Voilà trois ans qu’elle officie du côté du Glacis, occupée toutefois aujourd’hui à parler à ses patients en vidéoconférence. La sexologue Laura Hendriks évoque pour Le Quotidien les effets de cette étrange période de confinement sur les couples et leur sexualité. Entretien.
Beaucoup disaient, aux premières mesures de confinement, que la crise sanitaire allait engendrer un baby-boom. Pourtant, la promiscuité ne facilite pas le rapprochement. Comment expliquez-vous ce paradoxe, sensible au cœur des couples ?
Toute crise amène une transition. Mais généralement, l’être humain n’est pas très à l’aise pour trouver de nouvelles marques. Il a besoin de ses habitudes (…) Ce qui favorise le rapprochement, l’affection, c’est le fait de se sentir à l’aise : en l’occurrence, exprimer ses besoins et sentir que l’autre vous respecte. De ce fait, durant ces périodes d’adaptation, ce sont les couples les plus fragiles qui en pâtissent.
C’est-à-dire ?
Quand on travaille huit heures par jour, on passe moins de temps à deux, et par là même, les conflits sont plus éloignés. Mais sur une journée entière, ces problèmes de communication et de respect mutuel, prennent de plus amples proportions. Et au bout de la dixième fois où on a l’impression que notre conjoint se moque de vous, ça devient franchement compliqué. Cette crise, c’est un vrai test pour tous les couples.
Mais l’individu change durant cette période. Dans une lettre que vous avez adressée à vos patients, vous évoquez justement une angoisse naturelle devant ce virus, à l’impact et à la durabilité incertaines. Comment alors transformer cette inquiétude en quelque chose de positif ?
Oui, l’inconnu fait peur, surtout que l’être humain envisage toujours le pire. Mais parallèlement, il sait vite s’adapter : le cerveau, progressivement, va en effet avancer les preuves que la réalité n’est pas aussi grave qu’on l’imaginait, permettant d’adopter de nouveaux réflexes, de nouvelles relations.
Vous dites aussi que « si l’esprit n’est peut-être rien sans un corps sain, un corps sain n’est rien sans un esprit heureux »… La gestion d’une crise, ça commence par ça, non ?
Tout à fait! Durant une crise sanitaire, les gens craignent pour leur santé : c’est bien, car ils envisagent ainsi les risques courus, et agissent en conséquence. Mais il faut réaliser que si physiquement on ne tombe pas malade, cette période peut s’avérait traumatique si on ne gère pas l’angoisse, si on oublie, en couple, de communiquer quotidiennement… Le coronavirus ne menace pas seulement le corps, mais aussi la tête.
Quels sont alors les bons gestes à adopter ?
Tout tient dans l’équilibre entre le rapprochement et l’intimité de l’autre. D’un côté, il faut que chacun ait le courage d’exprimer ses besoins et soit à l’écoute de ceux du conjoint. Car quand on se sent écouté, on se sent respecté, ce qui aboutit à admirer l’autre, ce qui, bien sûr, favorise le rapprochement. C’est sur cette base que se développent de petits gestes, de petites attentions, des moments de rire ensemble… De l’autre, il faut admettre que l’être humain doit avoir son espace à lui, son territoire, et ce, pour se ressourcer. Être seul, c’est ne plus être en interaction et ainsi ne plus réfléchir à comment va réagir l’autre en fonction de nos choix. C’est un souffle, un moment reposant pour le cerveau. Si toute la journée on a l’impression que l’autre nous reprend, nous étouffe, ce n’est pas bon. D’où l’importance de s’accorder des moments à soi : prendre un bain, lire un livre…
Pour les couples avec enfants, cette notion de territoire n’est-elle pas encore plus sensible ?
Oui, la famille est un facteur qui rend moins facile la gestion du couple. C’est une difficulté supplémentaire, surtout quand, durant cette période de confinement, on doit jongler entre les devoirs, les repas, le télétravail… D’où, encore, l’importance de communiquer, de se répartir les tâches quotidiennes et ainsi avoir des moments pour soi.
Les jeunes couples et les vieux couples sont-ils égaux face au confinement ?
