La récente attaque au Niger qui a fait huit morts a rappelé que les humanitaires sont désormais aussi la cible des terroristes. Depuis Dakar, Florence Uzureau, de Médecins sans frontières, décrypte la situation.
Florence Uzureau est coordinatrice logistique et responsable adjointe de la cellule de Médecins sans frontières basée à Dakar, cellule qui s’occupe des missions pour le Niger, le Nigeria, le Mali et le Burkina Faso. Au Niger, où a eu lieu l’attaque qui a fait huit morts dont des humanitaires de l’ONG Acted, MSF intervient principalement pour des soins pédiatriques et dans des programmes de nutrition pour les enfants. L’ONG fait aussi beaucoup de prévention contre le paludisme.
Avez-vous été surprise par cette attaque menée à l’encontre des humanitaires d’Acted au Niger ?
Florence Uzureau : Oui. J’ai été surprise parce que cette attaque s’est déroulée dans une zone qui est certes à risques mais toutefois très proche de l’artère principale – très fréquentée – du sud du Niger. J’ai aussi été surprise par sa grande violence.
Cependant, nous observons depuis quelques semaines déjà la dégradation de la sécurité dans la partie sud du Niger. On constate en effet des changements de dynamique au nord du Nigeria voisin qui ont tendance à faire aussi bouger les lignes de l’autre côté de la frontière : dans les États frontaliers proches de Maradi, des groupes de banditisme qui opéraient dans ces régions depuis pas mal de temps sont en train de changer de dynamique, voire de s’affilier à des groupes comme l’Islamic State of West Africa (Iswap) [NDLR : État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) en français] et Boko Haram.
Par ailleurs, dans la région dite « des trois frontières », c’est-à-dire le sud-ouest du Niger, la pointe du Burkina et l’est du Mali, on retrouve l’État islamique et Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique). Là également, les affiliations ne sont plus très claires.
Pourquoi de tels changement de dynamique ?
C’est difficile à dire… Il y a probablement un désir d’expansion. On a l’impression qu’il y a une volonté pour ces groupes de se positionner sur différents pays et d’étaler leurs zones d’influence. Surtout de la part de l’État islamique, qui était beaucoup moins présent dans cette zone ou, du moins, qui avait des cellules dormantes. En tout cas, c’est la population dans son ensemble qui souffre de cette situation dégradée.
Pensez-vous que d’autres attaques à l’encontre d’humanitaires sont à craindre ?
C’est une possibilité. Il y a quelques semaines, des groupes du nord-est du Nigeria ont clairement annoncé vouloir cibler les étrangers, y compris les humanitaires. Les humanitaires représentent l’Occident mais de plus, certaines ONG – ce n’est pas le cas de MSF – sont financées par ou travaillent très étroitement avec les gouvernements occidentaux ou nationaux. Ils peuvent donc être perçus comme des représentants de ces gouvernements.
Au centre du Mali par exemple, nous avons des projets pour lesquels nous ne pouvons envoyer ni de Blancs ni de Noirs avec un passeport occidental. Il y a aussi des projets où nous ne pouvons pas envoyer de femmes ou, à l’inverse, des projets pour lesquels celles-ci doivent être privilégiées. Il faut s’adapter au contexte sécuritaire mais aussi culturel pour ne pas envenimer les choses.
À la suite de cette attaque, allez-vous renforcer les mesures sécuritaires pour protéger les travailleurs de MSF ?
Nous avons suspendu nos mouvements entre Niamey, la capitale du Niger, et Maradi. Mais ceci n’est que temporaire, c’est juste pour quelques jours. En fait, nous suspendons nos activités dès que l’on constate une dégradation trop importante de la sécurité. Nous avions par exemple annulé un déplacement dans cette zone il y a quelques semaines. Cet incident survenu dimanche dernier, même s’il est représentatif de cette dégradation, ne change donc pas fondamentalement ce que nous faisons déjà.
Toutefois, ce qui ressort de cette attaque et d’autres incidents, c’est le ciblage de véhicules d’ONG. En termes de mesures directes, nous allons donc voir comment travailler différemment à ce niveau, par exemple en utilisant plutôt les ambulances du ministère de la Santé ou en louant des voitures. C’est quelque chose que nous avions déjà fait au Tchad début 2008, pour éviter le car-jacking.
