L’incroyable inflation du prix des carburants percute aussi les vignerons, qui ne peuvent pas économiser les sorties de leurs tracteurs.
Aura-t-on bientôt une année normale ? Pour les vignerons mosellans, ce ne serait pas de refus. Dans un contexte économique illisible marqué par la récurrence d’évènements climatiques et politiques imprévisibles, il n’est pas évident de guider une entreprise qui, rappelons-le, ne peut compter que sur une seule récolte par an pour générer son chiffre d’affaires.
«On est comme tout le monde, on subit et on ne sait pas jusqu’où ça va aller, s’inquiète le vigneron-président des Domaines Vinsmoselle, Josy Gloden. J’ai trois tracteurs pour 26 hectares de vignes. Ils consomment, mais je n’ai pas le choix.»
49 cts le litre en 2020, 1,55 euro aujourd’hui
Le vice-président des vignerons indépendants, Guy Krier (domaine Krier-Welbes, à Ellange-Gare), reconnaît être chanceux : «D’une part, j’ai investi récemment dans un nouveau tracteur qui consomme deux fois moins que l’ancien et, d’autre part, j’ai fait le plein de la citerne mercredi. Si je l’avais fait le lendemain, ça m’aurait coûté 1 100 euros de plus. Sans compter que je viens de recevoir ma nouvelle voiture électrique !» Devant les tableurs qu’il consulte sur son ordinateur, le vigneron bio illustre l’ampleur de cette augmentation insensée : «Je vois qu’en septembre 2020, j’avais payé 49 centimes le litre et aujourd’hui on en est à 1,55 euro… C’est fou.» Effectivement, une hausse de 216 % en 18 mois, «c’est fou», surtout lorsqu’on en consomme environ 3 700 litres par an.
Pour la coopérative, qui produit beaucoup de bouteilles avec des marges serrées, le coup est rude. «Avec nos gros acheteurs (NDLR : les grandes surfaces), nous fixons les prix annuels en janvier ou février, explique Josy Gloden. Nous les avons augmentés de 5 à 8 % parce que tout le reste augmente, et il avait déjà fallu être convaincant pour que cela passe. Mais ce prix ne correspond plus du tout à la nouvelle situation. On ne pouvait pas prévoir ça, je ne sais pas comment on va faire…»
Verre, carton… tout augmente
C’est un fait que tout augmente très significativement depuis plusieurs mois. Guy Krier a fait le calcul : le prix de l’emballage a pris 20 centimes par bouteille en un an. «Il y a 12 mois, je payais mes cartons pour 6 bouteilles 53 centimes, ils sont à 80 aujourd’hui (NDLR : +51 %). Les bouteilles sont passées de 25 à 37 centimes pièce en moyenne (NDLR : +48 %). Heureusement, les bouchons sont restés raisonnables : ils n’ont pris que 3 à 5 %.» Il faut ajouter à cela la hausse du prix de l’énergie et celle de la main-d’œuvre, puisque la dernière indexation des salaires (+2,5 %) a été activée le 1er octobre 2021 (la dernière datait de décembre 2019).
«Le prix des engrais a aussi explosé, soupire Josy Gloden. L’année dernière, j’achetais le mien moins de 30 euros les 100 kg, contre 66 euros aujourd’hui (NDLR : +120 %). On en est à un stade où le mieux est d’arrêter de calculer…» Le site web Vitisphere.com explique en effet qu’il existe des ruptures de stock sur les engrais minéraux, ce qui a entraîné une progression des achats d’engrais organiques. Une pénurie qui a provoqué la hausse des prix. «La Russie et l’Ukraine étant de gros fournisseurs d’engrais minéraux, la guerre va encore compliquer la situation», prévient l’article en ligne, ajoutant que la tendance est identique sur l’ensemble des produits phytosanitaires.
Le marché intérieur, un soutien
Pour absorber cette hausse des coûts de production et réaliser les mêmes marges que les années passées, les vignerons n’ont pas d’autre levier que d’augmenter le prix de leurs bouteilles en conséquence. Encore faut-il que la clientèle suive… «Le vin que nous produisons est davantage un produit de luxe qu’un aliment, parce que l’on peut s’en passer, reconnaît Guy Krier. D’habitude, nous avons presque plus de mal à vendre nos entrées de gamme que nos bouteilles les plus chères. Je crains que cela change. Nos clients vont peut-être bientôt préférer nos rivaners à nos rieslings…»
La chance du Grand-Duché, on l’a déjà vu avec le covid, c’est que le marché intérieur a jusqu’à présent toujours soutenu les vignerons. Mais la restructuration de l’économie viticole depuis un peu plus de 20 ans modifie la donne. «Chez les vignerons indépendants, les domaines ont tendance à s’agrandir, affirme Guy Krier. Ils produisent de plus grands volumes qu’il faut désormais vendre en partie à l’étranger. Or le contexte n’est pas favorable.» On pense notamment à la Scandinavie et aux pays baltes, très proche de la Russie, qui sont des destinations porteuses chez certains producteurs (Finlande chez Bernard-Massard, Estonie chez Desom…).
Erwan Nonet
Gasoil : un tarif spécial pour les agriculteurs
Le gasoil (10 PPM de teneur en soufre) que l’on brûle dans la chaudière domestique et celui que l’on met dans les réservoirs des voitures diesel, des tracteurs, des (petits) bateaux ou des trains sont en fait un seul et même produit. La grande différence, c’est le prix, car les taxes sont différentes selon leur destination. La TVA pour le gasoil de chauffage est de 14 %, mais elle passe à 17 % pour tous les autres usages. Aucune accise n’est facturée pour les agriculteurs, qui profitent donc de ce que l’on appelle le «mazout exonéré» pour leurs engins agricoles, à condition qu’ils ne les utilisent pas pour des prestations de transport.
Pour éviter les fraudes, le mazout de chauffage est marqué par un additif de couleur rouge, alors que tous les autres sont blancs. Le service des douanes peut ainsi vérifier que le carburant utilisé dans une voiture particulière ou un tracteur n’a pas été acheté pour un usage domestique.