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Grand-Duc Jean : «Ce décès marque la fin d’une époque»


«Jang», comme l'appelaient affectueusement les Luxembourgeois, était apprécié pour son intégrité et sa sincérité. (photo Hervé Montaigu)

Les drapeaux sont en berne, comme le cœur des Luxembourgeois qui viennent de perdre un ancien souverain tant aimé. Le choc de l’annonce passé, ils livrent souvenirs et anecdotes personnelles qui les relient à leur «Jang».

«De Jang ass gestuerwen!», m’interpelle une de mes voisines mardi matin. Jean est décédé. L’annonce n’a surpris personne, mais elle a sonné les Luxembourgeois. Passé le choc de l’annonce, les langues se délient. Si pour certains, le décès du Grand-Duc Jean laisse indifférent, d’autres ont l’impression d’avoir perdu un membre de la famille, ce grand-oncle éloigné, mais tout de même à l’écoute et bienveillant, qu’on appelle par son prénom en lui vouant un grand respect.

À l’image de cet inconnu planté, seul et immobile, place Clairefontaine, près de la statue de la Grande-Duchesse Charlotte, pendant tout le quart d’heure qu’ont retenti les cloches de toutes les églises du pays. Les larmes aux yeux, trop ému pour expliquer son geste, il a pris le temps de s’arrêter pour se recueillir en toute sincérité et pour des raisons qui lui sont propres, au milieu d’un ballet de touristes et de fonctionnaires en pause déjeuner. La vie suivait son cours.

«C’est la fin d’une époque, m’avait dit ma voisine. Les jeunes ne savent plus pourquoi « Jang » est si aimé des Luxembourgeois. Il a régné à une époque importante pour le pays. C’est triste, mais même si on aime le Grand-Duc Henri et ses enfants, ce n’est pas pareil.»

Un avis partagé par les Luxembourgeois croisés dans les rues de la capitale mardi. «C’était notre Grand-Duc. Il va nous manquer. C’est une grande perte, mais c’est normal de mourir à son âge, pense Willy, 76 ans. Il aura vécu 98 ans et aura eu une vie bien remplie au service de son pays, en pensant aux autres, en ne se mettant jamais en avant.» Chantal, 64 ans, promène son chien sans entrain : «On a grandi avec le Grand-Duc Jean et sa mère la Grande-Duchesse Charlotte. Je les ai toujours connus. Il était bon comme elle.» Chantal se doutait de l’issue fatale de son hospitalisation : «Une pneumonie à cet âge, cela ne pardonne pas.»

«Jang», comme l’appelaient affectueusement les Luxembourgeois, était apprécié pour son intégrité et sa sincérité. Les hommages individuels et personnalisés ont fleuri sur les réseaux sociaux. La peine est grande, les smileys qui pleurent ont remplacé les pouces bleus. La peine est grande et moins discrète que dans la rue.

«J’aime cette famille, ça vient du cœur»

Mardi à midi, lors de l’office en la cathédrale Notre-Dame, les fidèles ont prié pour l’ancien Souverain. Dans un peu moins de deux semaines, elle accueillera ses funérailles. Cérémonie que ne manquera pas Heidi, patronne du Bistrot de la presse juste en face du Palais grand-ducal, depuis 1998. «Ma fille m’a annoncé la nouvelle ce matin, j’étais sous le choc», indique-t-elle, les yeux embués de larmes. «On s’attendait à son décès, mais je croyais qu’il allait s’accrocher comme par le passé. Il ne l’a pas fait.»

Heidi, 67 ans, porte la famille grand-ducale dans son cœur au point d’avoir tapissé les murs de son établissement de photographies et de tableaux des membres de la famille grand-ducale, toutes générations confondues. «J’ai toujours aimé cette famille depuis que je suis arrivée au Luxembourg en 1972. Je ne parviens pas à l’expliquer, ça vient du cœur, explique-t-elle, c’est ma famille, mon grand-père, ma grand-mère, mes frères et sœurs…»

Pour Josy, un ancien de la garde grand-ducale alors que le Grand-Duc Jean était colonel, âgé de 78 ans, «un bon Luxembourgeois soutient sa monarchie, sinon ce n’est pas un bon Luxembourgeois». L’homme est catégorique. Pierre, quant à lui, se souvient de la libération de Luxembourg : «Le Grand-Duc Jean est une partie de ma vie. J’étais tout gamin quand il est arrivé sur son char. Sa maman a joué un rôle important. Tout le monde n’a pas compris sa décision de s’exiler pendant la guerre, mais c’était la bonne décision.»

Le Grand-Duc Jean est indissociable de sa mère dans l’esprit des Luxembourgeois. Il a suivi ses traces. «Certains pays seraient contents d’avoir des souverains à la hauteur des nôtres», affirme fièrement Josy. Des qualités qui semblent être reconnues au-delà de notre frontière – à moins que ce ne soient les liens familiaux avec la monarchie belge – puisque la chaîne de télévision publique belge RTBF et la chaîne privée RTL-TVI avaient dépêché mardi des journalistes devant le Palais grand-ducal. Le décès de l’ancien monarque a d’ailleurs fait l’ouverture de leurs journaux de la mi-journée.

La preuve que «Jang» était aimé, s’il fallait encore le démontrer, n’est plus à faire. Les Luxembourgeois auront encore l’occasion d’exprimer cet amour dans les prochains jours.

Sophie Kieffer