Il faut des arbres, des espaces verts, une qualité de vie. Il faut aussi des logements abordables. Les dents creuses sont ces «Baulücken», qui peuvent être rapidement mobilisés pour être construits. Le bonheur des uns…
Les résidents ont essayé de préserver cet espace sans réellement s’opposer à un projet immobilier dont ils savent la nécessité absolue, surtout dans la capitale où trouver des logements abordables s’apparentent à la quête du graal. Ils ont tout de même tenté de convaincre la commune de leur laisser ce petit espace arboré, à l’angle de la rue Théodore-Eberhardt et la rue Auguste-Liesch à Luxembourg-Belair. Une résidence doit y voir le jour, construite à l’arrière des immeubles alentour, sur un carré de verdure planté en partie d’arbres fruitiers. «Nous désirons par la présente vous suggérer une alternative d’aménagement de cet espace offert aux nombreux résidents du secteur qui occupent les appartements cernant ce bout de verdure, devenu au fil du temps leur jardin commun», écrivaient quelques dizaines d’habitants du quartier à la bourgmestre, Lydie Polfer, en septembre dernier. «Pourquoi ne pas le faire ce jardin qui pourrait être pensé comme un potager communautaire qui manque cruellement dans notre quartier. En faire un lieu de rencontre pour les habitants, surtout les anciens qui ne fréquentent pas les aires de jeux pour enfants et qui ne se déplacent plus jusqu’au parc de Merl», suggéraient-ils. Le courrier avait été signé par une trentaine d’habitants du quartier.
Comme seule réponse, ils ont vu les pelleteuses débarquer alors que les arbres avaient été abattus un an plus tôt déjà, avant même que le projet ait pu être contesté. C’est dire que les espoirs des résidents étaient réduits à peau de chagrin. Mais qui ne tente rien n’a rien, selon l’adage et les récents épisodes climatiques, entre inondations et canicules, allaient peut-être peser dans la balance.
Tous les discours verdoyants qui résonnent en haut lieu, vantant la présence des arbres et leurs vertus ne sont que des paroles en l’air. Une fois la résidence construite dans cette dent creuse de Belair, il ne restera plus rien de ce carré de verdure. Tous les balcons qui cernent cet espace auront une vue sur un immeuble à toit plat qui occupe tout l’espace. Les architectes décrivent leur projet ainsi : «Le terrain se situe en plein quartier résidentiel de Belair entre deux rangées de bâtiments à toits en pente. L’idée est de créer une relation entre ces bâtiments en intercalant un volume à toit plat. Le tout a été conçu à l’échelle du quartier, privilégiant une gestion minutieuse des ressources et le souci de gérer au mieux les réserves de terrains disponibles afin de protéger nos conditions de vie.»
Protéger les conditions de vie de qui exactement? Les résidents s’interrogent. Mais le choix est difficile. Conserver des espaces verts, aussi petits soient-ils, pourvus qu’ils soient arborés et offrent une qualité de vie aux résidents ou les en priver pour offrir la possibilité à d’autres de se loger à un prix abordable. C’est tout le dilemme, souvent, des «Baulücken», ces dents creuses, comme on les appelle en urbanisme, pour définir un espace constructible entouré de parcelles bâties.
La Ville de Luxembourg a été pionnière en matière de PPP (partenariat public-privé) pour combler ces dents creuses en y construisant des logements sociaux. Une résidence par-ci, une autre par-là, les communes propriétaires de ces terrains sont fortement sollicitées pour des projets immobiliers. Elles sont même tenues de montrer l’exemple.
75 % entre les mains privées
Selon l’Observatoire de l’habitat un tiers de tous les terrains disponibles sont des Baulücken, des terrains de taille restreinte, viabilisés et pouvant être mobilisés en principe rapidement via une autorisation à bâtir. «Leur mise en valeur permet de réduire le mitage de l’espace et de limiter l’artificialisation des sols vers l’extérieur du tissu urbain existant ce qui entraîne une préservation des espaces naturels et agricoles», écrit l’observatoire.
Seuls 6 % de ces dents creuses sont entre les mains publiques. «Le défi sera de viabiliser ces Baulücken dont 75 % sont détenues par des personnes privées», précisait encore l’Observatoire de l’habitat.
N’en demeure pas moins que les citadins qui aspirent, eux aussi, à des espaces de verdure autres que des aires de jeux pour enfants, où ils peuvent exploiter un jardin communautaire qui ferait aussi office de lieu de rencontre intergénérationnel dans un quartier résidentiel, se rendent bien compte que la concurrence est rude.
Toutes les dents creuses en possession de l’État ou des communes sont-elles obligatoirement vouées à être construites? Faut-il au contraire aménager des espaces verts pour protéger la qualité de vie des résidents? C’est la question que se posent les résidents concernés par cette construction qui n’ont d’autre choix que d’accepter les engins de terrassement sous leurs fenêtres. Mais les arbres et les oiseaux qui les peuplaient, c’était beau et bon.
Geneviève Montaigu
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