Laurence, Marthy Anne, Astrid et Jeanny ont fait le choix de la vie en communauté pour leurs vieux jours : elles confient leurs motivations en attendant, pour certaines, d’intégrer le tout premier projet de ce type au Luxembourg prévu en 2023 à Lorentzweiler.
Mes amis me disent « Mais tu es bien trop jeune pour ça, voyons ! »», s’amuse Astrid, 67 ans, future occupante d’un appartement en résidence participative. «Au contraire, il ne faut surtout pas attendre d’avoir 75 ans», rétorque-t-elle, «car on n’est plus assez en forme pour prendre activement part à la vie en communauté.»
Cette vie rythmée par le groupe, à l’opposé de la solitude qui les pèse dans leur maison devenue trop grande ou leur immeuble où personne ne connaît personne, les quatre seniors que nous avons rencontrées en rêvent. Après une vie bien remplie entre mari, enfants et travail prenant, elles aspirent aux activités communes et au partage d’expériences, bien loin des clichés barbants qu’on colle aux sexagénaires.
«J’ai habité en communauté par le passé et ce fut très enrichissant. Je rêve de retrouver cette atmosphère. J’ai été jusqu’à passer une annonce il y a quelques années pour tenter de trouver des gens motivés. En vain», raconte Jeanny, qui vit seule depuis maintenant 15 ans.
Mais plus pour longtemps, car cette ancienne institutrice va bientôt emménager, comme Astrid, à Lorentzweiler, grâce à un projet inédit (lire ci-dessous). Un vrai coup de chance : «J’habite cette ville et un jour, en me promenant, j’ai vu ce panneau devant une maison, qui annonçait un projet d’habitat participatif pour seniors. Je n’en revenais pas! C’est ce que j’ai toujours souhaité», sourit Jeanny, qui sera bientôt locataire d’un logement de 60 m2 pour un loyer mensuel de 1 500 euros.
Astrid, elle, aurait préféré la ville, mais elle a eu le coup de cœur en allant visiter l’impressionnante bâtisse aujourd’hui en travaux. Elle n’a pas hésité longtemps avant de signer pour l’achat d’un appartement de 66 m2 affiché à 560 000 euros. Un prix qui, elle le sait, n’est pas accessible à tous :
«C’est la réalité du Luxembourg. À ce jour, le cadre légal n’est pas adapté au fonctionnement en coopérative qui démocratiserait l’accès à ce genre d’habitation», regrette la présidente de Beienhaus, association qu’elle a cofondée dans l’espoir de faire bouger les lignes.
«Politiquement, rien ne se passe», pointe Laurence, qui dénonce au passage les difficultés pour obtenir un prêt quand on est une femme seule dans la soixantaine, et ce, malgré une situation favorisée. «Pourquoi ne pas ajouter d’office de l’habitat participatif pour seniors dans les nouveaux projets d’urbanisme ? Je pense au futur quartier Stade en ville qui serait parfait pour ça. Mais non, on préfère mettre les personnes âgées à l’écart», constate-t-elle, alors que, comme Marthy Anne, elle n’envisage pas de quitter la capitale et la vie de citadine. Du coup, les deux amies sont contraintes d’attendre encore un peu pour concrétiser leur projet de vie.
«On s’engage pour soi, et pour les autres»
«On doit arrêter de voir la vieillesse seulement comme un déficit. Nous avons beaucoup à offrir en expérience de vie, en savoirs et en compétences», s’insurge Marthy Anne, 66 ans, estimant que les seniors devraient être installés au milieu des autres habitants. Car pour cette ancienne infirmière qui a aussi dirigé une maison de retraite, une chose est sûre : «En vivant à plusieurs, on vieillit beaucoup mieux, parce qu’on évolue dans un environnement stimulant», explique-t-elle.
«Et c’est un plaisir aussi», renchérit Jeanny, alors qu’Astrid se remémore l’isolement qu’elle a ressenti lors du confinement : «J’étais bien, toute seule avec mon verre de vin dans mon immense jardin», ironise-t-elle.
D’où leur envie à toutes de s’engager, car c’est bien de ça dont il s’agit : «Dans une communauté participative, on réfléchit en groupe et pas de manière individuelle», prévient Laurence. «On décide de tout, ensemble», poursuit Astrid, indiquant que les six futurs occupants de la maison de Lorentzweiler se rencontrent tous les 15 jours depuis deux ans pour construire pas à pas leur projet de vie.
