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Des baies et des Bêêêêê!


(Photo : Romain Van Dyck)

Dans notre série des «zones naturelles à protéger», voici la plus petite : une lande  à genévriers, près d’Echternach. Une plante unique en son genre au Luxembourg!

Il existe au Luxembourg un arbuste pas comme les autres.

Ses baies sont consommées depuis la préhistoire. Elles font partie des rares épices que l’Occident exportait aux quatre coins du monde. Dans l’Antiquité, on s’en servait déjà pour créer des parfums, pour teindre des tissus… ou guérir des maux. Un poème médiéval chante ses vertus : «Bonne pour le poumon, sa baie aromatique, dissipe encore l’accès de toux vive et bronchique. Elle expulse du corps un venin dangereux. Son grain brûlé, de tête, apaise un mal affreux.» Au XIXe siècle, ses cendres étaient utilisées dans les hôpitaux pour combattre les épidémies.

Et de nos jours? On se plaît à utiliser ses baies parfumées dans nos plats, mais rares sont ceux qui en connaissent encore les bienfaits. D’autant que cet arbuste est devenu tout aussi rare dans nos contrées…

Pour le trouver, nous suivons Georges Moes dans la belle région du Mullerthal. À quelques pas d’Echternach, se trouve le village bucolique de Geyershaff.

On se demande où l’on va trouver une zone naturelle digne d’intérêt au milieu de ces parcelles agricoles et forestières bien rangées. Mais notre guide ne s’occupe pas de la planification d’espaces naturels à la Fondation Hëllef fir d’Natur pour rien.

Un coin broussailleux apparaît au milieu des champs. On y voit des arbustes qui pourraient passer pour des sapins hirsutes. Mais des petits fruits noirs sont accrochés sous leurs épines. On en croque un, et une envie de gibier et de choucroute chatouille nos papilles : des baies de genièvre!

On connaît les baies de genièvre pour leur senteur forte et boisée qui parfume les sauces au vin, gibiers, terrines, choucroutes...

On connaît les baies de genièvre pour leur senteur forte et boisée qui parfume les sauces au vin, gibiers, terrines, choucroutes…

«Cette réserve fait 1,4 hectare. Elle est certainement une des plus petites zones naturelles à protéger au Luxembourg, explique Georges Moes. C’est une petite perle dans une grande zone Natura 2000. Car les genévriers sont les seuls résineux originaires du Luxembourg. Les autres, comme les épicéas par exemple, ont été importés. Mais le genévrier est une plante indigène menacée.» Le morcellement des paysages ont en effet détruit la population de ce cousin du cyprès.

Il a aussi été éradiqué à cause d’un champignon qui le parasite et qui peut provoquer des maladies sur les arbres fruitiers comme les poiriers.

Résultat, la réserve Geyersknapp est une des dernières landes à genévriers du pays : «Ici, on estime que la population est de 1 000 plants. On en a une autre à Junglinser, de 2 500 plants, mais ailleurs, on n’en trouve pratiquement plus.» C’est pourquoi cette lande est sur la liste des «zones protégées d’intérêt national à déclarer».

Projet de cultures

Il faut savoir que le genévrier est une plante pionnière. C’est-à-dire qu’elle est une des premières à pousser lorsque le sol est nu. «Ici par exemple, dans les années 50, il n’y avait aucune végétation, donc il y a eu une explosion de genévriers.»

Ceux que nous voyons ont donc une soixantaine d’années, sachant qu’ils peuvent vivre plusieurs centaines d’années. «C’est la plante typique des sites qui ont été pâturés pendant des centaines d’années, car les moutons nettoient le sol, or il faut que la baie tombe sur un sol nu pour germer.»

Jusqu’ici, faute de moutons, des fauchages étaient effectués en hiver. Mais c’est coûteux et pas aussi efficace qu’un pâturage estival. Mais bonne nouvelle, cette année, les boules de laine sont de retour sur la lande (lire ci-dessous).

Mais ce coup de pouce ne suffira pas pour faire grandir la population de genévriers. «On doit cultiver des jeunes plants de genévriers. On veut en produire près de 4 000 pour renforcer les petites populations isolées dans le pays, et créer en quelque sorte des corridors de genévriers. C’est une plante qui a une pollinisation grâce au vent, donc si on crée un corridor, cela améliorera les résultats.»

La culture n’est pas aisée, étant donné que les baies sont de moins en moins fertiles : «Seulement 1 % des graines sont fiables pour germer. Cela devrait être plus, mais on ne sait pas pourquoi, sa fertilité a baissé.»

Bref, le défi est de taille, mais l’enjeu aussi : sauver cette plante typique du Luxembourg de la disparition…

Romain Van Dyck

Les moutons sont de retour

Georges Moes, notre guide, à côté de cette mignonne boule de laine.

Georges Moes, notre guide, à côté de cette mignonne boule de laine.

Alors que nous parcourons la lande où le berger itinérant Florian Weber est passé la veille, on découvre qu’il nous a laissé une sympathique surprise : une brebis et ses deux agneaux tout juste nés! «Elle a accouché hier, donc le berger les a laissés pour qu’ils se reposent, et il viendra les récupérer après», explique Georges Moes (photo). Les agneaux ont encore le cordon ombilical qui pendouille, mais ils sont déjà vigoureux et suivent leur mère entre les genévriers. «C’est la première année où on a un pâturage sur ce terrain. C’était compliqué, car le site appartient à moitié à la fondation, et l’autre à des propriétaires agricoles, qui les laissent en friche, mais qui n’étaient pas forcément favorables à laisser un pâturage. Finalement, ça s’est arrangé», se réjouit-il. Le rôle des moutons n’est pas que de brouter l’herbe pour mettre le sol à nu. Ils diminuent aussi la pression des autres végétaux, comme les pruneliers dont les rejets sont mangés.