Un glissement de terrain est survenu le week-end dernier sur le terroir Kreitzberg à Remerschen. Plusieurs vignes ont été touchées, dont celle qui produit le pinot noir Ma Tâche d’Henri Ruppert. Un crève-cœur.
Normalement, le Kreitzberg est un endroit magnifique. Au pied de la croix blanche plantée en haut du coteau, non loin de l’éolienne et du château d’eau que l’on voit au loin, le panorama sur la Moselle et les étangs de Remerschen est spectaculaire. Lorsque l’on s’y promène, en regardant bien, on y trouve quantité de fossiles de coquillages marins. Preuve qu’il y a bien longtemps, le paysage était ici occupé par des lagons tropicaux peu profonds. Mais aujourd’hui, lorsque l’on balaye le cadre d’un coup d’œil, ce n’est pas la joie qui prédomine. À mi-pente de ces coteaux qui frisent les 35° d’inclinaison, environ 25 ares (2 500 m²) de vignes ont glissé sur une dizaine de mètres, jusqu’à complètement couper la route qui file en contrebas.
La plupart des vignes qui ont dégringolé sont travaillées par Henri Ruppert (domaine Henri Ruppert, à Schengen) et cette parcelle est un de ses joyaux : il y produit un vin rouge magnifique, Ma Tâche, l’un des meilleurs du pays. «Ce sont des pieds de pinot noir fin qui viennent d’un pépiniériste de Pommard (NDLR : en Bourgogne), une qualité extra qui produit des petits grains de raisin formidables», souligne-t-il. En fait, il s’agit de la même variété de pinot noir que sur le climat de La Tâche, à Vosne-Romanée, propriété de la Romanée-Conti (d’où le jeu de mots sur le nom de la cuvée). Le Ma Tâche d’Henri Ruppert est donc un de ses fleurons, qu’il garde plusieurs années en cave avant de mettre sur le marché. Une bouteille à 50 euros tout de même. «Ce glissement de terrain va me coûter 25 000 euros de vente par an, soupire Henri Ruppert. Et lorsque les dommages seront réparés, je serai pratiquement en retraite…»
Attristé, le vigneron n’est toutefois pas surpris par ce qui vient d’arriver. «La vigne au-dessus bouge depuis 2018, explique-t-il, fataliste. Il n’y avait pas grand-chose à faire, juste à attendre que tout tombe…» Il y a trois ans, il avait déjà été contraint de replanter 9 lignes de ceps.
Le plus étonnant, c’est que le Kreitzberg a été remembré récemment, il y a un peu plus de dix ans. On n’aurait donc pu s’attendre à ce que les travaux empêchent un tel accident. «C’est vrai, mais on sait depuis toujours que ce terroir est sujet aux glissements de terrain, relativise Henri Ruppert. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été remembré. Si cela n’avait pas été fait, il n’y aurait que des friches maintenant. À plusieurs endroits, lors du remembrement, on avait cassé cette couche d’argile à la pelle mécanique pour disposer de grosses pierres qui permettent le drainage de l’eau. Malheureusement, ça n’avait pas été fait partout. Et pas sous ma vigne…»
À cause de l’argile
Si le sol est ici instable, c’est parce qu’une couche d’argile imperméable empêche l’eau de pénétrer profondément sous la terre. Lorsqu’il pleut beaucoup, l’eau glisse au sommet de cette strate et entraîne la terre arable qui se trouve au-dessus. Le week-end dernier, à cause de la pluie mais aussi de la configuration du terrain, cette fameuse ligne de fracture s’est donc ouverte. «Elle a créé une dépression de 5 m de haut», a compté le vigneron. La masse de terre – difficile d’en estimer le volume – a glissé, emportant tout avec elle (terre arable, ceps…) allant jusqu’à plier certains piquets en acier.
Que va-t-il se passer désormais ? A priori, les travaux de remembrement étant garantis dix ans et les premiers dégâts ayant été constatés en 2018, le vigneron ne devra pas payer le réaménagement. Il faudra ensuite déterminer précisément la superficie qu’il faudra refaire, vraisemblablement autour d’un demi-hectare. «J’espère que ces travaux seront réalisés cet hiver et que je pourrais replanter au printemps prochain», avance-t-il, relativement optimiste. Ce qu’il sait déjà, c’est que ces ceps précieux sont de toute façon perdus. «Il est impossible de les récupérer pour les replanter. Ils ont été mis en terre en 2013 et les racines sont déjà très longues. Il faudrait garder quelque chose comme un demi-mètre cube par pied, personne ne fait ça…»
Ceux qui ont encore du Ma Tâche en cave doivent désormais considérer ces bouteilles comme des reliques. Le 2018, lui, sortira prochainement. Trois millésimes mûrissent donc encore dans la belle cave d’Henri Ruppert, véritable phare planté sur le Markusberg, à Schengen. La pénurie n’est donc pas pour tout de suite, mais elle surviendra inéluctablement…
De notre collaborateur Erwan Nonet
Le domaine Claude Bentz, voisin, va tout arracher
En 2009, Carole Bentz a rejoint son père (Claude) et le moins que l’on puisse dire, c’est que la succession ne s’effectue pas dans la plus simple des époques. Le covid qui survient alors que la maison investit dans la construction d’une extension à sa cave, la météo difficile qui commence à abîmer les petites baies en formation… et le glissement du terrain du Kreitzberg.… «Nous sommes voisins d’Henri Ruppert et une parcelle de pinot gris a partiellement glissée, souffle-t-elle. En ce moment, ce n’est pas très gai…»
Le domaine Claude Bentz a pourtant choisi de tourner cet évènement malheureux à son avantage. «Puisqu’il va falloir refaire cet endroit, nous avons décidé de tout arracher après les vendanges pour planter du pinot noir à la place du pinot gris», assure-t-elle. Une idée judicieuse : non seulement Henri Ruppert a montré que ce cépage s’y épanouissait parfaitement, mais le domaine n’en possède que très peu : les premiers plants ont été mis en terre l’an dernier sur le Naumberg (Bech-Kleinmacher). Carole Bentz compte en tirer un vin rouge, mais le pinot noir est également très intéressant dans le crémant. Or la maison a produit sa première cuvée l’an dernier, une telle réussite qu’il est en rupture de stock pour une quinzaine de jours encore.
Que d’eau, que d’eau…
Globalement, la Moselle ne s’est pas mal sortie du déluge de ces derniers jours La station météo de Remich a toutefois enregistré pour la seule journée de jeudi 70 litres d’eau par mètre carré lorsque la moyenne pour tout un mois de juillet est de 64 litres (sources : agrimeteo.lu). À la moitié du mois, 137 litres d’eau par m² ont déjà arrosé la région. «C’est inhabituel, confirme le chef du service Viticulture de l’Institut viti-vinicole de Remich, Serge Fischer. L’été, nous avons surtout des pluies d’orage intenses mais courtes. Mais là, il a plu pendant très longtemps sans discontinuer.»
Si les précipitations du mois de juin ont été conformes aux moyennes (67 litres par m²), le mois de mai a été très humide également (105 litres par m² au lieu de 71, soit une augmentation d’environ 35%).