Une réunion publique s’est tenue mardi soir à Tétange sur le thème des réfugiés, à l’initiative notamment de l’échevin à l’intégration de Kayl. Les habitants veulent aider, mais appellent aussi à ne pas «être naïfs» sur les droits des femmes.
La confrontation avec l’opinion publique était périlleuse sur un tel sujet. Mais l’exercice s’est avéré réussi. Mardi soir, à l’hôtel de ville, à Tétange, élus et partenaires institutionnels de l’accueil des réfugiés ont pris le pouls des habitants : que pensent-ils de l’arrivée des réfugiés? Quels gestes sont-ils prêts à faire?
Une kyrielle de spécialistes (ASTI, associations des droits de l’homme, Croix-Rouge, etc.) ont d’abord fait un point sur le dossier . En résumé : les demandes d’asile explosent (0,4 % de la population globale…), mais la situation n’est pas nouvelle. En 1999, déjà, la guerre des Balkans avait provoqué des afflux supérieurs à ce que le Luxembourg connaît aujourd’hui ( lire ci-contre ). En clair, soyons patients et organisés, tout se passera bien. Dans le public, les interventions après une heure d’exposé ne se sont pas fait attendre.
La vision de la femme en question
Entre les lignes, de nombreux habitants expriment un sentiment mitigé. D’une part, ils témoignent d’une envie très claire de se rendre utile. « Que puis-je faire en tant qu’individu? », questionne un grand-père. « Les chefs d’entreprise vont-ils être contactés? », demande un autre.
D’autre part, est exprimée l’exigence de transparence sur les enjeux de l’intégration, principalement sur la vision de la femme. « Vous dites que ces populations sont « comme vous et moi », lance une dame. Mais nous avons des mentalités différentes, il ne faut pas s’en cacher si l’on veut réussir l’intégration. Vous êtes trop naïfs, c’en est inquiétant. Le rôle des femmes dans les sociétés d’où viennent les réfugiés me pose problème, vous comprenez? »
Le représentant de l’ASTI s’empresse de nuancer. « Le machisme est partout, au Luxembourg aussi nous avons des problèmes avec la parité (…) Je suis d’origine portugaise et la mentalité vis-à-vis des femmes est aussi différente. Il faut traiter le problème d’une façon globale, ne pas stigmatiser une population en particulier .»
Une sociologue spécialiste de l’islam prend ensuite le relais. « Le rôle de la femme dans ces sociétés n’a pas de lien avec la religion, cela relève plutôt de la tradition. » Puis, très maladroitement, alors que le débat n’avait pas (encore) glissé sur le sujet : « Vous savez, les femmes qui portent le voile chez nous sont souvent des femmes fortes. On les dit soumises, mais elles s’affirment comme minorité visible avec beaucoup d’aplomb. » De quoi susciter l’exaspération de la salle.
C’est alors que l’échevin à l’intégration de Kayl, Patrick Brücher (déi gréng), intervient : « Je ne peux pas vous laisser dire ça madame. Notre société est fondée sur l’athéisme humaniste. Je ne doute pas que chaque religion puisse apporter des choses positives. Mais nous devons rester vigilants. Nous avons eu du mal à conquérir certaines libertés, ce n’est pas pour retomber dans une forme d’obscurantisme. On a le droit de critiquer certaines traditions, comme certains interprétations littérales du Coran où la femme doit toujours être prête pour l’homme. »
Salve d’applaudissements. Le représentant de l’ASTI souhaite reprendre le micro pour citer des passages violents de la Bible, mais il est stoppé par le modérateur du débat : « On ne va pas passer la soirée à faire des études théologiques comparées, ce n’est pas le thème… »
«Ni naïfs ni stigmatisants»
La parole est alors redonnée à une femme, une jeune « féministe et humaniste », précise-t-elle d’emblée. « Il faudra marteler la vision occidentale de la femme de façon claire. Il y a beaucoup de jeunes hommes dans les réfugiés, beaucoup de « testostérone ». Il faudrait faire comme le Canada : anticiper l’immigration par famille entière plutôt qu’individuellement .» Une représentante de la Croix-Rouge : « C’est la guerre, on n’anticipe pas l’immigration comme dans un schéma classique… » Le directeur du Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (Cefis) : « Nous donnerons des formations interculturelles aux intervenants dans les foyers. Ne soyons ni naïfs, ni stigmatisants. »
Plus tard dans la soirée, l’affaire de Cologne est aussi évoquée, alors que, rappelons-le, ce sont des immigrés maghrébins et visiblement mafieux qui sont soupçonnés d’être en cause, donc, ni des Syriens ni des Irakiens. On le voit, il y a encore du chemin à faire et « des rencontres concrètes pour mieux se connaître », suggère une intervenante. Car, pour le reste, au-delà de la question de l’insécurité culturelle de la femme, les habitants du Sud se sont montrés chaleureux et prêts à ouvrir leurs portes, comme d’habitude.
Hubert Gamelon
L’asile en chiffres
Le Luxembourg a enregistré 2 447 demandes d’asile en 2015, soit plus du double par rapport à 2014. Les dossiers sont longs à traiter : impossible de dire combien de demandes seront acceptées. La moitié d’entre elles émanent de réfugiés syriens ou irakiens, fuyant donc des pays en guerre. Ces dernières années, le taux moyen d’acceptation des demandes d’asile était de 25 % et concernait principalement d’anciens pays des Balkans.
Ce taux est amené à être beaucoup plus élevé à l’avenir, car la situation des réfugiés syriens et irakiens (ces derniers, dans une moindre mesure) cadre avec les critères de l’asile.