deux éducateurs gradués ont pris possession du bâtiment situé au 2A rue des Arcades à Ettelbruck. Aujourd’hui, ces deux lieux ne s’appellent plus Hariko mais «Maison d’art». «Hariko est devenu un service au sein de la Croix-Rouge luxembourgeoise, explique Anne Braun, la chargée de direction de ce nouveau service et qui a pris la succession de Marianne Donven en novembre dernier. Mais le fonctionnement reste le même. Ces maisons d’art restent un lieu de partage, d’inclusion et d’échanges où les jeunes ne sont pas obligés de venir. Ils participent aux ateliers de manière volontaire, c’est un principe immuable.»
Et d’ici «la fin de l’été», les artistes basés rue de l’Église à Esch-sur-Alzette devraient déménager pour s’installer au Bâtiment IV, situé sur la friche industrielle d’Esch-Schifflange. «C’est un bâtiment de 3 000 m2 qu’on partagera avec d’autres associations comme l’ILL, Cueva ou encore le Cell. On va créer des synergies entre nous et ce sera un lieu important d’Esch 2022 (NDLR : capitale européenne de la culture), souligne Anne Braun. On aura un tiers de l’espace et on pourra accueillir 16 artistes en résidence.» La responsable indique encore que le service Hariko de la Croix-Rouge est actuellement «en discussion pour ouvrir une autre maison d’art dans l’est du pays à Echternach». Mais un retour à Luxembourg n’est (pour le moment?) pas d’actualité.