Par ailleurs, sur Maradi, nous allons essayer de n’avoir que du personnel originaire de la zone, et éviter ainsi une certaine exposition et empêcher d’offrir une forme de visibilité à ces groupes qui cherchent à « attraper un Blanc ». Nous devons cependant aussi travailler instamment pour éviter que les nationaux ne soient ciblés, car ils sont désormais aussi visés, ce qui est un fait nouveau. Nos équipes au Niger sont composées actuellement de 20 membres internationaux et 350 Nigériens. Dans l’ensemble des sections que nous couvrons, nous avons environ 1 400 employés nationaux et 80 internationaux.
Comment résoudre ce problème tout en continuant d’aider les populations locales ?
Il est impératif d’analyser la situation et ce, en multipliant les contacts et en collectant et en partageant les informations, afin d’affiner au mieux notre connaissance de la zone. Cela nous permet de déterminer quels sont les endroits les plus à risques et donc à éviter. Il nous faut donc faire un gros travail de communication, pour bien nous faire connaître et bien expliquer ce que l’on fait à la population et tout particulièrement aux personnes qui connaissent très bien la zone et qui arrivent à rencontrer différents acteurs à différents niveaux. Ce qui est actuellement très compliqué étant donné qu’il y a un changement de dynamique dans les groupes… C’est difficile d’arriver à se projeter géographiquement en ce moment.
Mais souvent, il y a un manque de connaissance du rôle de l’organisation, donc certains peuvent avoir l’impression que nous sommes juste des bailleurs de fonds. Mais quand on montre les activités concrètes que nous menons, bien des situations se débloquent, y compris auprès de groupes armés, qui ne sont rien sans les populations – ces groupes ont besoin d’administrer les zones qu’ils occupent et cela passe aussi par des soins de santé.
Cette attaque a-t-elle réveillé des peurs ? Qu’éprouve-t-on à travailler dans des zones à risques ?
Oui, bien sûr, on a de l’appréhension, de l’inquiétude pour soi, pour les équipes. Cependant, lorsque nous sommes envoyés en mission, on ne va pas au casse-pipe non plus! Même si le danger est présent, on sait où on va. On n’envoie personne dans les zones où le danger est trop grand – d’où l’importance de l’analyse de la situation. Les personnes qui travaillent pour MSF restent par ailleurs libres de refuser d’aller à un endroit si elles ne sentent pas à l’aise Personnellement, s’il y a un risque direct en tant que blanche, française, femme, et qu’il n’y a pas une grosse plus-value, que ce n’est pas la peine de me rendre dans tel endroit, je n’irai pas. On essaie de s’adapter, on n’est pas des militaires.
Alors bien sûr, tout cela engendre beaucoup de pression ainsi que des frustrations, parce que lorsqu’on voit les besoins, on voudrait aller partout. Mais aujourd’hui, ce n’est pas possible.
Entretien avec Tatiana Salvan
Huit personnes, six Français salariés de l’ONG Acted et deux Nigériens – leur chauffeur et un guide touristique –, ont été tuées le 9 août dernier par des hommes armés arrivés à moto, lors d’une excursion dans la zone de Kouré (sud-ouest du Niger), région qui abrite les derniers troupeaux de girafes d’Afrique de l’Ouest. Les victimes, quatre femmes et quatre hommes, avaient entre 25 et 50 ans.
Selon les premiers éléments de l’enquête française, l’attaque meurtrière, qui n’a pas été revendiquée, «paraît avoir été préméditée» avec pour objectif de «cibler a priori plutôt des Occidentaux», d’après une source judiciaire française proche du dossier. «À ce stade, il n’y a pas d’éléments indiquant que l’attaque a spécifiquement visé [l’ONG française] Acted même si on ne peut pas non plus l’exclure totalement. En revanche, c’est une attaque qui paraît avoir été préméditée pour cibler a priori plutôt des Occidentaux», a déclaré cette source.
«Compte tenu du mode opératoire, la piste terroriste reste privilégiée», a-t-elle ajouté. Les experts pointent du doigt l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), actif dans la zone des «trois frontières» (Mali, Niger, Burkina Faso) où il est pourchassé par les armées nationales et la force française Barkhane, qui déploie plus de 5 000 hommes au Sahel. L’enquête cherche également à déterminer si les assaillants ont été renseignés sur la visite des humanitaires dans le parc naturel.
T. S. (avec AFP)