Depuis 2016, l’ASBL Digital Inclusion vient en aide à tous ceux qui sont exclus du numérique en fournissant des ordinateurs et des smartphones et en dispensant des cours d’informatique.
Des tours d’ordinateur usagées qui forment un bureau dès l’entrée; partout, des postes informatiques; plus loin, un atelier de réparation avec une multitude d’écrans et de câbles… Impossible de se tromper lorsqu’on arrive au 16 rue d’Épernay à Luxembourg : nous nous trouvons bien au cœur d’une ASBL dédiée au numérique ! Il s’agit de Digital Inclusion, une association qui se bat depuis 2016 pour l’inclusion numérique, comme son nom l’indique.
Ici, on apprend à se servir d’un ordinateur ou à le réparer. Les après-midi, un atelier de réparation ouvert à tous est en effet organisé, pour que tout un chacun puisse dispenser bénévolement son savoir-faire en la matière ou à l’inverse venir apprendre la maintenance informatique, «même en partant de zéro», précise Patrick de la Hamette, ingénieur en informatique et fondateur de l’association.
«On propose différents modules, comme remplacer l’écran d’un ordinateur portable ou installer les logiciels d’exploitation d’Apple. Nous certifions ces modules, donc quelqu’un qui passe beaucoup de certificats ici est en mesure de prouver qu’il est à même d’effectuer des réparations. Du fait que c’est en pleine semaine, les participants sont surtout des personnes sans activité, comme des chômeurs ou des demandeurs de protection internationale. Nous avons eu des retraités aussi», précise Patrick de la Hamette.
Les réparations et mises à jour concernent les ordinateurs que l’association reçoit par le biais de dons de particuliers ou d’entreprises. Les données sont bien sûr complètement effacées au moyen d’un logiciel spécifique. «Impossible de les récupérer ensuite», assure Patrick de la Hamette.
Accès au numérique et économie circulaire
Une fois remis à neuf (et marqués du logo de l’ASBL pour éviter la revente), les appareils sont distribués à des personnes dans le besoin au Luxembourg, sélectionnées avec les offices sociaux du pays. «La participation aux ateliers est ouverte à tout le monde, mais la distribution et la réparation des ordinateurs personnels sont réservées aux gens dans le besoin. Nous offrons aussi une garantie « après don » et nos bénéficiaires peuvent même demander un nouvel ordinateur d’occasion lorsque le leur est devenu trop obsolète», souligne le fondateur de Digital Inclusion.
L’an passé, pas moins de 750 ordinateurs ont ainsi été distribués à des ménages en situation de précarité, dont 300 durant le premier confinement, au tout début de la crise sanitaire, à des familles dont les enfants devaient suivre l’école à distance, mais qui ne possédaient pas d’ordinateur.
Ce projet participatif permet donc de venir en aide aux plus précaires, mais aussi de diminuer un peu son empreinte carbone. «En conservant un ordinateur que l’on n’utilise plus, celui-ci deviendra complètement obsolète au bout de quelques années seulement. Nous préférons le remettre dans le circuit afin qu’il soit réutilisé le plus rapidement possible.»
Car la question de la consommation des ressources liées au monde digital – très polluant, que ce soit en termes de matières premières (avec de surcroît des conséquences sur la stabilité de certaines régions) ou de consommation d’énergie, notamment pour le stockage des données – est inquiétante : le numérique pourrait ainsi représenter 7% de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2040, plus que ce qu’émet actuellement le transport aérien !
Des cours adaptés
Dans une approche globale, Digital Inclusion offre non seulement des ordinateurs mais aussi des cours d’«alphabétisation numérique», adaptés aux besoins et à l’origine des bénéficiaires de ces cours, qui sont pour la grande majorité d’entre eux des migrants. «On fait toujours des entretiens sociologiques lorsqu’on remet les ordinateurs, ce qui donne une idée de l’origine des bénéficiaires et de leurs besoins en matière d’inclusion numérique. Il y a des gens qui ne savent pas utiliser une souris d’ordinateur, car il existe des régions du monde où il y a moins de numérisation qu’ici évidemment, explique Patrick de la Hamette. On les aide dans des langues représentatives des populations migrantes de l’extérieur de l’Europe, car ce sont elles qui ont la plus grande lacune.»
