Des agents de sécurité patrouillent depuis un mois dans les rues de la capitale. La polémique semble avoir fait place à l’apaisement à force d’explications et de garanties fournies.
Les quartiers autour des gares sont bien souvent des quartiers dits plus ou moins «chauds». Ils ont en commun, en plus d’être des points de départ, de concentrer la petite et grande délinquance et la criminalité. Luxembourg-Ville n’est pas épargnée. Habitants, administration communale et force de l’ordre se débattent avec l’insécurité engendrée par ces phénomènes. A eux seuls, les quartiers de la Gare, de Bonnevoie et de la Ville-Haute concentreraient 40% de la criminalité recensée au niveau national, annonçait, chiffres à l‘appui la bourgmestre de Luxembourg Lydie Polfer, lors d’un conseil communal au début du mois de décembre dernier. Les riverains saturent depuis longtemps même s’ils continuent de dénoncer et d’attirer l’attention sur la situation. Un sentiment d’impunité se fait jour face à l’impuissance des forces de l’ordre à la juguler. Les renforts de police affectés il y a un an dans quartier se sont révélés insuffisants.
Lasse de cette situation qui perdure depuis des années, la Ville de Luxembourg a décidé de faire cavalier seul et de prendre les choses en main elle-même en s’adjoignant les services d’une société de gardiennage. Une motion votée au conseil communal demandant aux édiles d’agir une bonne fois pour toute en interpellant le ministre de la Sécurité intérieure, Henri Kox, pour lui demander un renforcement des patrouilles de police à pied dans le quartier et de leur adjoindre des chiens de détection des drogues a précipité les choses. Ou plutôt l’absence de réaction du ministre. Trois patrouilles de deux agents patrouillent à la gare et au centre-ville depuis décembre 2020. Leur action est prévue jusqu’au 31 janvier avant d’être réévaluée et éventuellement reconduite.
Il n’en a pas fallu plus pour mettre le feu aux poudres et cristalliser, une fois de plus, l’attention autour du quartier de la gare. Interrogé par RTL, le ministre a qualifié la démarche d’illégale avant de se rétracter et de certifier que la Ville de Luxembourg était dans son bon droit d’avoir recours à des agents de sécurité pour assurer une présence dissuasive à l’égard d’auteurs d’infractions et d’incivilités. Trop tard, la polémique était lancée. L’opposition au sein du conseil communal de la Ville l’a rattrapée à la volée. Déi Lénk en a appelé au juge administratif et à la ministre de l’Intérieur de faire annuler cette mesure, forçant la bourgmestre à se justifier une fois de plus. Differdange depuis 18 mois, Ettelbruck et Echternach auraient, elles aussi, déjà opté pour cette solution. Il s’agit d’une partie d’une solution globale qui peine à venir, décidée dans le cadre de l’autonomie communale pour mettre un terme à l’inertie. Outre la police, dont les agents seraient lassés d’interpeller les mêmes individus encore et encore, cette solution devrait également concerner la justice et l’immigration, estime la bourgmestre Lydie Polfer. De plus, la Ville a déjà opté pour cette solution pour assurer la sécurité dans le parc, ainsi qu’au marché de Noël et à la Schueberfouer.
Les Pirates s’interrogent
Alors que la polémique battait son plein, le parti Pirate s’en est mêlé en posant une question parlementaire aux ministres de la Sécurité, de la Justice et de l’Économie. La réponse vient d’arriver. Les pirates souhaitaient notamment connaître les droits et les devoirs des employés de ces entreprises de sécurité ou de gardiennage. A savoir, s’ils peuvent se substituer à la police ou encore s’il existe des critères d’embauches et quels sont les «objets» que ces agents peuvent utiliser en cas d’agression. Dans leur réponse, les ministres ont une nouvelle fois répété que les agents ne pouvaient pas se substituer à la police et que leur champ d’action se limitait à celui de chaque citoyen. Soit prévenir les forces de l’ordre et retenir une personne en cas d’infraction ou de flagrant délit d’un fait passible d’une peine et réagir en cas de légitime défense. Pas question de fouiller une personne suspecte ou de jouer au «shériff». En cas de danger, les employés des sociétés de gardiennage sont tenus de faire appel à la police.
