Esch-sur-Alzette : le simple plaisir de voyager

Belle rencontre vendredi, au Galgenberg : Frédéric voyage avec un âne, un sac à dos et un seul principe… prendre le temps d’apprécier la vie. Avec sa femme Valérie, il a déjà marché pendant plus de 250 kilomètres cet été, depuis la Belgique.

Il y a des rencontres qui font du bien, surtout quand l’humanité vous déprime, qu’un homme a tué des dizaines d’autres hommes, comme ça, dans une violence infinie. Frédéric, la cinquantaine, originaire de Stavelot en Belgique, n’était pas au courant de l’attentat de Nice quand nous l’avons croisé, vendredi, au camping d’Esch-sur-Alzette. Il n’a qu’un vieux portable qu’il allume «tous les trois jours», un sac à dos et un âne, Tom. Avec sa femme Valérie, ça fait quatre ans qu’ils ont troqué leur voiture contre la brave bête, «certes plus capricieuse». Mais la lenteur et le temps de vivre étaient le but recherché.

Frédéric et Valérie ont plaqué leur job pour se lancer sur les chemins «avec un minimum d’objets». Leur démarche, que l’on perçoit naïve au premier abord, est entourée de paix. Une vie poétique, comme un écho à une fameuse chanson de la Beat Generation : «Regarde par n’importe quelle fenêtre / N’importe quel matin, n’importe quel jour / Marche dans la lumière éclatée du soleil / Ton chemin serpente à travers les rêves éteints / Que veux-tu que je fasse pour te dépanner? / C’est juste un rêve qu’il nous faut vivre éveillé» (Box of Rain, de Grateful Dead).

Frédéric, Valérie et l’âne marchent donc depuis quatre ans. Ils n’ont pas d’horaires, pas d’obligation. Ils rentrent à la maison quand il fait trop froid pour continuer la route. «Lors de notre premier départ, nous voulions aller le plus loin possible, glisse Valérie. En fait, nous sommes restés dans les Ardennes belges et françaises, car il y avait tellement de belles choses à voir…» L’aventure était au bout de la rue. D’année en année, le couple a élargi son rayonnement. Pour cet été, ils ont voulu découvrir le Grand-Duché. «Il nous reste peut-être deux semaines de marche», tente d’évaluer Frédéric.

Le Grand-Duché, sans horaire d’arrivée

Le voyage est très beau pour le moment. «Troisvierges, Clervaux, Vianden, Beaufort, Remich, énumère-t-il. Les paysages sont diversifiés, nous sommes passés du Mullerthal aux rives de la Moselle rapidement», du rouge au bleu, pour retrouver du rouge dans le Sud finalement, celui de la minette. Pendant que nous discutons, l’âne Tom fait l’attraction. Les campeurs du Galgenberg prennent même des selfies avec lui. Scène qui fait sourire Frédéric.

Le couple se souvient vaguement de sa vie d’avant. «Ça fait au moins dix ans que nous avons choisi ce mode de vie sobre, explique Valérie. Mais c’est une sobriété heureuse.» Le thème de la décroissance apparaît en toile de fond (lire ci-dessus). Mais nos deux marcheurs ne veulent pas politiser la conversation. «Nous nous sommes débarrassés de toutes nos contraintes petit à petit. Notre démarche est volontaire. Nous avons voulu nous concentrer sur les choses qui comptent.» Perdre sa vie à essayer de la gagner n’était plus dans les plans. Frédéric et Valérie ne versent pas dans l’angélisme non plus. Ils ne parlent pas de leur choix comme d’une réussite, ni comme d’une fierté. Le «voyage sauvage», comme ils disent, a sa part de dureté. Il est aussi ce «rêve éveillé» où la nature est une source d’émerveillement de tous les instants, d’aventure.

Avec son chapeau, Frédéric a d’ailleurs des airs de Stevenson, l’écrivain écossais (XIXe siècle) qui donna son nom à la plus belle randonnée du sud de la France, dans les Cévennes. «J’irais bien un jour, lance Frédéric avec un sourire. Mais Stevenson s’est quand même perdu pas mal de fois, non?» Exact. Il a tiré de ses détours des livres et des poèmes, ainsi que le leitmotiv du marcheur éternel : «Je ne voyage pas pour atteindre un but, mais pour le simple plaisir de prendre la route.»

Hubert Gamelon