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Esch : une BD pour parler de harcèlement scolaire


Les élèves du lycée technique de Lallange abordent le harcèlement scolaire d'une façon originale : la BD (Photo : Claude Lenert).

Dans la classe d’Isabelle Cisowski et Timmy Bartocci, un groupe d’élèves travaille sur un projet de bande dessinée sur le thème du harcèlement.

Une année complète n’est pas encore passée depuis la présentation, au Kinepolis Kirchberg, du projet «Agis!», mené par cinq élèves du lycée technique de Lallange, en janvier 2019. Leur court métrage, mettant en scène des élèves sur le douloureux sujet du harcèlement scolaire, avait été accueilli avec émotion par les spectateurs, et plus tard sur les réseaux sociaux (lire notre édition du 18 janvier 2019).
Un an après, alors qu’il a quitté le lycée et commencé ses études supérieures, Kevin Veiga, l’un des cinq réalisateurs du film, n’en a pas terminé avec le sujet. Le jeune homme de 21 ans intervient actuellement auprès d’un nouveau groupe du lycée technique de Lallange, constitué dans la classe des professeurs Isabelle Cisowski, à l’initiative du projet, et Timmy Bartocci. «Chaque année, nous travaillons avec les élèves et leur proposons plusieurs thématiques. Le harcèlement scolaire revient depuis trois ans», dit-elle.

Reprise du flambeau

Cette année, c’est donc Ana Do Carmo, Jason Oliveira, Alexandre Rodrigues, Silvia Correia et Barbara Gomes, âgés de 18 à 22 ans, qui ont décidé de s’impliquer dans l’aventure «Agis!». Mais que proposer, après un court métrage qui a marqué les esprits? «Une bande dessinée», répond Kevin.
Pourquoi? «Parce que nous voulions d’un outil qui pourrait être utilisé plus tard dans les écoles, auprès de tous les publics, de tous les âges. Une BD, c’est facile à lire, les images sont révélatrices et ça se diffuse facilement. C’est un autre support que la vidéo et c’est tout aussi intéressant», explique-t-il. Mais comment procède-t-on pour créer une BD?
«Nous utilisons un logiciel nommé BeFunky, permettant de transformer des photos en images de bande dessinée. Jasno et Silvia, les artistes de la bande, sont chargés de faire ces transformations. Chaque scène comprend quatre ou cinq photos, parfois même deux, que l’on peut transformer. On choisit un thème, un module, on clique et on a notre image», dit-elle. La difficulté réside surtout dans le fait de rester fidèle à la trame du film.

«Nous ne devons pas garder trop d’images pour éviter de faire un livre trop épais, mais nous devons faire attention de faire en sorte que ce soit cohérent, pas trop court, de bien choisir les couleurs, de veiller à ce que les photos ressortent», poursuit Jason. Et Silvia d’ajouter : «Tout en étant moderne, bien sûr!». Si la création pure de la bande dessinée demande beaucoup d’investissement, tout le travail ne réside pas là. Le but étant de diffuser au maximum ce nouvel outil, Alexandre et Barbara ont un rôle plus administratif mais tout aussi important.

«Nous appelons les banques, les assurances et toutes les entreprises susceptibles d’apporter un financement pour l’édition de la BD», explique Alexandre. Et si certains ont d’ores et déjà accepté le partenariat, «il faut parfois passer du temps à appeler, appeler encore et même harceler ceux qui ne répondent pas», dit timidement Ana, en riant. Car quand sera venu le temps de la présentation, l’équipe compte imprimer un total de 200 exemplaires pour le distribuer à l’ensemble des lycées du pays. «Nous sommes un peu bloqués par le prix, indique Barbara. Nous avions demandé le prix pour 150 exemplaires de type A4 et on nous avait répondu 800 euros. Aujourd’hui, nous avons décidé d’imprimer du A5, mais les prix restent sensiblement les mêmes», dit-elle.
Gageons que très bientôt, l’équipe, particulièrement dévouée au projet, aura trouvé les fonds, avant la présentation prévue en janvier, en collaboration avec les librairies Ernster.

Sarah Mellis

Cette douleur quotidienne

Ceux qui croient que les traumatismes liés au harcèlement subi pendant l’enfance ne sont que passagers ne l’ont jamais vécu. Kevin comme Ana n’ont jamais oublié : leurs souvenirs douloureux sont marqués au fer rouge et ils doivent avancer avec eux, les porter sur leur dos.
Ils ont par ailleurs un point commun tous les deux : leur apparence était la raison de railleries qu’ils subissaient il n’y a encore pas si longtemps.
Ils étaient des enfants un peu «trop» ronds, un peu «trop» gras, suffisamment pour que leurs camarades déchaînent sur eux une haine inexplicable, qui fait encore mal aujourd’hui. «J’étais mise à l’écart en raison de mon poids, on me regardait bizarrement, on faisait mine de ne pas vouloir me toucher, comme si je dégoûtais mes camarades», raconte la brillante Ana, indéniablement très émue.
Et puis il y a l’idée que se font les jeunes de la tendance aussi. «Au Luxembourg, si l’on n’a pas la dernière veste de telle marque, si l’on porte un pull H&M, alors on ne mérite pas d’être regardé comme les autres. On subit forcément le mépris de certains de ses camarades. Les critères d’acceptation sont particulièrement superficiels», explique Kevin.
«Pourtant, on sait très bien que tous les Luxembourgeois ne sont pas riches, qu’il y a des problèmes de logement, que certaines familles vivent de réelles difficultés. Mais dans le monde des lycéens, tout ça est ignoré… Mais à qui en vouloir? Aux enfants ou aux adultes qui ne leur apprennent pas la réalité de la vie? Les jeunes n’ont pas du tout la notion d’argent ici…», poursuit-il. Comme lui, Ana est empathique, sensible mais forte et solide, et «toujours là pour les autres», raconte Isabelle Cisowski. Plus tard, la jeune fille veut être responsable des ressources humaines, «parce que je sais que je ne ferai aucune discrimination à l’embauche», dit-elle. Tous deux aspirent à se servir de ce qu’ils ont vécu comme d’une véritable force.
«Je souhaite vraiment dédier ma vie à la lutte contre le harcèlement scolaire, j’aimerais développer des projets en ce sens, favoriser la sensibilisation dans les lycées, continuer le travail accompli depuis la diffusion du film», assure Kevin, encore et toujours déterminé.
Comme Kevin et Ana, de nombreux enfants et adolescents sont harcelés au Luxembourg