Deux chefs issus de l’école d’Alain Ducasse ont formé les professeurs de la Hotelschoul de Diekirch aux nouvelles tendances culinaires. Un pas de plus vers l’excellence pour l’école.
Les professeurs aussi doivent parfois se remettre à niveau. Certaines formations continues sont toutefois plus alléchantes que d’autres. Dans le cadre de deux journées pédagogiques, les professeurs de l’École d’hôtellerie et de tourisme du Luxembourg (EHTL) ont eu le privilège, vendredi et samedi, de pouvoir échanger des techniques culinaires avec Luc Debove et Julian Mercier, deux chefs formateurs de Ducasse Education, l’école du célèbre chef français, avec qui l’école a signé un accord il y a deux ans.
Dans une des cuisines de l’école, des toques blanches s’affairent autour d’un immense plan de travail. L’une d’elles est meilleur ouvrier de France à en juger par les couleurs tricolores du col de sa veste. Il s’agit de Luc Debove, champion du monde 2010 de glace. L’homme conseille sa brigade d’un jour sur la manière de réaliser des pâtisseries aux légumes. «Nous avons choisi la thématique de cette formation pour nous adapter aux nouvelles tendances culinaires et les transmettre à nos élèves», indique Ronald Thill, professeur de pâtisserie à l’EHTL, alors que derrière lui règne un bruit aussi assourdissant qu’inattendu pour quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds dans une cuisine professionnelle. «Nous aimons participer à ces formations. Elles nous apportent beaucoup. En ce qui me concerne, j’ai quitté le terrain il y a longtemps et je trouve précieux de pouvoir découvrir ce qui se fait aujourd’hui et pouvoir m’y essayer pour ne pas être à la traîne. C’est important si nous voulons dispenser un enseignement de qualité.»
Vendredi, les enseignants de l’école ont donc appris à pâtisser avec moins de sucre, à travailler les légumes autrement et à préparer des pâtisseries véganes et pas uniquement aux légumes. «Je suis dans le métier depuis 35 ans et je constate à quel point les quantités de sucre ont été revues à la baisse, souligne le professeur. Les gens n’ont plus les activités physiques de nos grands-parents. Ils n’ont plus besoin d’autant d’énergie pour fonctionner. Une remise en question de nos manières de faire n’est pas plus mal, d’autant que nous disposons de moyens pour remplacer le sucre, qui est mauvais pour la santé, sans que cela ait une grande influence sur le goût au final.»
Ce choix de thématique aurait également été influencé par les interrogations des élèves eux-mêmes. «Certains trouvent les recettes que nous leur communiquons trop sucrées et nous poussent à nous interroger. Leur souhait est inconscient, mais nous l’avons perçu, indique le pâtissier. Idem avec les légumes qu’on a tendance à oublier, surtout quand, comme nous, on a une formation classique qui exclut les légumes de la pâtisserie. Il faut s’adapter à l’époque.» Au programme : glace aux graines de courge, millefeuille d’aubergine à la crème légère aux grains de vanille, gâteau de voyage butternut et châtaigne, sorbet à l’huile d’olive ou encore feuille à feuille de chocolat au maïs.
«L’EHTL, un secret longtemps négligé»
Loin des bruits de batteurs et d’ustensiles de cuisine qui s’entrechoquent, dans l’ambiance plus feutrée du restaurant de l’école, son directeur depuis trois ans, Michel Lanners, assiste à une formation sur le thé. «Les deux chefs de Ducasse Education sont présents pendant deux jours à nos côtés avec deux autres formateurs. C’est la troisième fois qu’ils nous envoient des chefs», note-t-il. L’école a été fermée pour l’occasion. «Nous voulons continuer à travailler avec Alain Ducasse, notamment pour donner des formations en commun. Nous sommes complémentaires. (…) Nous devons nous donner les moyens d’être reconnus.» Sans toutefois perdre de vue les élèves de l’école qui doivent pouvoir bénéficier de ces savoirs. Deux élèves ont d’ailleurs eu la chance de pouvoir participer aux formations. «Ils sont en dernière année de formation de cuisinier. Ils sont plus mûrs que les autres, plus ouverts et plus responsables», explique le directeur.
