Des vestiges archéologiques datant de l’époque médiévale ont été retrouvés sur le site de l’ancien hôtel-restaurant qui a entretemps été rasé. Alors que des fouilles y sont en cours, l’avenir du site est indéfini.
Le Quotidien a interrogé l’ancien-député maire de la Cité abbatiale, Jos Scheuer, afin de connaître sa position sur l’avenir du site, qui ne devrait pas forcément ravir tous les acteurs concernés, de près ou de plus loin.
La «Petite Marquise» était un hôtel-restaurant réputé situé place du Marché, avant d’être touché par un incendie. «Propriété d’une famille sans héritiers, le bâtiment est ensuite passé à une famille qui a essayé de gérer l’affaire, mais il y eut une indivision et ils ont dû vendre. Il n’y avait pas de repreneur et la commune a été obligée d’acheter tout le domaine, qui comprenait aussi une maison (dépendance) du XVIIIe siècle sur l’arrière, dans laquelle vivaient les serveurs, cuisiniers… et qui s’appelait la « Petite Portugaise« . Après un certain temps, tout y a été délabré. Les flammes ont ensuite détruit les deux bâtiments (en 2013)», souligne Jos Scheuer.
Et d’ajouter : «J’ai été l’un des premiers à être confronté à ce dossier, il y a 30 ans déjà», souligne Jos Scheuer. «Or le ministère de la Culture avait proposé de placer le bâtiment principal et surtout son annexe la « Petite Portugaise« , sur la liste des monuments à classer. À un certain moment, il y a donc eu un blocage du chantier. Et, au final, il n’y a pas eu d’opposition à la démolition, et tout a été rasé sans obstruction de la part du ministère, malgré certaines protestations», précise encore Jos Scheuer.
«Une facette historique et un volet financier»
La commune a racheté le domaine pour un peu plus de 3 millions d’euros (en 2017), avant de lancer un projet alliant logements et commerces «pour rentabiliser, entre guillemets, le site. Et pour ce faire, un complexe adjacent a été acquis. Le projet final a été élaboré sur l’ancien site de la Marquise et du complexe adjacent, et c’est précisément sur ce complexe qu’ont été trouvés les vestiges. Cela étant, il y a un contrat avec le propriétaire, qui ne se fait pas payer en argent, mais qui veut avoir des appartements. Je prévois que l’issue de cette affaire sera un procès. Car je me demande qui indemnisera ce propriétaire.»
Pour l’instant, c’est le statu quo, tant le dossier n’est pas complet. Et celui-ci comporte «deux facettes : l’une est archéologique, historique et culturelle, l’autre, financière. Et l’on ne peut pas séparer ces deux facettes. Impossible! La ministre de la Culture ne s’est pas prononcée sur la part de l’État concernant le financement du projet et je me demande comment les finances de la commune d’Echternach pourraient tenir si elle devait mettre seule la main à la poche», explique encore l’ancien député-maire.
«Solution de rechange dans l’Orangerie»
Quelle est dès lors la position de Jos Scheuer concernant l’avenir du site? «Il faut achever le travail d’ordre archéologique, faire un rapport sur ce qui aura été potentiellement trouvé, et puis je propose de travailler sur une mise en valeur digitale, c’est-à-dire une reconstruction digitale. Pour cela, il faut trouver un emplacement pour montrer ce qu’était la vie urbaine d’Echternach. Mais pas sur ce site! L’enjeu financier est trop grand et sa plus-value culturelle est discutable, à mon avis. Et pour mettre en évidence, d’une façon moderne, les fouilles archéologiques, je propose le site de l’Orangerie (occupé par le lycée classique). Cela dit, l’Orangerie est une pièce maîtresse dans le domaine de l’abbaye d’Echternach, située dans un jardin que l’on pourrait mettre en valeur. Et je rappelle que l’on est train d’élever derrière l’Orangerie une construction sans valeur architecturale selon moi et par ailleurs située tout près de l’abbaye, qui est classée monument national.»
Et Jos Scheuer ne s’arrête pas là : «Si j’étais bourgmestre, je ferais pression pour que l’Orangerie soit libérée et qu’on y fasse un site national sur lequel on regrouperait tout ce qui concerne le patrimoine d’Echternach, et on pourrait franchement faire un très beau projet. Mais personne n’a le courage de le dire, car la culture, à Echternach, est dominée par les professeurs et ils sont attachés au lycée, tout comme moi d’ailleurs, qui étais également professeur pendant 20 ans.»
Par rapport aux fouilles actuellement réalisées sur le site de la «Petite Marquise», l’ancien bourgmestre enfonce le clou : «Il y a une valeur locale et régionale certaine, mais au niveau national, je me pose la question… Ceci dit, la question fondamentale est celle de la tutelle du ministère de la Culture, des moyens dont il dispose, de la plus-value que l’on peut donner à ce site, et puis de la solution de rechange, qui à mon avis doit se trouver dans l’Orangerie. Et selon moi, le ministère de la Culture doit intervenir auprès de celui de l’Éducation nationale pour trouver une alternative en vue d’une plus-value touristique et économique à Echternach. On ne peut pas se permettre de produire de l’art pour l’art à Echternach aux niveaux archéologique et culturel.» Voilà qui est clair.
Claude Damiani
«Une pièce de l’an 1 333 retrouvée»
Christiane Bis, du Centre national de recherche archéologique, en charge des fouilles sur le site et de visites guidées, a accompagné le Quotidien sur le site, qui, nous rassure-t-elle, n’a été que faiblement affecté par l’inondation de juillet dernier : «On ne peut pas parler de véritables dégâts.» Elle ajoute : «Il n’y a pas eu un flot provenant directement de la Sûre. L’eau est venue d’un peu partout. C’était quand même spectaculaire!»
Mais revenons à l’Histoire plutôt : «Le site date du Moyen Âge, en pleine période du comte Sigefroi, soit l’époque de la naissance du Luxembourg d’aujourd’hui. En ce temps-là, le comte Sigefroi était l’abbé laïque de l’abbaye d’Echternach.» Au fil de la visite, Christiane Bis explique notamment qu’il y avait déjà une construction en bois datant de l’époque de saint Willibrord, laquelle a précédé le bâtiment en pierre, ou maison d’habitation («terme neutre»). Parmi les trouvailles faites, Christiane Bis indique qu’à un endroit où des pierres ont été retirées une pièce de l’an 1 333 a été découverte. De plus, de l’or, des bagues, des bijoux, des pièces de monnaie et des céramiques ont été trouvés dans la couche de destruction formée en 1 444 lorsque tout Echternach a brûlé.
Les fouilles ne sont pas terminées : «Nous sommes passés d’une fouille d’urgence à une fouille scientifique, après avoir connu diverses interruptions et d’autres aléas depuis avril 2020. Les fouilles continueront au moins jusqu’à la fin de cette année, mais c’est difficile à dire.»
Il y a une chose en tout cas dont est sûre Christiane Bis, c’est que ce site «est une chance pour Echternach».