Alors que la ministre de la Santé annonce une prise en charge pour les personnes atteintes de Covid long, une patiente raconte comment le virus a bouleversé sa vie.
Difficile de savoir combien ils sont. Ils n’apparaissent dans aucune statistique au Luxembourg. Et pour cause, les médecins du pays n’ont reçu aucune consigne pour signaler ces patients venus consulter pour des symptômes post-Covid qui s’éternisent. Plusieurs études indiquent que 10 à 20% des personnes ayant développé une forme légère à modérée du virus, et jusqu’à 60% de celles plus gravement atteintes, souffriraient ensuite de Covid long.
Si leur calvaire est désormais reconnu à la fois par l’OMS et le gouvernement qui lance un projet-pilote, quand c’est arrivé à Lotte, l’année dernière, le manque de connaissances et l’incrédulité dominaient encore. Cette jeune femme de 38 ans, habitante de Niederanven, a dû traverser cette épreuve seule face à ses interrogations et ses symptômes handicapants, qui l’ont forcée à arrêter son travail et à se séparer de ses enfants.
Nous sommes en mars 2020. Lotte et son mari sont infectés par ce nouveau virus dont on ne sait quasiment rien. Ils sont d’ailleurs les premiers de leur commune à être touchés. Les premiers patients Covid de leur médecin généraliste aussi. Au début, la pimpante trentenaire ne s’inquiète pas : «Contrairement à mon mari, qui avait une forte fièvre et des nausées, mon état était plutôt bon. On n’a pas eu besoin d’être hospitalisés donc on s’est dit que ce serait l’histoire de quelques jours», raconte Lotte.
Effectivement, au bout de trois semaines, son mari se rétablit. Mais pas elle. «On a repris notre vie, nos activités avec les enfants, mais j’ai soudain réalisé que mon corps ne suivait pas. À la moindre promenade, mon cœur s’emballait et j’avais de la température.» Incompréhensible pour cette jeune maman sportive, membre d’une équipe de hockey et fan de vélo qui n’a jamais eu de souci de santé. «Je pensais récupérer rapidement. Jamais je n’aurais imaginé que la convalescence durerait si longtemps : c’est une histoire sans fin», confie-t-elle aujourd’hui, après 16 mois de lutte contre des symptômes post-Covid qui ne la quittent pas – épuisement, douleurs musculaires, essoufflement, palpitations cardiaques.
«Les médecins répétaient qu’ils ne savaient pas»
Alors que, totalement guéri, son mari reprend son travail deux mois après l’infection, Lotte, qui enseigne le néerlandais dans une école de la capitale, n’a plus la force d’assurer ses cours, même en ligne. Faire tourner une machine est devenu compliqué. Tout comme s’occuper de ses petits de 4 et 6 ans. «Mon mari étant souvent en déplacement, je n’y arrivais plus. J’ai dû me résoudre à envoyer mes enfants chez leurs grands-parents, pour me protéger.» Un vrai déchirement pour cette «maman poule», qui ne va la soulager que quelques semaines, car au début de l’été, elle ne va toujours pas mieux. Le couple engage une jeune fille au pair pour l’assister.
Les nombreux médecins et spécialistes qu’elle consulte ne font pas le lien avec son infection au Covid, elle qui n’a même pas été hospitalisée. «Les examens ne donnaient rien. Ils répétaient qu’ils ne savaient pas ce que j’avais», déplore la patiente, qui doit insister auprès de son généraliste pour qu’une prise en charge au Rehazenter soit enfin envisagée. Là-bas, elle suit un entraînement intensif de trois mois pour renforcer ses muscles : «C’était comme se préparer pour les Jeux olympiques», décrit-elle. Neuf mois après le début de la maladie, elle retrouve un peu d’énergie et d’espoir. Lotte y rencontre aussi d’autres patients, alors qu’elle se sentait si seule jusque-là.
