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Familles transférées par le Luxembourg : «On a peur de retourner en Grèce»


Un garçon de 14 ans et sa sœur de 7 ans sont angoissés. Leur transfert vers la Grèce, ainsi que celui de leurs parents, est prévu cette semaine. (photo Le Quotidien)

Le Luxembourg s’apprête à transférer cette semaine une famille à Athènes. Plusieurs autres vivent actuellement dans cette même angoisse. Un garçon de 14 ans, sa sœur de 7 ans et un adolescent de 16 ans témoignent.

Il a 14 ans. Elle a 7 ans. Ils sont frère et sœur. Ils sont de nationalité afghane, mais aucun des deux ne connaît son pays. Ils sont nés en Iran, car leurs parents ont fui la guerre en Afghanistan. Mais la vie en Iran est «compliquée pour les Afghans», dit le garçon*. «C’était un cauchemar, poursuit-il. À l’école, je me faisais insulter tout le temps. On me disait de rentrer chez moi. On me bousculait, on me tapait, on me donnait des coups de pied…» Leurs parents étaient menacés également. Ils ont dû fuir encore. Ils découvrent l’Europe dans le camp de Moria sur l’île de Lesbos en Grèce. La violence est quotidienne, car les conflits sont importés et les populations laissées dans un quasi-abandon. Ils subissent la violence d’autres communautés. Ils ont un souvenir particulièrement difficile du jour où ils ont perdu leur tente dans un incendie. Il y avait des émeutes violentes. Dans un mouvement de foule, la petite fille a été perdue pendant plusieurs heures. Cet évènement a lourdement marqué la famille. 

Lorsqu’ils ont reçu le statut de réfugié, ils ont pu être transférés à Athènes dans le camp de Malakasa. La petite fille de 7 ans raconte que, dans ce camp, elle entendait qu’ils allaient devoir sortir. L’hébergement des bénéficiaires de la protection internationale est limité à un mois après l’octroi du statut. C’est pourquoi il y a beaucoup de familles de réfugiés dans la rue.

La vie à Athènes est «un nouveau cauchemar», affirme le garçon. «Il n’y a personne pour nous aider, ni assistant social ni agent de sécurité et il y a tout le temps des violences, raconte-t-il. J’allais à l’école. Enfin, ce n’était pas vraiment une école. Il y avait des élèves beaucoup plus âgés que moi qui mettaient de la musique. Le prof s’asseyait et attendait que cela se passe. Je n’avais pas de leçon. Ma sœur, elle, était dans une sorte de crèche. Elle ne faisait pas grand-chose non plus à part regarder des dessins animés…»

Le garçon de 14 ans a appris un peu d’anglais dans les camps et à Malakasa le jeune garçon est appelé à traduire pour aider des adultes à se faire comprendre. Il ne comprend pas pourquoi cela a généré de la rancune, mais il s’est fait agresser par quelqu’un qui voulait cette place qui ne rapportait rien. Il montre une photo où on voit que son œil est tuméfié et raconte que son nez a été cassé. À partir de ce moment-là, les enfants n’oseront plus sortir de leur chambre.

«Pourquoi on doit y retourner ?»

Les parents ne peuvent accepter ni cette violence ni que leurs enfants vivent dans la rue comme d’autres y sont réduits. Ils quittent la Grèce parce que leur sécurité n’est pas assurée et parce qu’ils espèrent scolariser leurs enfants qui accumulent du retard. La famille rallie le Grand-Duché. Immédiatement, la direction de l’Immigration déclare leur demande «irrecevable», car ils ont le statut en Grèce. «Je ne sais pas trop ce qu’ils ont dit, indique le garçon de 14 ans. À ma sœur et moi, ils n’ont rien demandé et on n’a vu personne. À chaque fois, nous attendions dans une autre pièce.» Pourtant, les deux enfants ont des choses à raconter et auraient en principe le droit d’être entendus selon la Convention internationale des droits de l’enfant. «Je me sens en sécurité ici, affirme le garçon. Je vais à l’école, j’apprends le français, les mathématiques… Le professeur s’occupe de nous. Il m’a même donné son numéro de téléphone si j’ai besoin. J’ai des amis. Je me sens bien.» Sa sœur de 7 ans aussi. «Je suis très contente d’aller à l’école. J’apprends l’allemand et plein d’autres choses», dit-elle. Son frère complète : «Elle se lève très tôt chaque matin pour être en avance à l’école. Elle se lève même le samedi et le dimanche alors qu’il n’y a pas école…». «Toi aussi», lui répond sa sœur en avouant qu’elle «n’aime pas les vacances ni les week-ends».

