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Fermetures d’agences Spuerkeess : à la rencontre de clients inquiets


La Spuerkeess constate un «succès continu des solutions bancaires digitales (qui) va de pair avec un recul de la demande pour des services bancaires de base en agence». (photos LQ)

L’annonce de la fermeture de 11 agences de la Spuerkeess dans le pays n’a pas laissé indifférent. Si certains citoyens s’en accommodent, la majorité d’entre eux expriment leur frustration. Le Quotidien est allé à leur rencontre.

Le courriel de la direction de la Spuerkeess date du 12 février. Il est intitulé «Spuerkeess prépare l’avenir». Il annonce la fermeture de onze agences à travers le pays, dans un but de «modernisation du réseau des agences» face au «succès continu des solutions bancaires digitales (qui) va de pair avec un recul de la demande pour des services bancaires de base en agence (…)».

En fin de courriel, la banque liste les agences concernées : «Après analyse de la fréquentation de son réseau des agences, Spuerkeess a retenu 11 sites qui fusionneront avec les agences les plus proches avec effet au 27 mars 2020. Les agences en question sont Belle Étoile, Bridel, Colmar-Berg, Esch-Lallange, Hosingen, Larochette, Pommerloch, Réiserbann, Wasserbillig, Rumelange et Rodange. Cette dernière ne sera fusionnée qu’au 2e semestre 2020, après la rénovation de l’agence Pétange.»

Au nom de la digitalisation

Pour justifier cette décision, la banque évoque notamment «la stratégie de « nouvelle proximité » de Spuerkeess (qui) repose sur un ensemble de mesures permettant aux agences de répondre au mieux à la demande croissante des clients en matière de conseil et de proximité, tout en y maintenant un niveau de service élevé pour les opérations bancaires de base. La nouvelle stratégie tient compte du fait que la majorité des clients, tous âges confondus, utilisent désormais, et de manière croissante, prioritairement les services digitaux pour leurs opérations courantes alors qu’ils continuent de privilégier le contact personnel pour toute activité de conseil, notamment en matière de crédit et de placement. Spuerkeess continue à investir dans son réseau d’agences et ses services digitaux, tout en respectant les besoins et le changement des habitudes des clients.»

En outre, la banque annonce également le lancement d’une nouvelle agence, Spuerkeess Direct, qui «est un centre de compétence joignable exclusivement via téléphone et canaux digitaux, avec des agents spécialement formés pour assurer une qualité et une rapidité de service à la hauteur des attentes d’une clientèle exigeante à la recherche d’un service personnel et efficace sans devoir se déplacer (…)». Tout cela, les personnes que nous avons interrogées semblent n’en avoir cure.

Claude Damiani

Esch, «mon agence depuis toujours»

Il est originaire d’Esch-Lallange et y habite depuis plus de vingt ans. Olivier regrette déjà la fermeture de cette agence.

«C’est mon agence depuis toujours !», s’exclame Olivier, qui se dit également «en théorie client de l’agence depuis (sa) naissance». L’habitant d’Esch-Lallange explique que la fermeture programmée de «son» agence, située dans l’enceinte commerciale du quartier de Lallange, «l’ennuie».

490_0008_15224833_lallangeTrajets compliqués

«En effet, si je dois placer ou retirer une somme d’argent conséquente, je suis plus à l’aise dans mon agence habituelle car elle se trouve à proximité de chez moi. Certes, il y a une agence place Benelux, mais je dois prendre deux bus pour m’y rendre, car je n’ai pas de permis de conduire, peste Olivier. Il faut donc que je prenne un premier bus de Lallange à la gare d’Esch et un second depuis la gare vers la place Benelux. Sinon, la deuxième option est de prendre le bus jusqu’à la piscine et ensuite j’ai le choix de m’y rendre en bus ou à pied. Et cela me rend aussi mal à l’aise.»

Une dernière option s’offre cependant à Olivier, qui ne le réjouit pas davantage : «Je peux prendre le bus jusqu’à la gare, puis me rendre à l’agence se trouvant place de l’Hôtel-de-Ville. Mais c’est compliqué car il y a toujours beaucoup de monde et puis cela reste dangereux comme coin… Cela dit, je ferai mon choix en fonction de la mutation de ma conseillère. De manière plus générale, je pense également aux problèmes liés aux personnes âgées.»

Mauvaise surprise pour le bourgmestre de Winseler

Il a appris la nouvelle par le biais de Facebook. Romain Schroeder, le bourgmestre de la commune de Winseler, qui comprend la section de Pommerloch, où se trouve un grand centre commercial, se dit «très furieux» de la fermeture prochaine de l’agence bancaire située dans le centre commercial.

490_0008_15224829_knauf_shopping_center_1«Je suis extrêmement fâché de la manière de faire de l’État», souligne-t-il après avoir appris la nouvelle «via un confrère bourgmestre d’une autre commune qui a découvert, lui, la nouvelle sur Facebook. Ce n’est pas une manière de communiquer ce genre de chose, surtout que la Spuerkeess est une banque 100% étatique et non privée !», s’indigne-t-il. De surcroît, quelques jours avant cette annonce, il avait eu une réunion avec la direction du centre commercial et personne n’était au courant de quoi que ce soit, selon ses dires… De plus, le bourgmestre indique avoir reçu «de nombreuses réclamations et interrogations d’administrés» à la suite de ladite annonce.

