L’impôt foncier va être multiplié par 20 à Diekirch, à partir du 1er janvier 2021, pour les propriétaires de terrains constructibles qui se refusent à bâtir. L’objectif est de mettre la pression pour que des habitations soient construites. Ce grand coup de volant montre l’urgence face à la pénurie de logements.
«En cette période de pénurie sur le marché de l’immobilier, Diekirch veut obtenir des résultats concrets», déclare le bourgmestre Claude Haagen dans les colonnes du Tageblatt. La mesure a été annoncée lundi en conseil communal. Le bourgmestre donne l’exemple d’un propriétaire qui paye 190 euros d’impôt foncier par an pour une parcelle constructible nue : il devra payer 3 800 euros par an à partir de 2021. Un discours qui tranche avec la plupart des souhaits émis par les bourgmestres du Sud (Esch, Dudelange, Pétange…) qui rappellent sans cesse leur volonté de moins construire, face à des habitants qui les pressent d’arrêter de bétonner. Ainsi lundi dans nos pages, le bourgmestre de Dudelange Dan Biancalana expliquait : « Dudelange est une commune qui a toujours grandi de façon modérée. Il s’agit d’un choix délibéré ».
Quels effets potentiels pour Diekirch ? Si l’augmentation est drastique sur le papier, pas sûr que quelques milliers d’euros incitent des propriétaires à lâcher dans la précipitation des terrains qui valent parfois plusieurs millions d’euros. Selon l’Observatoire de l’immobilier, les prix des terrains à bâtir ont augmenté de façon régulière au Luxembourg autour d’une moyenne de +6,1% par an entre 2010 et 2017 ! Même si le Nord est moins côté, il n’y a pas de meilleur placement « facile » en ce moment !
Ce que l’on sait de la crise
On le sait, la construction immobilière est un vrai défi pour le Luxembourg. Le pays a besoin de créer environ 15 000 nouveaux emplois chaque année pour maintenir sa croissance à 3% (et donc son régime social), à productivité constante. Problème, un employé n’arrive pas seul au pays : il faut compter une moyenne de 2,4 personnes par foyer (enfant, conjoint…) Du coup, même en excluant les natifs qui occupent un nouvel emploi et qui sont déjà installés, on peut facilement estimer que c’est une nouvelle ville de la taille de Dudelange (21 500 hab.) qu’il faudrait au moins construire chaque année ! Impossible, quand on sait que la construction plafonne au maximum autour de 5000 unités de logements par an (les chiffres font débat entre le gouvernement et les observateurs du marché telle que l’Union des propriétaires), et plus certainement autour de 2600 unités en moyenne ces dernières années (Statec). Ajoutons à cela un retard de construction de logements estimé à 30 000 unités… et l’on comprend aisément (ce n’est pas le seul paramètre actif) que la majorité des nouveaux salariés sont chaque année des frontaliers, plutôt que des résidents : sur les 31 194 nouveaux emplois crées entre début 2017 et début 2019, 17 710 (soit 56,8%) étaient occupés par des frontaliers.
Les clefs de la politique urbaine remises aux voisins
La politique du logement luxembourgeois est donc en réalité majoritairement externalisée sur les pays voisins. C’est à la foi un gain financier important pour le Grand-Duché (moins d’argent public à investir en termes d’urbanisme ou d’équipements publics du style école). À la fois une politique risquée : les clefs du développement urbain de l’aire «Grand-Luxembourg» (1,3 millions d’habitants, dixit la Fondation Idéa) sont confiées à des pouvoirs étrangers et morcelés (Wallonie, communes, Grand-Est, Land allemand…), qui n’ont pas la capacité financière pour mieux se connecter au cœur économique du pays (trains bondés, projets routiers dans les tiroirs). Et de plus en plus, qui n’ont pas forcément un intérêt à accentuer leur dépendance à l’économie grand-ducale : problème du manque à gagner fiscale sur la part des entreprises, bataille du recrutement dans des secteurs clefs comme la santé ou la numérisation.
Hubert Gamelon