Ils pensent même à l’avenir. Lui veut devenir «ingénieur ou mécanicien». Elle veut travailler dans «la police pour pouvoir (se) défendre et protéger les autres». Mais aujourd’hui, ils vivent l’angoisse constante de l’expulsion. Le Luxembourg a décidé de transférer la famille en Grèce dans le courant de cette semaine et ils paniquent. «On a peur de retourner en Grèce, dit le garçon. On ne veut pas y aller. On est bien ici. Là-bas on n’a pas de place pour vivre. On ne sait même pas comment on va manger. Pourquoi on doit y retourner?»

Dans le foyer de primo-accueil où ils ont été finalement accueillis au Grand-Duché, la famille a croisé une autre famille que le Luxembourg a fait venir de Lesbos par solidarité européenne. Le père se demande, sans jalousie mais amer : «Quelle est la différence entre ces enfants et les nôtres ?»

«Personne ne nous accepte en Grèce»

Un Kurde de Syrie, âgé de 16 ans, son frère de 15 ans et leurs parents vivent dans cette même angoisse d’une expulsion vers la Grèce, où ils ont officiellement obtenu le statut de réfugié. Scolarisé depuis plus d’un an au Grand-Duché, le jeune homme a décliné l’aide d’un traducteur pour cet entretien : «Non, ça va aller en français.» Effectivement. «Quand on est arrivé ici, on nous a dit qu’on ne pouvait pas rester ici, c’est tout…» Depuis la famille vit dans l’angoisse d’être du jour au lendemain transférée en Grèce. Il n’y a pas encore eu d’expulsion sans doute à cause de la crise sanitaire et aussi car les membres de la famille présentent régulièrement des contre-indications médicales.

«On a peur de devoir retourner là-bas, confie-t-il. Il y a beaucoup de problèmes en Grèce. Il n’y a pas de place pour nous. Mon père avait trouvé un genre de squat avec plusieurs familles pendant quelques mois. Ce n’était pas officiel et ça entraînait d’autres problèmes, mais on n’avait pas le choix. Une fois, mon petit frère s’est fait attaquer alors qu’il allait au supermarché. Il a été blessé à une jambe par un homme armé d’un couteau. Aujourd’hui, il ne va pas bien (NDLR : il souffre d’un stress post-traumatique qui entrave sa capacité à avoir des relations sociales). Ici, il sort rarement, mais c’est déjà énorme par rapport à là-bas où il était cloîtré dans sa chambre. Vous imaginez les conséquences pour lui si on doit retourner là-bas…» 

Il y a quelques jours, le jeune homme de 16 ans a dû aller aux urgences à l’hôpital. Il souffrait d’une paralysie faciale droite, fait médical a priori rare chez les enfants : «Ma langue était endormie et le côté droit de mon visage est paralysé. On m’a dit que cela pouvait être une conséquence du stress. On va voir, je dois faire des examens… » Il conclut : «Chaque jour, on a peur. Je suis triste et stressé de devoir un jour retourner en Grèce. Ici, je suis des cours pour travailler dans l’informatique, je me sens en sécurité.»

Guillaume Chassaing

* Les enfants qui témoignent ont préféré garder l’anonymat

«Une situation incompatible
avec la dignité humaine»

Dans un récent rapport sur les conditions de vie des bénéficiaires de la protection internationale en Grèce, intitulé «Protection on paper, not in practice» («Protection sur le papier, mais pas en pratique»), l’ASBL Passerell, basée au Luxembourg, rappelait qu’«un certain nombre de tribunaux internationaux et nationaux ont déjà jugé que les conditions de vie des demandeurs d’asile et des réfugiés en Grèce sont si terribles qu’elles peuvent constituer un « traitement inhumain ou dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme».

Et pour cause, ce rapport donne un aperçu des conditions de vie des réfugiés en Grèce en évaluant leur accès à divers droits sociaux, notamment le logement, l’emploi, l’éducation, les soins de santé, la protection sociale et les mesures d’intégration.

À la lecture de ce rapport, les défaillances sont flagrantes. «Les bénéficiaires d’une protection internationale qui sont renvoyés en Grèce depuis d’autres États membres de l’UE courent un risque réel et concret de se retrouver dans un état de dénuement matériel extrême qui porterait gravement atteinte à leur santé physique ou mentale et ne leur permettrait pas de satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux – une situation incompatible avec la dignité humaine.» Le 21 janvier dernier, la Cour administrative de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a rendu deux arrêts dans lesquels elle suspend les transferts de réfugiés reconnus vers la Grèce.

À noter enfin que dans le contexte sanitaire lié au Covid-19, les demandes de protection internationale ont chuté d’environ 45 % en 2020 au Grand-Duché.

À Athènes, de nombreuses familles, qui ont le statut de réfugié, vivent dans la rue. (photo AFP)

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