Auteur de La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Guillaume Pitron donnera mercredi à Luxembourg, une conférence qui trouve sa place dans le débat sur le type de croissance que le Grand-Duché veut développer à l’avenir. Un sujet brûlant de la campagne électorale.
La transition énergétique et la numérisation de l’économie sont présentées comme solutions possibles à la crise écologique. Un avis que vous ne partagez pas?
Guillaume Pitron : Grâce au numérique, on fait des villes intelligentes. Les objets connectés permettent d’être relié à un réseau bourré d’algorithmes et de capacité numérique pour adapter la consommation d’électricité ou répondre au besoin exact de telle ou telle personne, de telle ou telle population à un instant donné. Ça permet de faire de l’efficacité énergétique. Cela montre qu’il n’y a pas de greentech décarbonée sans numérique pour améliorer ses capacités. L’un et l’autre vont ensemble. Mais ce sont deux familles de technologies considérablement polluantes. D’un côté, le greentech emploie des matières premières rares indispensables à la fabrication d’une majorité d’éolienne, de panneaux solaires et de voitures électriques. De l’autre côté, le numérique, qui est mis à contribution pour cette efficacité énergétique, est aussi consommateur de ces ressources puisqu’on trouve ces matières rares dans toutes les technologies numériques, du capteur au terminal tel que votre téléphone portable, le cloud, les outils de traitement… De même, le numérique consomme de l’énergie. Cela fait deux familles de technologies aux coûts environnementaux s’additionnant et personne ne semble vraiment prendre conscience de l’impact de cette transition.
Pourtant, les politiques qui en font la promotion parlent d’un passage à une économie propre. Peuvent-ils ignorer ce problème pourtant connu depuis des années?
Parfois le politique n’est même pas au courant de tout cela et il peut y avoir une réelle sidération à découvrir ces impacts. Et puis l’extraction des métaux rares se passe loin d’ici. On a délocalisé la production de ces matières dans des pays qui sont prêts à sacrifier leur environnement. Le fait que cela se passe loin retarde la prise de conscience et la volonté d’agir. Le fait que les politiques et plus largement le public ignorent ces réalités est un problème culturel et d’éducation. Parfois aussi, on se voile la face. Le monde d’abondance dans lequel nous vivons a débarrassé les deux dernières générations de la peur de manquer. On a des produits de plus en plus évolués, toujours plus transformés, y compris pour l’alimentation. L’on ne s’interroge pas davantage sur la provenance des carottes qu’on mange que du pétrole que l’on met dans son réservoir ou des métaux rares qui se trouvent dans nos téléphones. Cette acculturation sur ces questions fondamentales de ressources premières dont dépend notre mode de vie touche tout le monde, jusqu’aux dirigeants.
Un angle mort?
Oui, mais quand vous conduisez, l’angle mort ce sont les 3 ou 4 degrés qui échappent à votre vision quand vous tournez. Mais sur ce sujet, l’angle mort est de 180 degrés. L’information existe, mais elle est éparpillée. On me dit souvent : « Oui j’ai vu passer ces informations, mais elles sont parsemées, clairsemées. » Les gens sentaient, pressentaient le problème, mais il fallait peut-être une enquête qui rassemble tout cela de façon cohérente, démontrant qu’il y a un impact environnemental, économique et géopolitique.
En Afrique : Ce monde numérique tout puissant […] fonctionne avec des matières premières.
Un exemple tragique de ces impacts est celui de la République démocratique du Congo (RDC) où tantale et cobalt, entre autres, sont un des enjeux du conflit qui a provoqué la mort de six millions de personnes ces 25 dernières années…
Dans mon livre, je veux expliquer cette matérialité de l’invisible car tout le monde pense que des choses comme le cloud ou un mail sont impalpables, alors que ce monde numérique tout puissant est parfaitement palpable, fonctionne avec des matières premières. Ce qui se passe en Afrique est directement relié à notre propos. L’Afrique devient un acteur de premier plan pour ces matières premières, derrière la Chine. C’est notamment le cas pour la RDC avec le tantale et le cobalt. La province congolaise du Katanga produit deux tiers du cobalt dont le monde a besoin. Il faut une vingtaine de kilos de cobalt pour produire une batterie de voiture électrique. Or tout le monde aujourd’hui ne jure plus que par l’électrique. Logiquement la demande explose, les prix s’envolent et tout le monde se rue sur le Katanga pour avoir sa part, car sans cobalt on n’a pas de batteries. En ce sens, le Congo est déjà l’Arabie saoudite du cobalt. Mais derrière cela, il y a des enjeux graves comme le travail des enfants dans les mines.
Et qui sont les acheteurs?
La Chine a sécurisé 80 % des mines de cobalt et achète ainsi 80 % du cobalt produit par les Congolais. Elle l’exporte directement vers la Chine pour servir ses propres industriels de la voiture électrique. La Chine est l’un des grands gagnants de la transition énergétique. Elle ne veut pas nous vendre des batteries, mais des voitures électriques, des technologies évoluées. Pour ces raisons, la RDC et l’Afrique en général pour d’autres matières premières deviennent le terrain de nouveaux affrontements économiques.
Le bénéfice pour les populations locales reste mince.
