Ces 15 derniers jours, les vignerons européens se sont démenés pour éviter les dégâts causés par les gelées nocturnes, mais avec bien peu d’efficacité. Le Luxembourg a choisi une approche totalement différente et plus avantageuse pour les vignerons.
Début mai 2019, une grande partie des vignes d’Yves Sunnen (domaine Sunnen-Hoffmann, à Remerschen) avaient pris le gel en pleine figure au plus mauvais moment. À l’époque, il avait dû ressentir les mêmes émotions que celles des vignerons français, espagnols, italiens ou allemands soufflés par les dégâts provoqués par la vague de froid de ces deux dernières semaines.
Jusqu’à présent, le pionnier du bio sur la Moselle constate avoir été, comme ses collègues luxembourgeois, assez épargné par cet épisode climatique. «J’ai quand même remarqué que les jeunes plants de chardonnay, le cépage le plus précoce, avaient un peu souffert… Mais ce n’est pas comparable à 2019, heureusement!» Il sait cependant que tous les risques ne sont pas écartés. «Nous entrons dans la zone critique, avance-t-il. Avec le redoux, les feuilles vont sortir ces prochains jours dans toutes les vignes et elles vont être très fragiles. Les saints de glace sont dans un mois (NDLR : 11, 12 et 13 mai), cela promet d’être stressant…»
Pour lutter contre le gel, contrairement aux régions viticoles étrangères, on n’a pas vu au Luxembourg des vignes illuminées par des milliers de bougies. Pourquoi? Parce que leur usage est interdit. Un état de fait qui, finalement, a du sens. Ces systèmes peuvent être utiles si les températures flirtent avec zéro. Mais avec les -7 °C, voire -10 °C qu’ont connus certains vignobles étrangers ces jours-ci, elles sont inutiles.
Et leur impact environnemental n’est pas anodin. Le 8 avril, le bassin lyonnais est ainsi entré en vigilance jaune pollution à cause des particules fines, conséquence des feux allumés par les arboriculteurs et les viticulteurs. Un voile gris à noir était visible dans tout le sillon rhodanien. Dans la vallée de la Loire, non loin de Nantes, Ouest-France rapporte même que la fumée dégagée a provoqué un accident de la route.
Subventionner les primes d’assurance
Yves Sunnen n’est de toute façon pas convaincu par l’efficacité qu’auraient ces méthodes au Luxembourg. «La topographie ici, où les petites vallées se succèdent, rend l’utilisation de ces systèmes très compliquée. Installer 400 bougies par hectare dans une vigne avec 40 % de pente, ce n’est pas facile et cela prend du temps!» Les récentes gelées tardives sur les rives de la Moselle ont, de surcroît, montré l’imprévisibilité des zones impactées. «Si j’avais dû allumer des bougies en 2019, je les aurais mises dans les vignes en fond de la vallée, pas sur les coteaux qui sont généralement moins fragiles. Or, ce sont celles dans les pentes qui ont le plus souffert…» Un constat qui a valu pour toute la Moselle cette année-là, stupéfiant l’ensemble de la profession.
C’est à se demander s’il y a vraiment moyen de lutter efficacement contre ces gelées… Jusque dans les années 1980, un système d’aspersion d’eau était installé à Remerschen (et dans quelques autres secteurs de la Moselle). Le cocon de glace qui se forme autour des bourgeons et des feuilles protège efficacement contre les températures critiques (effet igloo). On en voit toujours les reliques que sont le grand bassin d’eau au sommet du Felsberg et les canalisations en sortie de forêt. Mais alors que les gelées se raréfiaient, l’appareillage a été démonté. Les vignerons parlent-ils de remettre en place de telles infrastructures? «On en revient au même problème : pour bien se protéger il faudrait en mettre partout et c’est impossible.»