Ainsi, l’ASBL a constaté qu’une majorité d’Érythréens n’a jamais possédé un ordinateur. Comme ils sont représentatifs de la population réfugiée au Grand-Duché, un cours basique est dispensé dans leur langue maternelle par un ancien réfugié érythréen.
Les Syriens, quant à eux, ont presque tous eu accès à un ordinateur Windows, mais configuré en arabe. Il s’agit alors plutôt de leur proposer des cours (en anglais ou en arabe) destinés au réapprentissage de principes déjà connus, mais sur un ordinateur configuré en français et en anglais. «Toujours avec cette idée de faciliter l’accès au marché de l’emploi», souligne Patrick de la Hamette.
Activité et autonomie
C’est en effet après plusieurs rencontres avec des réfugiés que Patrick de la Hamette, ingénieur en informatique, a l’idée fin 2015 de monter ce projet à vocation à la fois sociale et écologique. «J’ai alors constaté qu’il y avait un grand besoin d’activités. La plupart de ces réfugiés étaient par exemple dans l’attente d’un cours de français ou d’une réponse concernant leur statut, qui leur permettrait alors de chercher du travail. Je me suis dit qu’un ordinateur serait une bonne réponse à tout cela : grâce à un ordinateur, on peut communiquer, mais aussi apprendre. Cela permet d’avoir une certaine autonomie pour utiliser son temps de façon productive pour soi-même», explique-t-il.
Sans hésiter, ce citoyen engagé depuis son adolescence se lance. Au début, il vient en aide à deux Syriens certains dimanches après-midi dans son grenier. Mais face au potentiel qu’il devine d’un tel projet, il décide de fonder dès mars 2016 une ASBL afin «d’aider tous ceux qui, au Luxembourg, pour des raisons matérielles ou financières, sont exclus du monde digital».
Digital Inclusion peut dès lors se développer davantage, en particulier grâce au soutien de l’Œuvre Grande-Duchesse Charlotte, auquel sont venus s’ajouter à partir de 2018 celui du ministère du Travail et celui du Fonds social européen. Grâce à ces contributions, Digital Inclusion peut aujourd’hui employer 16 personnes, équivalant à 11 temps plein.
«On essaie de rendre les bénéficiaires actifs dans le projet. On a donc des réfugiés qui aident des réfugiés et des chercheurs d’emploi qui nous aident à former d’autres chercheurs d’emploi», résume Patrick de la Hamette, qui est même passé à 75% de son temps sur le plan professionnel afin de pouvoir davantage se consacrer à l’ASBL, pour laquelle il s’engage bénévolement.
«C’est important pour moi d’aider les autres, mais de façon moderne : je ne le fais pas par charité, j’aime donner à d’autres personnes la capacité de s’aider elles-mêmes. Donner un ordinateur, ce n’est pas un cadeau, mais une clé pour s’aider soi-même. C’est le principe central de ce projet.»
Tatiana Salvan
Recycler son GSM
Outre son ordinateur, il est aussi possible de faire don de son téléphone portable. Digital Inclusion et son partenaire logistique la Post mettent pour cela à la disposition des clients dans les boutiques Post Telecom des enveloppes estampillées «Mobile Bag». Il suffit d’y glisser son mobile et de remettre le paquet aux agents ou directement à son facteur.
Caritas et l’ASBL Aarbechtshëllef, également partenaires du projet, recyclent ensuite les matières premières des téléphones les plus anciens, tandis que Digital Inclusion récupère et répare si nécessaire les smartphones plus récents pour les redistribuer ensuite aux personnes dans le besoin, après concertation avec les offices sociaux. L’an passé, 175 smartphones ont ainsi pu être donnés.
Voilà un moyen là encore d’aider des personnes en situation de précarité en leur donnant accès aux nouvelles technologies et en permettant par ailleurs de créer des emplois solidaires ainsi que des opportunités d’apprentissage, mais aussi de faire un geste en faveur de l’environnement.