Michel Lanners est fier de son école et des enseignements qu’elle prodigue : «C’est un petit secret qui a été négligé et je ne ménagerai aucun effort pour en faire un bijou, même si nous ne concurrencerons jamais les grandes écoles mondiales. J’aimerais en faire un bijou de la Grande Région duquel on dirait qu’il représente l’excellence en matière d’hospitalité, d’hôtellerie, de gastronomie et de tourisme.» L’exigence est grande et le directeur accorde autant d’importance à ce qui sort de ses cuisines qu’aux compétences sociales. Il prône l’hospitalité dans son sens large. Pendant que Michel Lanners dévoile sa vision, dans les cuisines, on s’affaire toujours. Les premières assiettes sont dressées et prêtes à être dégustées. Les professeurs sont fiers de ne pas avoir perdu la main et d’avoir découvert de nouvelles choses. Aux détours d’un couloir, Ronald Thill avoue «attendre la prochaine formation avec impatience».
Sophie Kieffer
«Les échanges font grandir»
Luc Debove transmet son savoir à des cuisiniers et des pâtissiers du monde entier. Vendredi, il a montré les bases d’une pâtisserie inclusive et joué avec le sucre.
L’idée des formations de Ducasse Education est de faire des échanges. Qu’allez-vous transmettre aujourd’hui aux professeurs de l’école ?
Luc Debove : Les échanges nous font grandir dans notre métier. Quand nous préparons les concours de meilleur ouvrier de France, nous nous penchons sur des problématiques sur lesquelles nous ne nous penchons pas en temps normal. Cela peut être comment désucrer les macarons sans perdre en texture et en durée de conservation, comment suivre la saisonnalité ou les demandes des véganes. Cette réflexion nous pousse à trouver des produits de substitution qui permettent de garder le goût et les propriétés de la pâtisserie. En ce moment, je leur apprends comment préparer une glace végane en créant notre propre crème végétale et en réfléchissant aux moyens de substituer l’œuf tout en conservant sa viscosité.
Les produits utilisés sont des produits naturels qui ont toujours existé. Pourquoi ne les a-t-on pas utilisés plus tôt ?
Aujourd’hui, nous disposons de la technologie qui nous permet de les utiliser. Avant, on faisait de la fécule de pomme de terre. Aujourd’hui, je peux précisément en retirer ce qui m’intéresse parce que les fabricants parviennent à en séparer les composants. En tant que chefs, nous devons utiliser le moins d’adjuvants possible.
Il suffit d’observer, d’analyser ce qui existe et ce qui peut être fait
Au menu de ce cours, il y a exclusivement des pâtisseries aux légumes.
C’était une demande des professeurs. Les gens ne savent plus utiliser les légumes. Prenez la tourte aux blettes de Nice. Elle est sucrée. Je vais juste la réadapter au goût de notre époque et moderniser sa présentation. Il suffit d’observer, d’analyser ce qui existe et ce qui peut être fait. Nous allons préparer un gâteau au céleri. Très peu de gens savent qu’il a un arrière-goût de noix et de pommes. Nous l’exhaustons et retravaillons sa texture.
Quels sont les moyens de remplacer le sucre ?
Nous avons plein de sucres différents à notre disposition dont nous maîtrisons l’utilisation. Encore une fois, nous n’avons rien inventé. Ils existent depuis de nombreuses années, mais on commence à peine à mieux les connaître pour les utiliser. La stévia, par exemple, est un arôme. Ce n’est pas un sucre, mais elle donne 400 fois l’équivalent du pouvoir sucrant. Le xylitol, le sucre du bouleau, a un indice glycémique de sept, donc très faible, et permet aux personnes diabétiques de manger des pâtisseries ou des desserts.
N’est-il pas préférable de manger un bon gâteau sucré une fois de temps en temps que d’en manger plusieurs qui le sont moins ?
Tout excès n’est jamais bon. Mieux vaut manger un bon gâteau avec juste ce qu’il faut dedans que de manger un gâteau fait avec de mauvais produits. Maintenant, notre rôle est aussi de ne pas laisser les personnes qui ont des problèmes de santé sur le côté en leur apportant des possibilités. Je fais du chocolat blanc sans protéines animales pour les personnes allergiques au lactose.