Que fait Kabila, le président congolais? Il dit que le cobalt est une telle source de revenus pour le Congo qu’il faut multiplier les taxes par cinq, les faisant passer de 2 % à 10 %. C’est bien la moindre des choses que peut faire l’État dans l’intérêt de ses citoyens. Mais ce que Kinshasa devrait faire, c’est forcer les pays qui achètent à ne pas exporter le minerai brut, les obliger à le transformer sur place. Il faut que la valeur ajoutée générée sur le territoire reste sur place.
Ne reproduit-on pas les mêmes erreurs qu’avec le pétrole et le charbon au XIXe siècle, où on a fait fausse route par méconnaissance, alors que cette fois, le coût environnemental de ces technologies est connu?
On s’est engagé dans cet âge du métal il y a 20 ans et cette tendance commence à monter en puissance, sans qu’elle soit pour autant arrivée à maturité. Elle est en train de devenir tellement importante que brusquement elle montre ses effets concrets. Certains l’avaient peut-être compris, comme les Chinois ou les Japonais qui ont toujours un coup d’avance car ils ont une stratégie qui leur fait saisir les enjeux de matière. Il y a ceux aussi qui ont vu la souffrance subie par les populations autour des mines, sur le plan sanitaire et environnemental. Mais ici, en Europe, personne ne l’a vu.
On ne règlera pas le problème de l’impact de l’homme sur les écosystèmes en passant du pétrole aux métaux rares.
Mais c’est désormais le cas…
En effet, on ne peut pas dire qu’on ne connaît pas ces effets sur l’environnement. Mais on ne règlera pas le problème de l’impact de l’homme sur les écosystèmes en passant du pétrole aux métaux rares. Toutes les problématiques, qu’elles soient géopolitique, environnementale et socioéconomiques qui entouraient l’extraction du pétrole, nous les répercutons dans le monde des métaux rares, avec des effets différents. De plus, les métaux rares ne se substituent pas au pétrole, ils s’y additionnent. Pour l’instant, c’est toujours plus de pétrole. Même si sa part baisse de façon relative dans les mix énergétiques, en réalité le pic de consommation de pétrole est maintenant annoncé pour 2040, ce qui veut dire qu’on va continuer à consommer toujours plus de pétrole. On additionne une nouvelle géopolitique de l’énergie, mais au nom d’une transition qui serait sobre. Quand en France on parle de « transition énergétique et solidaire », on se demande bien ce que veut dire solidaire? Nous avons bien fait des progrès technologiques, mais avons-nous fait des progrès humains, avons-nous fait des sauts de conscience?
Selon vous?
Je ne sais pas. Je ne suis ni écolo ni adepte de la décroissance. Je suis journaliste, j’ai fait une enquête basée sur tous les chiffres possibles, les rapports les plus sérieux et tout cela me saute à la figure. Einstein disait : « On ne règle pas un problème avec le mode de pensée qui l’a créé. »
Entretien avec Fabien Grasser
«La guerre des métaux rares ou la face sombre de la transition énergétique» : conférence de Guillaume Pitron, ce mercredi 20 juin à 12 h 15 à L’Altrimenti, 5 avenue Marie-Thérèse, Luxembourg. Plus d’informations ici.
Passer de l’âge de la propriété à celui de l’usage?
Quelles sont les pistes pour ne pas reproduire les mêmes erreurs?
Il y en a beaucoup : d’ordre économique, industriel, écologique. D’un point de vue économique, à court terme, nous sommes les grands perdants des règles que nous avons imposées à nos adversaires. Ces règles, c’est l’idée que la main invisible du marché s’occupe de tout et que la stratégie ultime c’est de ne pas avoir de stratégie car le marché décide de tout. Or, à ce jeu-là, on a été dépouillé de nos filières industrielles, de la mine jusqu’au produit fini. Les Chinois ont des filières de métaux rares, mais sur ces sujets ils ne pensent pas en capitalistes. Du coup, ils nous ont pris à notre propre jeu. À court terme, l’enjeu est de réinverser cette tendance, de réintroduire une filière intégrée. Il faut créer une économie circulaire qui fonctionne avec, par exemple, des déchets qu’on retraite et transforme pour les réemployer.
Et à long terme?
C’est plus compliqué car il faut agir sur le besoin. Si on continue à consommer trois téléphones par an, on va contribuer à la destruction des écosystèmes. Il faut réinventer la façon de faire de l’économie en tenant compte du facteur environnemental et de la rareté des ressources. On peut donner un exemple : aujourd’hui, on vous vend un téléphone portable avec l’objectif qu’il soit obsolète le plus vite possible. Si demain on le loue, ce ne sera plus le cas, car il sera dans l’intérêt du loueur qu’il dure le plus longtemps possible. En passant de l’âge de la propriété à celui de l’accès, de l’usage, ça peut changer les paradigmes de pensée et nous amener à des consommations plus raisonnées de ressources. C’est une idée parmi d’autres et beaucoup de gens qui réfléchissent à de nouvelles solutions.
Quelles sont vos sources, Gerldam ?
Même avec la priorité donnée à la sortie du nucléaire, la part de la houille et de la lignite baisse lentement mais régulièrement en Allemagne.
Quelles sont vos sources ?
L’ Allemagne, depuis des années, même avec la priorité donnée à la sortie du nucléaire, baisse régulièrement sa consommation de lignite et de houille ( trop lentement certes).
Ce qui est certain, c’est que cette « tansition énergétique », chère aux écolos-gauchistes est une vaste fumisterie.
L’échec de l’Allemagne, pourtant cuisant, avec de plus en plus d’électricité venant du charbon ou pire, de lignite ets là pour le prouver.