Fourmillant de photos, d’anecdotes et de recettes typiques, l’ouvrage collectif Gudden Appetit redonne vie à ce moment particulier du repas à l’usine et à la mine.
Quel meilleur endroit pour évoquer la gamelle des ouvriers que le réfectoire de l’ancien atelier central ? C’est là, au milieu des 65 hectares fantômes de l’usine d’Esch/Schifflange, que nous accueille Michel Feinen, président du DKollektiv et du FerroForum, deux associations dédiées au patrimoine industriel du Luxembourg.
Grâce à la collaboration de leurs équipes, le livre Gudden Appetit a pu voir le jour. En 145 pages, on (re)découvre en photos et en récits ce moment clé du quotidien des mineurs et des sidérurgistes qu’était le casse-croûte avec, en bonus, quelques recettes garanties 100 % authentiques : «spaghetti de la nonna Giulia», «tartine au Kachkéis de mon père», «pizza poubelle», «boudin façon atelier» ou «croque-monsieur à la Belval».
Un réjouissant et nostalgique mélange d’anecdotes, souvenirs et images d’un autre temps, tirés largement d’archives personnelles, concocté entre les deux anciennes usines de Dudelange et Schifflange, en passant par les jardins ouvriers. «À l’époque, on travaillait dur, dans la chaleur, dans le froid, dix, douze, seize heures par jour. Il fallait manger bien gras et consistant pour tenir. Et en même temps, il n’y avait pas vraiment de temps de pause, il fallait avaler son repas vite fait», raconte Michel Feinen.
«Selon l’époque, les salles de repos faisaient office de cantine, les femmes et les enfants apportaient la gamelle au père de famille aux portes de l’usine : on a voulu documenter tout ça», explique le trentenaire, tombé tout petit dans le chaudron de la sidérurgie. «Chez nous, les hommes ont travaillé à l’usine de Dudelange sur cinq générations. Je suis le premier à avoir pu faire des études. J’ai choisi l’art, mais ce monde a toujours fait partie de moi.»
Un lieu où vit la métallurgie
Cet attachement à la Forge du Sud pousse Michel Feinen à fonder le DKollektiv en 2016 : un groupe d’artistes qui réhabilite l’ancien atelier de locomotive sur le site du laminoir à Dudelange et en fait un espace vivant et créatif, en organisant de nombreuses animations ouvertes à tous.
Alors qu’aucune initiative de ce genre n’existe dans le pays, ils militent pour que ce lieu emblématique de l’histoire du pays ne soit pas oublié : «Malheureusement, le patrimoine industriel est souvent le parent pauvre des politiques culturelles. C’est le cas au Luxembourg : difficile de réhabiliter des usines en ruine qui portent encore les stigmates des luttes ouvrières perdues, qui sont associées à la pollution, etc. Et il ne suffit pas de les sauvegarder, il faut en faire quelque chose, imaginer de nouveaux usages.»
Alors que ces friches sont vouées à la démolition pour laisser place au futur quartier Neischmelz, le DKollektiv a récemment lancé une «rénovation participative» du bâtiment Vestiaires-wagonnage ou «Schmelzkéis» qui pourra lui servir de pied-à-terre durable et pérenniser son implantation au cœur du nouveau quartier.
Dans la même veine, Michel Feinen lance le FerroForum en 2019, projet en faveur de la création d’un «Centre du savoir-fer» qui soit lieu à la fois de rencontre, de documentation et de création, sur le site d’Esch/Schifflange cette fois. Une vision contemporaine des lieux sidérurgiques du passé qui tranche par rapport à l’approche classique qui consiste à en faire des musées : «Si on veut défendre et réintégrer ce patrimoine dans de nouveaux quartiers, il faut une mixité, des échanges, des activités qui soient tournées vers le voisinage. C’est ça le FerroForum : un lieu vivant, où on peut discuter, expérimenter, construire», insiste-t-il.
Pas comme à Belval où, selon lui, «les hauts-fourneaux servent de monument dans la cité, mais où il n’y a pas de lieu dédié au patrimoine vivant de la métallurgie, qui montre les métiers et le développement des technologies, allant des bas-fourneaux des Celtes jusqu’à l’impression de l’acier en 3D. C’est ce qu’on tente de faire ici.»
En attendant l’année culturelle 2022 et la concrétisation des nombreux projets imaginés par l’équipe du FerroForum, le public peut déjà en avoir un aperçu en participant à l’un des tours guidés proposés une fois par mois jusqu’en septembre. Au programme, quatre heures de balade passionnante à travers les décors rouillés de l’usine d’Esch/Schifflange, indications techniques et récits historiques inclus.
Pour commander le livre, s’inscrire à l’un des tours guidés à venir ou devenir bénévole, connectez-vous sur ferroforum.lu
La recette du «brustulin» de nonna Dina
Parmi les recettes familiales ou insolites figurant dans le livre Gudden Appetit, voici celle des boules de polenta fourrées au gorgonzola de Dina Beacco, la grand-mère de Luisa, l’une des contributrices. Appelée «brustulin», cette spécialité est presque exclusivement localisée dans les villages de la commune de Tramonti di Sotto (nord-est de l’Italie). Son nom vient du dialecte frioulan et du verbe «abbrustolire», qui signifie griller.
Pour quatre boules, vous aurez besoin d’une polenta, réalisée selon la préparation de base, et de 180 grammes de gorgonzola. Avant de démouler votre polenta, à la fin de la cuisson, prélevez une bonne dose de polenta chaude, de la taille d’un poing. Aplatissez un peu et placez 45 grammes de fromage au milieu. Refermez en façonnant une belle boule. Répétez trois fois.
Dans une poêle chaude avec un peu de beurre, placez les boules de polenta et faites griller jusqu’à l’apparition d’une belle croûte dorée (environ 10 minutes). C’est prêt! Savourez votre «brustulin» en l’ouvrant en deux, accompagné d’un mesclun et d’un verre de merlot.
Luisa se souvient de sa nonna manipulant la polenta brûlante sans ciller, avant de disposer les boules sur la plaque en fonte de la cuisinière à bois où elles étaient retournées régulièrement jusqu’à ce que le fromage à l’intérieur soit fondu. Elle utilisait du Montasio, un fromage typique frioulan.
Christelle Brucker