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Differdange : devoir de mémoire contre Covid-19


Scène hallucinante, mercredi devant Mittal-Differdange, où une commémoration de la 2nd Guerre mondiale a posé problème (Photo : DR).

ArcelorMittal a un temps refusé aux parents d’une victime des nazis durant la grève générale (1942) de commémorer sa mémoire, invoquant les restrictions sanitaires. Au final, la raison l’a emporté.

Face à l’entrée réservée à la direction d’ArcelorMittal, mercredi matin, rue Émile Marck, à Differdange, trois membres de la famille Toussaint, encadrés et soutenus notamment par les syndicalistes de l’OGBL Jean-Claude Bernardini et Stefano Araujo, faisaient grise mine : Marie-Josée, Mariette et Raphaël Toussaint sont, en effet, comme leur nom l’indique, des parents d’Ernest Toussaint, mineur gréviste de Differdange durant la grève générale de 1942 qui a été fusillé dans le camp de concentration nazi de Hinzert, le 3 septembre 1942.

«Nous avons eu ordre de ne laisser passer personne»

La situation apparaît bien plus triste et ridicule que cocasse… En effet, la belle-fille (Marie-Josée), la petite-fille (Mariette) et l’arrière-petit-fils (Raphaël) du gréviste résistant à l’occupant allemand Ernest Toussaint se voient refuser l’entrée sur le site d’ArcelorMittal. «Nous avons eu ordre de ne laisser passer personne», indiquent les gardiens, inflexibles, au poste de garde d’ArcelorMittal où une barrière empêche les Toussaint de pénétrer sur le site. Car la famille souhaite, comme chaque année, venir commémorer la mémoire de son parent Ernest, mais aussi la grève générale.

Bernardini (OGBL) : «C’est scandaleux!»

Les syndicalistes sont montés au filet (Photo : DR).

Les syndicalistes sont montés au filet (Photo : DR).

Car, comme le rappelle Stefano Araujo, secrétaire central responsable pour le syndicat sidérurgie et membre du bureau exécutif de l’OGBL, «Dans le cadre des commémorations de la grève générale de 1942 a lieu, le 2 septembre de chaque année, une commémoration à l’intérieur du site d’ArcelorMittal à Differdange, non loin du portail d’entrée. Mais la direction du site de Differdange a informé les représentants du personnel qu’il n’y aurait pas de cérémonie cette année, pour cause de Covid. Sous pression, la direction est peu après revenue sur sa décision, en indiquant qu’elle organiserait tout de même une cérémonie, mais « une cérémonie à la va-vite ». À celle-ci ne devaient être conviés que deux membres des délégations du personnel, dont celui de l’OGBL, ainsi que deux membres de la direction. Face à cette situation, nous avons interpellé la direction en lui rappelant que chaque année, des membres des familles des disparus exécutés en guise de répression de la grève générale par les nazis venaient se recueillir ici. Il y aussi des militants et des membres de la section OBGL qui y assistent tous les ans.»
Le syndicat évoque par-là «un soutien solennel symbolique, ainsi qu’un devoir de mémoire».
Pour Jean-Claude Bernardini, qu’on ne présente plus, «c’est scandaleux et c’est du grand n’importe quoi! Le Covid n’est qu’un prétexte et la direction, par ailleurs, n’a jamais cessé son démantèlement des acquis sociaux, au fil des années.»
Mais revenons à mercredi matin où, à 9 h, une bonne quinzaine de personnes pacifistes étaient postées devant le portail de l’entrée réservée aux patrons du site du groupe sidérurgique, à l’initiative de l’OGBL qui avait prévu une commémoration sur le trottoir, devant le portail. En effet, la veille au soir (mardi), la direction avait à nouveau refusé de convier des personnes externes au site. «Nous sommes de la famille d’Ernest Toussaint et souhaitons uniquement commémorer sa mémoire ainsi que celle de tous les grévistes tombés pour avoir participé à la grève générale de 1942», répétera Mariette Toussaint aux gardiens du site, à plusieurs reprises. La symbolique de la barrière baissée, devant laquelle passeront des membres de la direction sans s’en approcher, fait penser à un dialogue de sourds.

ArcelorMittal sauve son honneur… Ouf !

Fort heureusement, après quelques coups de fil, dont un appel à Michel Wurth (le président du C.A.) ainsi qu’à d’autres cadres de l’entreprise, Mariette Toussaint obtiendra gain de cause. Tout comme l’OGBL. Autorisée à pénétrer à l’intérieur du site en compagnie des membres de sa famille, Mariette Toussaint en ressortira 45 minutes plus tard, émue aux larmes, après avoir pris part à deux cérémonies : «Je viens ici tous les 2 septembre, depuis toujours, car mon grand-père a été fusillé parce qu’il s’est engagé dans la grève générale contre l’occupation allemande. C’est émouvant pour moi, car il y a un monument à l’intérieur du site sur lequel figure le nom de mon grand-père… et je pense qu’en ces temps difficiles, il faut se serrer les coudes et non agir les uns contre les autres!» À bon entendeur!