«La population de la commune est fâchée, car il s’agit de la seule banque dans la commune et cette agence est très fréquentée. L’agence Spuerkeess la plus proche sera, à l’avenir, celle de Wiltz, qui se trouve à une dizaine de kilomètres… Mais là n’est pas la question. En effet, l’agence du centre commercial permettait aux personnes à besoins spécifiques d’y accéder aisément, via les réseaux HELP, Hëllef Doheem, etc., ce qui ne sera pas le cas à Wiltz ! Elles seront donc pénalisées», s’indigne-t-il encore.

A Larochette : «Inquiet pour les personnes âgées»

Stéphane Osorio habite dans la localité de Christnach (commune de Waldbillig), qui se trouve à proximité de Larochette. Il se montre avant tout préoccupé pour les personnes âgées.

Il vit à quelque cinq kilomètres de Larochette, commune concernée par la fermeture de son agence Spuerkeess : Stéphane, 36 ans, est surtout soucieux pour les seniors qui devront s’adapter à cette réorganisation bancaire.

«Où je vis, à Christnach, il n’y a pas de Spuerkeess et il faut se déplacer à Larochette pour trouver la première agence. Je suis d’avis que la fermeture de cette agence est problématique, car il faut penser à l’ancienne génération qui est habituée à traiter ses documents au sein même de la banque. Je pense donc que ce n’est pas la meilleure solution pour l’instant. Dans mon entourage, tout le monde est du même avis. Je pense à mes beaux-parents qui font tous leurs traitements à la banque et qui sont habitués à s’y rendre pratiquement tous les jours», explique le technico-commercial.

490_0008_15224887_5224306_laro1«Ils ne maîtrisent pas l’outil internet…»

Stéphane Osorio se montre en effet inquiet face au phénomène de digitalisation qui ne convient pas à tout le monde : «Je pense que lorsque l’agence fermera, la situation sera délicate parce qu’internet n’est pas un outil que les personnes âgées maîtrisent forcément. Cela posera quelques problèmes et je nourris une certaine inquiétude envers les personnes âgées.»

De son côté, par contre, il ne se fait pas trop de mauvais sang : «Pour ma part, je vais rarement à la banque, car je fais tout sur internet. Mais les autres personnes devront se rendre soit à l’agence de Junglinster, à 10 km environ, soit à Mersch ou à Diekirch, qui se trouvent à une distance comprise entre 10 et 15 km. Ce sera un peu délicat, surtout pour ceux qui n’ont pas de voiture… mais il restera toujours le bus.»

«Il faut un minimum de services publics à Rumelange !»

Les habitants rencontrés rappellent qu’ils vivent sur un territoire qui a le statut de «ville».

Un Rumelangeois pure souche, rencontré dans un restaurant de la ville, s’indigne lorsqu’il évoque la fermeture prochaine de l’agence de Rumelange, située place Grande-Duchesse-Charlotte : «Comment vont faire les personnes âgées ? Elles devront soit se rendre à Dudelange, soit à Esch… et les personnes âgées ne sont pas toutes mobiles!», souligne-t-il. Et d’évoquer la situation à laquelle seront confrontés les plus jeunes : «Ils devront se déplacer et cela aura une incidence sur les émissions de CO2. De manière générale, il n’y a pas que les banques qui ferment, il y a aussi les guichets de poste. Bref, tout ferme ! Or Rumelange est une ville ! Il faut donc un minimum de services publics ici !»

490_0008_15224897_rumUn deuxième résident, qui sort justement de l’agence bancaire en question, est sur la même ligne : «Je vais devoir rouler jusqu’à l’agence de Kayl, qui se trouve à environ 2 km. Sinon, il y a un bus toutes les 15 minutes. Cela dit, même si Rumelange est une petite ville, elle dispose du statut de « ville » et cette agence, qui existe depuis très longtemps, appartient à notre ville… C’est tout ce que j’ai à dire !»

Réunions de crise, lettres à la direction et au gouvernement…

Selon les informations du Quotidien, une réunion de crise a eu lieu jeudi dernier (20 février) à Roeser, sur invitation du bourgmestre Tom Jungen. Ses homologues des dix autres communes concernées par des fermetures d’agences Spuerkeess avaient été conviés. Au terme de cette réunion, qui a duré environ deux heures, les onze bourgmestres (le bourgmestre de la commune Parc Hosingen, Romain Wester, était représenté par son échevin Guy Trausch) ont été unanimes pour critiquer la décision. Les élus ont blâmé la communication de la part de la direction de la Spuerkeess et, par extension, du gouvernement.

Il a également été acté d’adresser une lettre de revendication à la direction de la Spuerkeess et d’envoyer une copie de la missive au Premier ministre, Xavier Bettel, ainsi qu’à son ministre des Finances, Pierre Gramegna. De plus, les onze bourgmestres tiendront une conférence de presse vendredi à 10h30 à la maison communale de Roeser. Dès l’annonce de la fermeture de onze agences à travers le pays, certains bourgmestres s’étaient exprimés sur les réseaux sociaux.

Tom Jungen et Henri Haine, le bourgmestre de Rumelange, avaient fait part de leur mécontentement tout en s’interrogeant sur la pertinence d’une telle décision pour les clients, notamment pour les plus fragiles et âgés. Le bourgmestre de Rumelange a rappelé que l’agence Spuerkeess était présente dans la commune depuis 1881, soit 139 ans. Même constat pour Natalie Silva, la bourgmestre de la commune de Larochette. L’élue n’avait pas hésité à envoyer une lettre au ministre des Finances, Pierre Gramegna, pour lui faire part de son étonnement face à cette décision. La bourgmestre y avait exprimé sa «consternation et sa désapprobation» face à la décision de fermer une agence Spuerkeess présente dans la commune depuis 1862.