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Eng nei schaff : l’utopie reste sur le carreau


Recyclage de pièces auto, jardinage, récupération de composants informatiques... autant de compétences partagées à Eng nei schaff. (Photo Alain Rischard)

L’association Eng nei schaff, spécialiste de la réinsertion, doit déménager à Bettembourg. La fin d’une utopie sociale aux Terres Rouges, sur l’ancien site de la mine.

C’est la fin d’une utopie sociale lancée en 1996 sur les friches de l’ARBED, à Esch-sur-Alzette. Aux Terres Rouges il n’y avait plus rien, et puis il y a eu «tout» : la chaleur humaine retrouvée dans un dédale improbable, des hangars où raisonnent les outils, où des générations de travailleurs ont pu remettre le pied à l’étrier en apprenant à tout recycler.

L’association Eng nei schaff ne cesse pas son activité. En l’occurrence, servir de tremplin vers l’emploi. Il ne s’agit « que » d’un transfert à Bettembourg. Mais le coup est dur à encaisser. Les bénévoles, dans le sillon de l’emblématique élu eschois Josy Mischo, décédé il y a six ans, voulaient rester à Esch. « Nous étions conscients de la fragilité de notre situation , explique Pierre Fonck, le président. Que ce soit avec l’ARBED ou avec l’entreprise Mecaman, qui a racheté le terrain après, nous n’avons jamais été propriétaires. » Mecaman souhaite s’agrandir, une décision que comprend parfaitement Eng nei schaff. Il faut donc partir.

Reste que ces murs ont une histoire. Tout a été fabriqué avec de la récupération, dans l’esprit de l’association, qui apprend aux chômeurs à désosser des objets (lave-linge, ordinateur, voiture) pour en revendre la matière : cuivre, fonte, plastique, etc. Une véritable école de chiffonniers modernes.

Sans emploi, sans qualification

« Nous sommes la dernière entreprise où n’importe qui peut dire : « J’ai deux mains, je veux apprendre un métier » , souligne Pierre Fonck. Aujourd’hui, tout est question d’âge et de CV. Nous le constatons au quotidien : le patronat est devenu synonyme d’exclusion. Il n’assume plus cette mentalité de bon père de famille, capable de former un ouvrier, de le prendre sous son aile. Il veut du prêt à employer. »

Du coup, les rangs de Eng nei schaff n’ont fait que grossir en 20 ans. L’association cantonne son action à 45 contrats en insertion, pour que l’exercice garde un sens. « C’est décourageant que les exclus soient de plus en plus nombreux, confie Julien Dominicy, l’un des bénévoles historiques. Des sans-emplois, sans formation, parfois sans toit. Ils ne parlent pas le français ou le luxembourgeois, ils ont perdu d’avance… »

Le but premier de Eng nei schaff n’était pas la formation. « La structure travaillait dans l’aide humanitaire en 1990, se souvient Julien Dominicy. Il s’agissait d’appuyer les forces de secours lors d’un sinistre. Puis il a fallu employer une personne pour la maintenance des camions, une autre pour les réparations courantes… cette activité nous a paru bien plus porteuse au final. »

Auberge espagnole du boulot

L’élan engendré a échappé à toute emprise institutionnelle. Chaque bénévole a apporté le meilleur de lui-même, dans une démarche participative résolument moderne, d’autant plus pour l’époque. Eng nei schaff se rapproche plutôt d’un Fablab social (laboratoire de connaissances partagées) que de l’univers caritatif bien-pensant.

Autre aspect moderne, « l’action de l’association trouve aussi un écho en termes de respect de l’environnement, glisse Pierre Fonck. Recycler est le premier geste qui compte quand on parle d’écologie. Nous sauvons plus de 90% de la matière des véhicules que nous recevons, par exemple. Dans un moteur, il y a de l’aluminium de très bonne qualité, du cuivre, de la fonte, des plastiques facilement modelables. »

L’association les revend à des sous-traitants spécialisés. Et quand vraiment il n’y a plus rien à faire, la créativité ne manque jamais. Le portable de Julien Dominicy sonne à la fin de la visite. Il le sort d’une belle pochette en cuir. « C’était un siège de voiture avant, original non ? »

Hubert Gamelon