Ces efforts visant à lutter contre les risques nés du dérèglement climatique (avec les chaleurs de fin d’hiver, la vigne se réveille de plus en plus tôt) illustrent aussi une certaine vanité. Ces évènements sont amenés à se répéter et il n’y a pas grand-chose à faire pour contrer la nature…
Les choix du Luxembourg sont, à ce titre, intéressants. Plutôt que d’autoriser les vignerons à utiliser des moyens à l’efficacité relative, le Grand-Duché préfère les aider à payer les primes d’assurances qui leur permettront de maintenir leur entreprise à flot en cas de coup dur (lire par ailleurs). «L’État subventionne le coût de l’assurance à hauteur de 65 %, indique Yves Sunnen. C’est une chance que mes copains français et allemands n’ont pas, ce qui les empêche de s’assurer…»
«Presque tous les vignerons sont assurés»
Plutôt que d’autoriser la mise en place de systèmes de lutte contre le gel, l’État a choisi de soutenir financièrement les vignerons pour qu’ils soient bien assurés. Pourquoi?
Serge Ficher (chef du service viticulture de l’Institut viti-vinicole, dépendant du ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural) : Cette philosophie se place dans un cadre plus large, qui concerne toute l’agriculture et pas uniquement la viticulture. L’État prend en charge 65 % du montant des primes d’assurances qui couvrent les risques climatiques (gel, tempête, grêle, verglas, excès d’eau, sécheresse, inondations, vague de chaleur…), les maladies animales et les organismes nuisibles aux végétaux. Les agriculteurs – et les vignerons – doivent faire leur demande avant le 31 décembre et l’assureur envoie deux factures : l’État en reçoit une de 65 % du montant et l’exploitant règle celle de 35 %. La subvention étatique est plafonnée, mais elle est largement suffisante pour être bien assuré.
Quels sont les avantages d’un tel système ?
Grâce à cette aide, presque tous les vignerons professionnels sont assurés, ce qui est loin d’être le cas dans les autres pays. En cas de coup dur, la santé financière de leur entreprise est donc assurée. D’ailleurs, 65 % c’est le taux maximum autorisé par l’Union européenne. Cette façon de faire présente un autre intérêt : elle est simple à mettre en place. L’Europe a établi des règles mais elles sont très compliquées. L’article indique que l’aide peut être octroyée si l’évènement climatique, la maladie ou le parasite détruit, je cite : « plus de 30 % de la production annuelle moyenne de l’agriculteur au cours des trois années précédentes ou de sa production moyenne triennale calculée sur la base des cinq années précédentes, en excluant la valeur la plus élevée et la valeur la plus faible ». Il faut faire le calcul pour chaque exploitation, c’est un peu l’usine à gaz…
Ces contrats d’assurance sont-ils souscrits auprès des assureurs classiques ?
Plus maintenant parce qu’il y avait un problème de personnel au niveau des expertises. Au Luxembourg, tout le monde se connaît et cela peut poser problème. Désormais, 99 % des vignerons luxembourgeois sont assurés par une société allemande spécialisée dans les risques agricoles, la Vereinigte Hagel. Les experts sont des vignerons allemands spécialement formés qui travaillent bien, maîtrisent le contexte et ne connaissent personne ici. Leurs expertises sont donc inattaquables. Un autre assureur, français celui-là, est également présent au Luxembourg. Mais il est extrêmement minoritaire.
Ces dernières années ont vu une nette augmentation d’épisodes climatiques causant de sévères pertes aux vignerons (2012, 2016, 2017, 2019…). Ont-elles des effets sur le montant des primes ?
La franchise a effectivement augmenté, mais pas au point de remettre en cause l’intérêt d’être assuré. Notamment grâce aux 65 % d’aides de l’État. Avec le dérèglement climatique, les risques climatiques augmentent et, face à cela, seules les assurances peuvent aider efficacement les exploitations. On voit bien que malgré l’énorme travail des vignerons dans les autres pays européens pour tenter de sauver leurs récoltes, les pertes seront considérables… Sans compter que tous ces feux ne sont pas sans effet sur le plan environnemental.
En 2019, l’ensemble du vignoble a été durement touché. Combien cette gelée a coûté aux assureurs ?
C’est confidentiel, mais c’est une somme qui se compte en millions d’euros. Seules les assurances peuvent aider efficacement les exploitations.
De notre collaborateur, Erwan Nonet