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Esch : nous avons visité la nouvelle « salle de shoot »


La salle "Contact" d'Esch-sur-Alzette est ouverte à la seule consommation supervisée d'héroïne et de cocaïne (Photo : Isabella Finzi).

Depuis lundi, la deuxième ville du pays dispose de sa propre salle de consommation de drogues supervisée. Nous y avons jeté un premier coup d’œil.

« Ce n’est pas la cohue. Ils arrivent au compte-goutte.» Il était 9 h, mercredi matin, au 130 rue de Luxembourg à Esch-sur-Alzette. La grille menant à la nouvelle salle de consommation de drogues supervisée, à proximité du supermarché, est ouverte depuis une demi-heure lorsque nous la franchissons. Dans la structure bleue préfabriquée à l’arrière de la maison, la psychologue Martina Kap et son équipe sont prêtes à accueillir les toxicomanes. Au troisième jour après son lancement, la matinée à la salle de shoot démarre tranquillement. «La plupart de notre clientèle doit se réorganiser. Beaucoup ont un domicile, ils seront donc rarement là à 8 h 30.»
L’objectif de la salle de shoot est d’accompagner les consommateurs de drogue dans leur dépendance. Dans cette structure propre et calme et à l’abri des regards, c’est l’hygiène qui prime. Lorsque le toxicomane passe la porte, il est obligé de se laver les mains. Dans des enveloppes, le matériel stérilisé l’attend : seringues, compresse désinfectante, petite poêle… «Entre ceux qui choisissent de se piquer, d’inhaler, de fumer… chacun a sa propre recette», intervient Martina Kap. «Par contre, ce sont eux qui viennent avec l’héroïne et la cocaïne qu’ils souhaitent consommer. Comme c’est illégal, on n’en n’achète pas.»

«Où est la seringue ?»

Dans la salle de shoot, où les rayons de soleil ne filtrent que partiellement à travers quelques lamelles de volets, l’atmosphère est tout sauf sinistre. L’éclairage est conséquent et la couleur vert pomme des sièges alignés le long de petites tables rectangulaires égaye quelque peu cette pièce. Des miroirs fixés au mur doivent guider les toxicomanes pour l’administration des substances par voie intraveineuse. Après s’être administré leur dose, ils sont censés jeter les seringues dans les poubelles et nettoyer leur table. «Il est hors de question que des traces de sang subsistent», insiste Martina Kap. Il est obligatoire de restituer toutes les seringues. «L’idée, c’est qu’elles ne traînent pas dans Esch. Pour la population, c’est important.»

La psychologue Martina Kap accueille les toxicomanes avec son équipe (Photo : Isabella Finzi).

La psychologue Martina Kap accueille les toxicomanes avec son équipe (Photo : Isabella Finzi).

Une porte plus loin se cache le fumoir, avec une ventilation spéciale. Le seul objet qui orne cette pièce consiste en une grosse horloge. «C’est maximum 20 minutes dans le fumoir pour éviter le temps d’attente.» Tout au long de leur consommation, les toxicomanes se trouvent sous supervision. «En cas d’overdose ou si l’un ne se sent pas bien, on intervient. C’est notre travail.» Dans un coin, on trouve d’ailleurs un chariot de premiers secours. Une affichette rappelle la première question à se poser en cas d’intervention : «Où est la seringue?» «C’est la première question pour éviter une contamination», explique la cheffe de service. D’où la collecte méticuleuse des seringues usagées.

«40 % de cocaïne, 60 % d’héroïne»

À l’heure actuelle, il est encore trop tôt pour livrer une quelconque tendance de la consommation dans la salle de shoot eschoise. «Ce n’est qu’après une demi-année qu’on disposera de chiffres parlants», appuie Martina Kap. En attendant, la cheffe de service se base sur les chiffres récoltés par l’Abrigado à Luxembourg : «On tourne autour de 40 % de cocaïne et 60 % d’héroïne.»

La salle est assez commune. Les miroirs servent aux toxicomanes qui veulent se piquer en toute sécurité (Photo : Isabella Finzi).

La salle est assez commune. Les miroirs servent aux toxicomanes qui veulent se piquer en toute sécurité (Photo : Isabella Finzi).

La Fondation Jugend- an Drogenhëllef qui gère la structure à Esch connaît déjà sa clientèle par son ancienne adresse rue Saint-Vincent. «On n’y avait pas de salle de shoot, mais on fournissait des seringues propres contre des usagées», explique Martina Kap. «La majorité des usagers ont entre 23 ans et plus de 50 ans. Il y a plus d’hommes que de femmes. Quand les toxicomanes ont plus de 30 ans, on peut dire qu’ils consomment depuis plus de 10 ans.» Elle enchaîne : «On les prend comme ils sont, on les accompagne.» Et d’insister : «Cela reste des adultes, à eux de décider quelle voie ils comptent prendre, s’ils souhaitent suivre une thérapie. S’ils arrêtent la drogue pour nous, cela ne fonctionnera pas.» À l’infirmerie de la nouvelle structure sont aussi régulièrement organisées des consultations gratuites pour détecter l’hépatite C, le sida, la syphilis…
Alors que nous nous apprêtons à quitter les locaux, les deux premiers clients de la journée arrivent. D’un pas déterminé, ils poussent la porte de la salle d’accueil. Une preuve que certains ont déjà pris leurs marques. «Une telle institution a besoin d’environ une demi-année pour que cela fonctionne», renchérit la cheffe de service à notre départ. Rendez-vous donc dans six mois.

Fabienne Armborst