Les nuits de mercredi et de jeudi ont été très froides, le mercure affichant des températures négatives. Mais, selon les premières constatations, les dégâts seraient minimes. À quelques jours près, le bilan aurait été complètement différent…
Jeter un œil dans les archives permet de se rendre compte que l’on n’avait jamais évoqué le risque de gelées tardives aussi tôt dans l’année. En 2019, le coup de froid qui avait coûté 40 % de la récolte était survenu dans la nuit du 4 au 5 mai. En 2017, c’était le 17 avril. Le 23 avril en 2016. Les 17 avril et 17 mai en 2012.
Voilà une preuve de plus, s’il en était besoin, de la réalité du réchauffement climatique. Car, paradoxalement, c’est bien parce qu’il fait plus chaud que les gelées risquent d’être plus dévastatrices dans les vignes, et pour une bonne partie de l’agriculture en général. Qu’il gèle en avril n’a rien d’incroyable, c’est même la norme. Le yo-yo des valeurs climatiques, lui, l’est. Particulièrement les records de chaleur observés juste avant cet épisode glacé. Voir le thermomètre monter jusqu’à 25 °C le 31 mars (source : ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural), c’est observer une marque jamais vue depuis 1838, année des premiers relevés météorologiques. Les scientifiques fixent d’habitude le début de l’été à la première journée dépassant les 25 °C. Une norme qui devient donc caduque…
Des hivers plus doux, des printemps précoces et chauds : voilà une situation propre à élever le niveau de stress des vignerons car, portée par des conditions atmosphériques favorables, la vigne se relance de plus en en plus tôt. Traditionnellement, on observait la sortie des premiers bourgeons autour de la fin avril sur la Moselle. Mais on constate que la vigne se hâte de plus en plus : 25 avril en 2016, 17 avril en 2017, 23 avril en 2018, 4 avril en 2019, 7 avril en 2020 et à peu de chose près la même chose cette année. Or plus le verdissement des coteaux est précoce et plus le risque de voir une gelée anéantir la récolte est grand puisque, même si elles sont moins sévères que dans le passé, des températures justes en dessous de zéro suffisent pour brûler les jeunes pousses. Que le réchauffement amène un accroissement du risque de dégâts causés par le gel est paradoxal, mais bien réel.
Les saints glace sont encore loin
La chance des vignerons luxembourgeois, cette année, est que les bourgeons n’en sont qu’au stade de la pointe verte. Ils viennent de sortir de leur gangue cotonneuse et l’œil gonfle et s’allonge. Une petite pointe verte devient visible, il s’agit des premières feuilles qui s’apprêtent à se dérouler. «La vigne est sensible au gel à ce stade, mais elle est tout de même plus résistante qu’au stade suivant, la sortie des feuilles», explique l’œnologue conseil des vignerons indépendants, Jean Cao. À quelques jours près, l’ambiance ne serait pas la même…
Prudent, Jean Cao ne veut toutefois pas se réjouir trop vite : «À première vue, je n’ai pas remarqué de dégâts énormes là où je suis passé, mais il faudra confirmer ces observations la semaine prochaine. Il est difficile de constater d’éventuelles brûlures sur les bourgeons qui ne sont pas encore complètement verts. Ce n’est que dans les prochains jours que l’on verra si leur croissance est normale ou si le froid a touché les organes des pousses.» Ceci dit, poursuit-il, «même si cela aurait été mieux que le froid survienne lorsque les bourgeons étaient encore dans le coton, il y a de grandes chances pour que l’on n’ait pas trop à se plaindre».
Il ne faut cependant pas se réjouir trop tôt. Comme nous l’avons déjà dit, cet épisode est extrêmement précoce et les risques de gelées ne sont pas écartés pour les prochaines semaines. Après tout, les saints de glace (Mamert, Pancrace et Servais) se célèbrent les 11, 12 et 13 mai.
En France, une vraie catastrophe
C’est bien simple, pratiquement toutes les régions viticoles françaises ont été touchées par les deux nuits de gel, mercredi et jeudi. Jusqu’à -8 °C en Champagne, -7 °C dans l’Aude, -6 °C dans le Bordelais, -5 °C à Chablis, -4 °C dans le Saumurois… Il est très tôt dans la saison mais certains vignerons savent déjà qu’ils ne récolteront rien.
«C’est un carnage! Jusqu’à 100 % des vignes ont été impactées dans certaines zones. C’est historique», soufflait ainsi sur France 3 Frédéric Rouanet, président du syndicat des vignerons de l’Aude. Dans le Bordelais, de grands moyens ont été déployés pour tenter d’éviter le pire, jusqu’à l’installation d’éoliennes et la sortie d’un hélicoptère pour brasser les couches d’air. En vain, le plus souvent. «C’est un peu une catastrophe, il n’y a pas de zones épargnées, il faut voir comment la nature va réagir», avançait Mayeul L’Huillier, directeur du syndicat des vins de Graves, pour le magazine Le Point.
En Bourgogne, «c’est un désastre» constate Hervé Bianchi, en charge des dégustations au sein du BIVB (Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, également recueilli par Le Point). En Champagne, «sur les chardonnays, on a pris une grosse claque, commentait Thomas Porignaux, de la station œnologique d’Épernay pour Le Point. En revanche, pour les cépages noirs, le cycle végétatif n’était pas très avancé, on aura moins de dégâts».
Toutes ces régions ont sorti l’arsenal complet pour la lutte contre le gel : bottes de foin enflammées et bougies (non autorisées au Luxembourg), aspersion d’eau (pour qu’une coque de glace à 0 °C protège le bourgeon, effet igloo), éoliennes pour mélanger les masses d’airs chauds et froids… mais rien n’y a fait. Lorsque les températures sont trop basses, c’est la nature qui dicte sa loi.
«Cette fois, c’est nous qui avons eu de la chance»
Avez-vous constaté des dégâts dans vos vignes?
Nicolas Schmit (Maison viticole Schmit-Fohl, à Ahn) : J’y étais tôt ce matin (NDLR : jeudi) pour installer des raks (NDLR : des dispositifs qui libèrent des phéromones de papillons, permettant de se passer d’insecticide) et je n’ai rien constaté. Même les bourgeons qui se trouvent juste à côté des fils de fer, les endroits les plus froids, n’ont pas l’air d’avoir souffert. Je crois qu’on s’en est bien sorti.
À quelques jours près, ça aurait été plus grave?
La plupart des bourgeons sont au stade de la pointe verte, certains ont commencé à s’ouvrir un tout petit peu. Il est clair que si les premières feuilles avaient été étalées, il y aurait eu de gros dégâts. C’est ce qui s’est passé dans le Bordelais ou le sud de la France, notamment. Ils ont parfois déjà trois feuilles, un premier traitement… Pour eux, c’est vraiment grave. Cette fois, c’est nous qui avons eu de la chance!
Même vos vignes les plus exposées semblent intactes?
Les parcelles les plus sensibles sont aussi celles où sont plantés les cépages les plus tardifs donc ça va. Ce matin, je suis allé voir les chardonnays et les muscats, qui sont les variétés les plus avancées dans leur végétation et donc les plus fragiles, ils vont bien. Je suis assez confiant, d’autant que la semaine prochaine devrait être un peu plus chaude. La météo prévoit un peu d’humidité, mais tant que les températures restent positives, ça ira.
Entretien avec E. N.