La Fondation Idea propose d’utiliser le chèque-repas comme un outil de relance économique dans le secteur de la restauration.
Avec la généralisation du télétravail, le secteur de la restauration peine à retrouver sa clientèle, notamment lors du service de midi. Pour donner un petit coup de pouce à ce secteur, la Fondation Idea, la cellule de réflexion de la Chambre de commerce, a mis une idée sur la table : faire du chèques-repas un élément de relance économique.
L’idée est la suivante : durcir les conditions d’utilisation des chèques-repas pour soutenir le secteur de la restauration. Il s’agirait d’obliger les bénéficiaires de chèques-repas à les utiliser uniquement pour le paiement de leur déjeuner.
L’idée ne va pas plaire à tous. La Fondation Idea en est bien consciente : «Nous savons qu’il n’y aura pas un consensus sur le sujet, mais c’est aussi notre rôle de proposer des idées qui ne font pas consensus. En l’occurrence, trouver des solutions rapides et faciles à mettre en place pour aider des secteurs comme par exemple l’Horeca», explique Sarah Mellouet, l’économiste auteur de l’idée.
Pour revenir à la question du chèque-repas, ce dernier est largement utilisé. «Au Luxembourg, 18 % des salariés bénéficient de chèques-repas, de repas gratuits ou d’une cantine, soit plus de 75 000 personnes, dont 26 % ont des responsabilités managériales», précise l’économiste. Seul problème, dans la pratique, le chèque-repas n’est pas uniquement utilisé pour permettre aux salariés de manger à midi. En effet, il est accepté dans les supermarchés, même si sur le tapis de caisse les produits ne sont pas uniquement destinés à se restaurer. Même chose dans les stations-services. L’un dans l’autre, rien de bien grave dans la mesure où personne n’y trouvait rien à redire.
Mais avec la crise sanitaire, les restaurateurs tirent la langue. «Le secteur de l’hôtellerie, restauration et cafés (Horeca) a été lourdement touché par la crise de la Covid-19. Durant le confinement décidé par les autorités pour des raisons de santé publique, il a ainsi accusé une baisse de 90 % de son taux d’activité par rapport à la normale et vu la part de ses salariés en chômage partiel atteindre 85 % en avril, puis 70 % en mai et 50 % en juin. Malgré le déconfinement et la réouverture des établissements, l’avenir demeure assombri pour de nombreux professionnels de la restauration», souligne Sarah Mellouet avant d’ajouter : «Obliger à utiliser le chèque-repas dans la restauration n’est finalement qu’un rappel à la loi.»
C’est déjà inscrit dans la loi
Effectivement, en regardant la législation en vigueur (loi du 10 décembre 1986, complétée par le règlement grand-ducal du 29 décembre 1986), un chèque-repas se définit comme «un titre non négociable d’une valeur déterminée, émis par un employeur à l’usage strictement personnel de son salarié, permettant au salarié de prendre au cours d’une journée de travail tout ou partie d’un repas principal auprès d’un restaurateur».
Il est précisé que les chèques «doivent comporter un espace réservé où sont à inscrire la date d’utilisation du chèque et la désignation du restaurateur ayant servi le repas». Selon l’Inspection du travail et des mines (ITM), ils n’ont pour but «que de permettre au salarié de prendre un repas chez un restaurateur au cours d’une journée de travail».
En théorie, ces chèques-repas ne peuvent donc pas être utilisés en dehors du travail, le soir, le week-end ou en congé. «Je ne dis pas que c’est la solution pour sauver la restauration, mais alors que le télétravail est très répandu et que les salariés bénéficiaires les utilisent moins en ce moment, on se retrouve avec une manne d’argent dormant alors qu’elle pourrait être un outil de soutien à la relance. On pourrait aussi limiter dans le temps cette restriction ou la moduler, tout est envisageable», explique Sarah Mellouet.
Cent millions d’euros de pertes
Le chèque-repas n’est pas seulement destiné à permettre aux salariés de se restaurer. Il permet aux patrons de donner un avantage en nature peu fiscalisé à leurs salariés au lieu d’augmenter leurs salaires. Là aussi, patron et salariés sont gagnants. Dès lors, obliger les salariés à dépenser le chèque-repas dans les restaurants alors qu’un grand nombre de bénéficiaires l’utilise pour régler les courses du mois pourrait être mal perçu par l’opinion publique très soucieuse de son pouvoir d’achat.
«Encore une fois, le but n’est pas de toucher aux acquis ou de rogner sur le pouvoir d’achat. Mais il faut noter qu’un salarié sur cinq au Luxembourg bénéficie de chèques-repas et que 25 % de ces salariés ont des fonctions managériales», rappelle l’économiste. Autrement dit, le salarié précaire au salaire minimum n’est pas l’archétype du bénéficiaire des chèques-repas.
La répercussion de la crise sanitaire et du recours massif au télétravail sur le secteur de l’Horeca est immense. Si par la suite le télétravail se généralise, le manque à gagner pour le secteur sera tout aussi considérable. «Imaginons que la moitié des salariés du Luxembourg effectue un jour de télétravail par semaine et déjeune à domicile. Cela représente 220 000 repas perdus, au prix moyen de dix euros, soit plus de cent millions d’euros de perte de chiffre d’affaires par an», analyse Sarah Mellouet.
Reste à savoir si la sphère politique va trouver cette idée assez bonne pour la mettre en place.
Jeremy Zabatta