«Je n’ai pas d’autre choix que d’accepter ce nouveau moi»
Et ses efforts payent : les tests montrent une amélioration de ses fonctions pulmonaires, unique variable prise en compte par la CNS pour justifier un suivi au Rehazenter. Lotte doit donc quitter le centre, alors que ses autres symptômes sont toujours là. «Il y a des lacunes dans le système», reconnaît alors son médecin, dépité, qui l’oriente vers des séances de kinésithérapie. Mais l’intolérance à l’exercice revient et ses muscles la font de nouveau souffrir.
Lotte comprend qu’elle va devoir vivre avec ces troubles désormais. Depuis, son quotidien oscille entre des jours «avec» et des jours «sans» : «Je n’ai pas d’autre choix que d’accepter ce nouveau moi», dit-elle, résignée. «Je me sens comme une vieille batterie… difficile à recharger et qui se vide très vite. Je dois organiser mes journées autour de périodes de repos, sinon c’est la rechute», rapporte la jeune femme, qui confie que cette épreuve est la chose la plus difficile qu’elle ait vécue.
Dans l’incertitude quant à l’évolution de son état de santé, Lotte espère pouvoir retrouver ses élèves à la rentrée, après un arrêt de travail d’un an et demi. Elle souhaite également que les autorités luxembourgeoises reconnaissent officiellement les patients comme elle, organisent leur prise en charge, informent les médecins correctement, et communiquent davantage auprès du grand public pour faire connaître ce «syndrome post-Covid».
Christelle Brucker
Un parcours de soin bientôt en test
À partir du 1er août, les patients atteints de Covid long pourront bénéficier d’une prise en charge complète grâce à un projet-pilote à un million d’euros.
Près d’un an et demi après les premiers cas de Covid au Luxembourg, le pays se dote d’un parcours de soin dédié aux patients qui, des mois après leur infection, se débattent toujours avec des symptômes aux conséquences lourdes sur leur vie personnelle comme professionnelle. Un temps nécessaire, selon la ministre de la Santé, pour effectuer «un travail de préparation et d’analyse» mais aussi pour «rassembler des expériences de terrain» afin d’établir la meilleure prise en charge possible.
Celle-ci passera par l’instauration, dès le 1er août, de critères standardisés à l’attention des médecins généralistes et spécialistes, qui seront désormais en mesure d’orienter les patients concernés vers une toute nouvelle «consultation Covid long» : au programme, un parcours clinique complet et coordonné, totalement couvert par la CNS.
Après un bilan au sein du service national des maladies infectieuses du CHL, le patient rejoindra, selon ses besoins thérapeutiques, soit le Rehazenter, soit le domaine thermal de Mondorf. Concernant ce processus, la ministre insiste sur l’importance «d’éviter un parcours diagnostic long et épuisant».
Pour 700 patients au départ
Le projet-pilote, dont le coût dépasse le million d’euros, est prévu pour une durée de six mois et pour 700 patients dans un premier temps, soit 1% seulement des 70 000 personnes infectées par le Covid au Luxembourg. Mais Paulette Lenert annonce d’emblée que le dispositif pourra être étendu, cette phase de test servant précisément à se faire une idée des besoins réels de cette patientèle nouvelle.
On parle de Covid long quand au moins un des symptômes initiaux parmi lesquels fatigue, troubles neurologiques, cardiaques, perte du goût, de l’odorat, douleurs articulaires, troubles digestifs ou encore cutanés, persiste au moins trois mois après la phase aiguë d’infection. La ministre se dit «interpellée» par le fait que «de nombreux patients voient leur vie se briser, ne parviennent pas à reprendre leurs activités habituelles et souffrent de maux qui les privent de leur vie d’avant.»
Le traitement consiste principalement à de la rééducation : respiratoire en cas de troubles pulmonaires, olfactive s’il y a perte de l’odorat, musculaire pour retrouver du tonus. Et le volet psychique ne sera pas exclu puisqu’un soutien psychologique sera proposé aux patients anxieux ou dépressifs.
Enfin, pour documenter les différentes étapes de cette prise en charge globale, un comité de pilotage scientifique établira une base de données nationale – qui faisait défaut jusqu’ici, comprenant les éléments clé de l’évolution des patients, et échangera avec d’autres experts internationaux sur les bonnes pratiques à mettre en œuvre.
C.B