Une enquête de Reporter.lu met en lumière la zone d’ombre du crassier, sur le plan tant légal qu’environnemental. Les députés s’en mêlent, les entreprises tentent de calmer le jeu.
Coup dur pour l’image de Differdange, la ville qui porte le leadership environnemental dans le sud du pays. Une enquête d’une consœur de Reporter.lu, publiée mardi, allume les pleins phares sur une zone d’ombre de la cité : le crassier de Gadderscheier. Le «crassier de l’usine», dans la tête des anciens : 150 hectares gérés par des entreprises privées, sur lesquels la commune n’a pas la main.
Au départ, un monument des communes ouvrières : «On y déposait les déchets de la sidérurgie depuis plus de cent ans», explique une mémoire du Sud-Minett. C’était les montagnes de nos vallées : ces cônes gris de «laitier», matière surnageante comme des taches de lait dans le rouge de la fonte, qu’il fallait écrémer à la sortie des hauts fourneaux. Dans une mentalité toute masculine, on jaugeait la taille des crassiers d’une vallée à l’autre, y compris par-delà la frontière. En Lorraine, Longwy avait l’un des plus hauts, 70 mètres dans les années 1960. Quelques anecdotes sont restées mémorables : le «SOS Emploi» lumineux en 1979, installé par les syndicalistes au sommet pour alerter de la crise. Ou encore, ce soir d’hiver enneigé et froid, dans les années 1980, où quelques âmes savoyardes avaient descendu les 70 mètres… en ski. Sacré hors-piste !
Les montagnes ont disparu, le laitier a servi à refaire des routes ou des lignes de train depuis. Y compris à Differdange, où le crassier est une sorte de carrière à ciel ouvert.
Aucune autorisation claire
Loin de tout ce romantisme en noir et blanc, l’enquête de Reporter.lu pose la question de la légalité actuelle du crassier de Differdange, et de sa constitution en matières polluantes. À peine l’enquête publiée, le député DP Gusty Graas en reprenait les éléments, mercredi, pour une question adressée à la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg.
Le député qualifie le crassier de «décharge qui n’aurait jamais été autorisée», et qui serait «également utilisée pour éliminer des déchets toxiques de manière illicite». Reprenant l’article de Reporter.lu, Gusty Graas pointe du doigt le risque d’infiltration de la Chiers par des «métaux lourds émanant de la décharge».
Il se demande si la ministre est au courant de la situation. Et dans le cas contraire, si des actions vont être menées pour vérifier l’impact environnemental des faits énoncés dans l’article. Dans la journée de mercredi toujours, on apprenait que la question serait traitée en commission à la Chambre, le 22 janvier à 11h. En attendant, le parquet grince et tout le monde marche avec des patins. Un agent du ministère de l’Environnement a confirmé à Reporter.lu que le crassier doit être considéré comme «illégal». Aucune autorisation claire n’aurait jamais été émise.
Du côté des entreprises qui interviennent sur le site, on calme le jeu. Pour ArcelorMittal, propriétaire de l’usine et d’une partie du crassier, les faits présentés tels quels «comportent plusieurs inexactitudes». Les vœux qui seront présentés par l’entreprise aujourd’hui seront l’occasion d’en savoir plus.
«Nous ne sommes pas seuls sur le crassier»
Du côté du gouvernement, également propriétaire d’une partie du site, le ministère de l’Environnement nous répond qu’il n’y aura pas de «commentaire sur le sujet avant la convocation de Carole Dieschbourg, devant la Chambre des députés la semaine prochaine».
Un dernier acteur se retrouve un brin dans l’embarras, mais accepte de jouer cartes sur table avec la presse. C’est l’entreprise Cloos, gestionnaire du site et spécialiste des crassiers et des terres de chantier au Grand-Duché. Les responsables s’expriment avec retenue. «Les dépôts « litigieux » se trouvent sur une partie du crassier (NDLR : ouest) à laquelle nous n’avons pas accès, finit par lâcher l’un d’eux. Nous gérons une grande partie du crassier, mais nous ne sommes pas propriétaires, ni même unique gestionnaire, vous comprenez? Nous ne sommes pas seuls sur le crassier.»
Que fait l’entreprise Cloos sur le crassier alors, précisément ? Pendant des années, Cloos a géré le réemploi du «laitier» en question, en lien avec des projets de construction notamment. «Mais tout le laitier ancien a été écoulé aujourd’hui. Désormais, nous retraitons les scories noires : c’est la matière que l’on récupère des fours électriques de l’usine, et non plus des hauts fourneaux.» Ces scories – concrètement des genres de cailloux noirs – sont utilisées dans le bâtiment ou la construction de route par exemple.
Voilà pour les activités actuelles, qui ne sont pas en lien avec une décharge donc.
Toutefois, l’entreprise Cloos a effectivement un projet de décharge sur le site de Differdange, «dont nous avons lancé les procédures depuis deux ans maintenant, et qui n’a pas débouché pour le moment». Il s’agirait de gérer des déchets industriels qui ne sont pas réemployables. «En respectant toutes les normes», nous précise-t-on. «Nous n’avons pas de feu vert pour cette activité pour le moment. Ce dossier n’a donc non plus rien à voir avec les dépôts litigieux», conclut encore l’entreprise.
Hubert Gamelon