Le vigneron bio Jean-Paul Krier (domaine Brier-Bisenius, à Bech-Kleinmacher) vient tout juste de sortir le premier Pét Nat du pays, un vin mousseux produit le plus naturellement possible avec juste du raisin et un peu de levure.
L’histoire débute sur sa terrasse, lors du premier confinement en 2020. Jean-Paul Krier débouche une de ces bouteilles de Pét Nat qu’il a ramenée d’un voyage dans la Wachau (NDLR : le long du Danube, en Basse-Autriche). «Nous avions visité plusieurs domaines bios, ils élaboraient tous un Pét Nat qu’ils appelaient d’ailleurs sous cette dénomination française. Sur place, j’avais trouvé ça intéressant et j’en avais acheté plusieurs», se remémore-t-il. Ces bulles lui avaient bien plu, mais cette bouteille du confinement était encore un cran au-dessus. «L’idée d’en produire moi-même me trottait dans la tête, mais celui-là était tellement bon qu’il m’a convaincu d’essayer moi-même !» Lui qui, avec son compère Jemp Stronck (domaine Stronck-Pinnel, à Greiveldange), a été l’un des premiers vignerons indépendants à produire des crémants, n’allait pas être effrayé par la nouveauté !
La première étape était de choisir les bons raisins. Pas évident en cette année 2020 qui a vu des maturités très élevées. Les Pét Nat sont des vins qui doivent rafraîchir et surtout pas saturer. «J’ai composé un assemblage avec cette idée qu’il fallait surtout faire attention à l’alcool potentiel», explique le vigneron. Son idée originelle était d’utiliser ce gewurztraminer aux arômes si fruités et flatteurs qu’il aime tant, mais leur taux de sucre élevé ne l’a pas permis. Si Bacchus le veut, ce sera pour l’année prochaine : «Il faut s’adapter à ce que la nature nous donne.»
Immédiatement après les vendanges, les raisins parfaitement sains ont macéré pendant 36 heures à 4 ° sous de la neige carbonique. Ils ont ensuite été pressés, mis en cuve et le jus s’est naturellement clarifié par gravitation. «Nous n’avons gardé que le jus clair, au sommet de la cuve», précise Jean-Paul Krier. Lorsque les lies sont descendues au fond, le moût a été ensemencé avec la levure. La température de la cuve a été maintenue à 13 ° pour que la fermentation soit lente et le fruité conservé. Un mois plus tard, le futur Pét Nat était embouteillé et stocké dans une pièce à 18 °. Si la température est montée, «c’est pour faciliter la fermentation qui a toujours plus de mal à se faire en bouteille, à cause de la pression exercée par le CO² sur les cellules de la levure».
2 000 bouteilles de Natur Pur
Le vendredi 21 mai, le premier Pét Nat du pays a été dégorgé chez Jemp Stronck (ils se partagent les installations). Le dégorgement, c’est l’étape où l’on expulse les lies rassemblées et congelées dans le goulot de la bouteille, juste en amont du bouchage définitif. «Avant d’aller sur les machines, j’ai essayé différentes techniques sur les pupitres de ma cave, souligne Jean-Paul Krier. J’ai pris des notes et repris la meilleure méthode pour programmer les gyropalettes (NDLR : qui effectuent le même travail mécaniquement).» Il ne restait plus qu’à étiqueter les bouteilles, ce qui a été fait mardi dernier : le Natur Pur est donc désormais sur le marché.
«Ce qui me plaît, sourit Jean-Paul Krier, c’est la façon dont est produit ce vin. Il n’y a rien d’autre que du raisin et un peu de levure dans la bouteille. Il n’y a aucun autre ajout : pas de soufre (NDLR : le laboratoire de l’Institut viti-vinicole n’en a pas détecté, il y en a donc moins de 8 mg/l, produit par la seule fermentation), pas de sucre, pas de produit pour coller (NDLR : afin d’agglutiner les lies pour clarifier le vin), pas de gaz carbonique… Après le dégorgement, le niveau a été rectifié avec ce même vin : rien d’autre. Impossible de faire plus naturel! Mais ça ne veut pas dire que c’est simple pour autant. Au contraire, cette vinification est très technique. Il faut être précis dans tout ce que l’on fait parce qu’il n’y a aucun moyen de corriger quoi que ce soit. C’était un pari risqué, mais je suis content du résultat. Pour une première, je trouve ça pas mal !»
Le Natur Pur est d’ores et déjà disponible au domaine (10,70 euros) et vraisemblablement bientôt dans certaines grandes surfaces. Si le marché est encore balbutiant au Luxembourg, Jean-Paul Krier a bon espoir que sa nouvelle étiquette trouve des amateurs. Seules 2 000 bouteilles sont disponibles et il serait étonnant qu’elles restent en cave au-delà de l’été… Frais, léger, sans sucre résiduel : le Natur Pur est un pur vin de plaisir. Un produit de niche? Aussi, peut-être. Mais il n’est pas requis de vivre comme un bobo assumé pour apprécier ces bulles. Être un hédoniste curieux suffira amplement !
De notre collaborateur Erwan Nonet
Domaine Krier-Bisenius, 91, route du Vin à Grevenmacher. Tél. : 23 66 92 06. Courriel : krierjp@pt.lu.
Des bulles nouvelle vague
La présence des Pét Nat est encore assez discrète au Grand-Duché, mais il ne fait aucun doute que la hype des vins natures qui frappe les grandes capitales finisse par arriver chez nous. À Paris, Londres ou New York, la question n’est pas de savoir si les clients vont aimer mais si les tenanciers vont en avoir assez pour les rassasier!
Le Pét Nat surfe en effet sur la mode du retour à l’essentiel. Du raisin, rien que du raisin et surtout pas de maquillage pour rendre la mariée plus belle qu’elle n’est. Comme leur nom l’indique, les Pét Nat sont des pétillants naturels. Des bulles produites selon la pratique la plus ancienne, appelée parfois méthode ancestrale, bien différente de celle du champagne ou du crémant. Pour ces derniers, les vignerons élaborent d’abord des vins de base, les assemble puis lancent la deuxième fermentation en bouteille grâce à l’adjonction d’une liqueur. Les bulles naissent lors de cette dernière étape. Pour faire un Pét Nat, une seule fermentation suffit. Il faut l’embouteiller alors que le vin n’a pas encore terminé sa seule fermentation.
Jean-Paul Krier voit son Natur Pur comme un vin de copains, un vin de partage que l’on descend à belles lampées sur une terrasse. Pour mieux en profiter, il ne faut d’ailleurs pas hésiter à l’aérer pour le dégazer un peu et l’arrondir. Le souhait du vigneron a été de créer un nouveau vin qui n’entre pas en compétition avec le crémant. «C’est un tout autre produit, ils n’ont pas du tout la même personnalité. Pour moi, le Pét Nat est le contraire d’un vin snob. On peut faire ce que l’on veut avec. J’aime bien le couper avec des oranges ou un pamplemousse pressés. Et pourquoi pas y mettre des glaçons ? Lorsque l’on passe un après-midi entre amis, cela dure parfois longtemps et boire un vin à 12° ou 13 ° tout du long, ça peut faire beaucoup… Avec un Natur Pur allongé : il n’y a plus de problème !»
Super !