« Éco-trans-faire » veut prouver, par quelques chantiers pilotes dans le Sud, que la cité ouvrière de nos grands-pères est la cité écologique de demain. Écolo, la maison du prolo !
« Éco-trans-faire » veut mener des chantiers de reconversion écologique des cités industrielles. Le groupement européen d’intérêt économique mène différents projets transfrontaliers. Le plus insolite consiste à prouver que les cités industrielles peuvent être les cités écologiques de demain. Son président, Bernard Lahure, nous en dit plus.
Le Quotidien : Éco-trans-faire, c’est de l’écologie transfrontalière concrète, c’est ça?
Bernard Lahure : La structure existe depuis 2008, mais elle a connu un nouvel élan en 2013. Tout est parti d’un échange avec Camille Gira, figure de l’écologie au Luxembourg (NDLR : aujourd’hui secrétaire d’État au Développement durable). Un nouveau programme financier européen (Interreg) se lançait. Il y avait des subventions à prendre pour des projets écologiques porteurs au niveau transfrontalier. Je suis l’ancien maire d’une commune lorraine, Villers-la-Chèvre, agriculteur et passionné des questions environnementales. Nous jouons aujourd’hui un rôle fédérateur entre les opérateurs publics sur des enjeux écologiques entre la France, le Luxembourg, la Belgique et l’Allemagne.
Quel est l’objectif principal?
Miser sur le développement de l’économie locale, au niveau transfrontalier. Ça veut dire travailler avec des petites et moyennes entreprises, en ciblant des écosystèmes locaux, avec un minimum d’intermédiaires. Sur de nombreux enjeux écologiques, les frontières n’existent pas. D’où l’intérêt de la démarche!
Quels sont vos principaux projets?
Nous en menons deux : dans l’écorénovation de l’habitat et dans l’agriculture, avec la transition alimentaire. Nous fédérons des acteurs sur les quatre frontières pour mener des expériences concrètes, à divers niveaux. Pour l’écorénovation, l’idée est de créer une quinzaine de chantiers-laboratoires d’une rénovation écologique réussie (isolation, matériaux de construction écolos, etc.). Pour l’alimentaire, nous visons plus haut, mais nous partons d’une page blanche : permettre aux cantines françaises, belges et luxembourgeoises de nourrir les écoliers avec au moins 20 % de nourriture locale!
Parlons d’écorénovation, puisqu’il s’agit du dossier le plus avancé. Un des projets cible l’habitat minier à Differdange et Villerupt…
L’habitat ouvrier est fondamental dans la transition écologique chez nous : il est mal isolé, donc à l’origine de pertes d’énergie considérables, mais il est moderne au point de vue de la concentration urbaine. En 2016, l’avenir n’est plus à l’étalement urbain qui, par essence, détruit l’environnement. Il y a donc un gros travail d’écorénovation à faire dans les cités minières, avec un potentiel d’une incroyable modernité. Nous avons choisi Differdange et Villerupt, mais ça aurait pu être Longwy ou Esch-sur-Alzette…
En quoi vont consister les travaux à Differdange, concrètement?
Rénover quelques maisons ouvrières typiques avec des chantiers pilotes qui incluent les acteurs les plus en pointe de la Grande Région : universitaires, artisans écologiques, analystes, spécialistes des matériaux renouvelables, de la déconstruction et du recyclage, etc. Le gros problème de la maison ouvrière, c’est l’emploi de matériaux très variés : il a fallu installer les ouvriers rapidement, dans des maisons avec des briques récupérées du laitier (déchets de la coulée des hauts-fourneaux), de bloc de minerai, de briques réfractaires industrielles, etc. Le tout couvert d’enduit.
La plus grosse perte de chaleur de la maison ouvrière vient des murs, pas du toit, contrairement à la plupart des habitats! Il faudra aussi que l’on pense à la production d’énergie autonome par quartier ouvrier : c’est un autre avantage de la concentration de l’habitat, et cela amortira plus facilement le coût d’une écorénovation qui, à première vue, ne vaut pas forcément la peine pour des petites surfaces comme celles des ouvriers d’antan.
Avec quels moyens allez-vous agir?
Principalement des fonds européens, qui vont, je l’espère, nous être accordés sur trois ans. On parle d’une enveloppe globale de 15 millions, donc plusieurs millions pour la seule écorénovation. Mais nous avons d’autres branches d’action sur ce volet, plus rurales, qui visent la réhabilitation écologique des bâtisses en pierre de calcaire ou de grès roses allemand. Tout n’ira pas dans le sud du Luxembourg, nous avons besoin des acteurs publics! On peut imaginer que les maisons ouvrières écorénovées deviendront des logements sociaux, par exemple, ou des structures d’accueil publiques.
Malgré tout, ces projets ne resteront que des chantiers-laboratoires…
Mais nous avons une chance formidable : la maison ouvrière a été conçue sur un modèle duplicable. La maison ouvrière familiale est basée sur le standard de 88 m 2 . Puis l’ouvrier prenait du galon et devenait contremaître et passait dans la maison jumelée avec un petit jardin… Toutes ces habitations sont basées sur le même modèle! Les résultats de nos chantiers-laboratoires seront ouverts à tous. Sur ce point, l’Allemagne (la Ruhr, par exemple) a 20 ans d’avance.
Au Luxembourg, l’immobilier tourne autour de la construction neuve. La rénovation n’est pas dans les mentalités… mais il faudra très rapidement y venir, quand on voit la pression immobilière insoutenable s’aggraver.
Hubert Gamelon