Une cinquantaine d’entreprises de sécurité seraient actives au Luxembourg, selon le répertoire des entreprises luxembourgeoises de 2019. Leurs activités sont régies par la loi sur les entreprises de gardiennage du 12 novembre 2002. Loi dont les ministres partagent les articles 4 à 10 faisant référence aux conditions générales et aux principes à respecter pour pouvoir exercer dans leur réponse. Entre autres garanties, elles doivent notamment obtenir une autorisation valable pendant cinq ans du ministère de la Justice. Quant au personnel, son embauche est soumise à conditions et les candidats doivent être approuvés par le ministère de la Justice qui leur fournira une carte de légitimation de leur fonction. En ce qui concerne le port d’armes, les agents de gardiennage sont soumis à la législation en la matière. De même, le port de l’uniforme est obligatoire pour les agents en service et ils doivent être équipés de moyens technologiques leur permettant de joindre leur central en permanence.
Les agents de gardiennage ne sont pas censés être des cowboys lâchés dans la nature. Ils ont des règles à respecter. Quant à savoir si certains iraient parfois trop loin comme semblent le craindre les Pirates, les ministres ne peuvent leur donner confirmation dans leur réponse. «L’emploi n’est pas pris en compte lors du dépôt de plainte car il n’est pas considéré comme une information essentielle en cas de poursuites. Il ne nous est donc pas possible de livrer de données chiffrées en la matière», ont-ils répondu.
Les agents de sécurité patrouillent depuis un mois dans les rues de la capitale avec leurs vestes jaunes. Des rues qui, malgré le nouveau confinement restent animées et pas uniquement que de bonnes intentions. Cependant, aucun incident impliquant ces gardiens n’a filtré. Un bilan de l’action sera mené dans plus d’un mois comme l’avait annoncé Lydie Polfer et pourquoi pas une réunion publique – quand les conditions sanitaires les permettront – avec les ministres concernés, la police grand-ducale et les associations de terrain. Les explications à répétition ont-elles calmé les esprit ou la trêve de Noël est-elle passée par là, le fait est que la polémique s’est dégonflée.
Sophie Kieffer
Des missions à ne pas confondre
Le ministère de la Sécurité intérieure a réagi à notre article et a tenu à rectifier certaines affirmations. Le ministère a été informé de la décision de la Ville de Luxembourg d’engager une société de gardiennage lors d’une entrevue le 24 novembre dernier. Il n’y a jamais eu concertation et le ministre ne soutient pas l’initiative, mais ne peut s’y opposer en raison de l’autonomie des communes tant que le cadre de la loi sur les activités de gardiennage est respecté. Le ministère indique être «contre une privatisation du service du maintien de l’ordre public qui demeure une mission exclusive de l’agent de police qui a été spécialement formé à cet effet. (…) Il est primordial de maintenir une stricte répartition des tâches».
Le principe politique et juridique le plus important en matière de sécurité privée au Luxembourg, selon le ministre Kox, est de ne pas faire des agents privés de sécurité des «auxiliaires de police» : «Ces agents n’ont pas été formés à la lutte contre la délinquance liée au trafic de stupéfiants, contrairement aux agents de police.» Par ailleurs, le ministère dit ne pas connaître les missions exactes confiées par la Ville de Luxembourg à la société de gardiennage. Il y a «patrouiller» et «patrouiller». Le ministère rappelle que «patrouiller dans de le but d’effectuer des missions de police n’est guère concevable. La loi modifiée du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance ne prévoit la possibilité d’effectuer des patrouilles que dans le cadre de la surveillance des biens mobiliers et immobiliers et de la gestion des centres d’alarmes».