Indispensable pour anticiper les problèmes et jeter les premières bases de l’organisation quotidienne : «Il y a un tas de choses à gérer, la caisse commune, les déchets, l’entretien extérieur, le nettoyage des espaces communs, l’approvisionnement en produits et denrées, etc.», liste Jeanny. «On s’engage pour soi, et pour les autres. Il faut investir du temps, sinon la communauté ne vit pas», conclut-elle. Ce qui rebute beaucoup de candidats, reconnaît-elle.
En attendant la remise des clés de leur petit paradis prévue pour 2023, Astrid et Jeanny ont maintenant un an devant elles pour faire leurs cartons, entre nostalgie et furieuse envie de se lancer dans la dernière grande aventure de leur vie.
Emma Zimer aux manettes
Depuis 2016, avec sa société Nouma, cette jeune entrepreneuse basée à Esch-sur-Alzette impulse et accompagne les nouveaux projets d’habitat participatif, en particulier ceux dédiés aux seniors.
C’est elle qui a repéré en 2018 la Villa Lorenz, résidence où s’installeront bientôt Astrid et Jeanny (lire ci-dessus) à Lorentzweiler. Emma Zimer s’est lancée dans la création d’habitats participatifs pour seniors il y a cinq ans. Son job : réunir un groupe de personnes intéressées et les accompagner de A à Z au fil du projet pour créer une véritable dynamique entre ces futurs voisins. «Aucune communauté ne se ressemble», explique la jeune entrepreneuse. «L’habitat participatif, ce sont des gens qui décident de partager une partie des espaces et du quotidien en fonction de ce qui a du sens pour eux.»
Un mode de vie qui se multiplie en France, en Belgique ou en Allemagne, tandis que les pionniers se trouvent dans les pays nordiques, mais auquel le Luxembourg est encore assez hermétique : «D’abord, ce n’est pas simple de trouver la bonne tranche d’âge à cibler, car se lancer dans une telle aventure nécessite d’anticiper sa fin de vie et ça, c’est très délicat. Ensuite, c’est un phénomène nouveau donc ça peut faire peur», analyse l’experte.
Toutes les questions, même la plus taboue
Pour autant, elle n’a pas eu de mal à trouver les premiers candidats. À Lorentzweiler, ils sont déjà six à s’être engagés et à avoir posé les jalons, sous la houlette d’Emma, de ce qui constituera bientôt leur quotidien :
«Il y a une panoplie d’aides au fonctionnement qui existe. Par exemple, les futurs habitants créent une charte avec les valeurs et les objectifs du lieu. Ils décident eux-mêmes de la façon de sélectionner et accueillir les nouveaux habitants», détaille-t-elle, énumérant des questions auxquelles il faut répondre. «Comment utiliser les espaces communs? Que faire en cas de conflit ? Ils choisissent aussi le mode de gouvernance : qui prendra les décisions?».
Aucune interrogation n’est éludée, pas même la plus taboue : où s’arrête l’entraide? «Il est essentiel de se libérer l’esprit dès le départ. Chacun doit se prononcer sur le choix de sa fin de vie. En clair, à quel moment il faudra quitter la communauté», lance celle qui joue alors le rôle de facilitatrice.
«En général, la limite c’est la démence.» Les habitants peuvent par exemple décider de se plier à la décision que prendront pour eux leurs enfants en lien avec leur médecin le moment venu.
Un deuxième projet à Differdange
Alors que la Villa Lorenz, dont cinq logements sont encore disponibles, ouvrira ses portes en 2023 après avoir été transformée, un deuxième projet d’habitat participatif réservé aux seniors va voir le jour, à Differdange cette fois. Et là encore, c’est Nouma qui guide les parties prenantes étape par étape.
«Le terrain sera mis à disposition par la commune à travers un bail emphytéotique, ce qui fait de Differdange une pionnière en la matière au Grand-Duché. Six habitations sont d’ores et déjà projetées et le projet devrait être présenté officiellement cet automne. Il y aura alors un appel à candidatures», annonce la jeune femme.
Preuve que le modèle suscite un intérêt croissant, Nouma travaille désormais sur des habitats participatifs à composante sociale près de Wiltz, mais aussi à Vianden et Clervaux. Des rencontres ont aussi eu lieu récemment avec les autorités de Dudelange et Schifflange.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter quotidienne.