C’est une fausse idée, générale, que de dire qu’un couple qui dure est un couple qui évite les crises. C’est faux ! Il arrive juste à les surmonter mieux que d’autres. Il a compris comment communiquer. Ce confinement va tester les couples les plus jeunes qui, dans l’absolu, n’ont pas traversé beaucoup de moments de transition compliqués. On peut partir du fait qu’un couple qui dure depuis plus de dix ans, qui est passé par un deuil, des tromperies… et qui est toujours sur pied, arrive plus facilement à surmonter, avec ses moyens, ses méthodes, les difficultés.
Parlons maintenant de sexualité. Il y a un autre paradoxe qui touche les couples durant le coronavirus. Comment, en effet, avoir des rapports sexuels alors que les contacts sont proscris ?
Il faut être bien clair : les gens qui vivent toute la journée sous le même toit, touchent les mêmes objets… ne peuvent pas s’empêcher de se transmettre le Covid-19, pour peu qu’il y en ait un qui soit infecté. Cette raison ne doit pas être un frein à la sexualité.
Et, au contraire, certaines personnes développent-elles une envie accrue de sexe ?
C’est vrai, car, il faut le savoir, le sexe génère des hormones de bien-être, de bonheur, qui s’avèrent être un régulateur naturel du stress. Pourquoi, d’après vous, les étudiant(e)s se masturbent beaucoup en période d’examens ? Là, durant la crise actuelle, l’anxiété peut conduire à une envie plus prononcée de sexe. C’est bien, mais il faut éviter de trop mettre la pression sur son partenaire.
Au Luxembourg, on trouve beaucoup d’expatriés et de couples recomposés qui ne vivent pas forcément ensemble. Comment, alors, « érotiser » la distance ?
Il faut savoir que la tête ne fait pas la différence entre la réalité et tout ce qui est fantasmatique. Pour preuve, on peut regarder du porno, et cela va générer la même excitation, voire le même orgasme que si on a un rapport sexuel. Du coup, il suffit d’un ordinateur et d’une connexion internet pour « manipuler » le cerveau, par exemple, avec le sexting (NDLR : acte d’envoyer électroniquement des textes ou des photos sexuellement explicites). Toute cette dimension virtuelle est positive, et fonctionne aussi avec les couples qui vivent ensemble. Mais attention, elle avance de pair avec une sexualité réelle. C’est complémentaire, sinon, ça peut créer une frustration, du genre « j’ai eu l’entrée, maintenant, je veux le plat principal ! » (elle rit). Pour l’instant, le confinement est court, mais sur le long terme, oui, ça peut poser problème.
Que pensez-vous du regain d’intérêt pour les sites pornographiques ?
Je pense que cela concerne plus les célibataires… Il ne faut pas oublier que la masturbation reste l’un des pires tabous dans un couple. Mais soit, je n’y vois aucun inconvénient. Il faut savoir se faire plaisir, mais il y a un bémol : la pornographie n’a rien d’éducatif. Tout y est faux. Elle peut alors faire beaucoup de dommages (rapport aux femmes, complexes…), mais pour l’excitation, ça reste génial !
Finalement, il y a une pratique que le Covid-19 a stoppée : l’adultère…
(Elle réfléchit) Oui, mais les relations extraconjugales ne se limitent pas au corps. Et même s’il n’y a plus de contacts physiques, émotionnellement et mentalement, ça va continuer de manière, au contraire, exponentielle. Rappelons-le : le manque crée le désir.
Mieux réfléchir aujourd’hui à nos rapports vis-à-vis de l’autre, sexuels ou non, est-ce une manière, aussi, de mieux se préparer à l’après-crise ?
Absolument! Comme je l’ai déjà dit, les ressources des couples sont aujourd’hui testées. On ne peut plus mettre la tête dans le sable et se cacher… C’est maintenant qu’il faut repenser notre rapport à l’autre, aux niveaux affectif et sexuel. Certains s’en sortiront plus forts. D’autres, plus fragiles ou plus jeunes, se sépareront et diront : « C’est le coronavirus qui nous a détruits ! ». Non, disons qu’il aura juste accéléré les choses… Pour éviter cela, apprenons à mieux communiquer, à mieux se respecter, à réfléchir à d’autres solutions. C’est le moment !
Pour conclure, peut-on aussi rappeler que toute activité sexuelle crée de meilleures défenses immunitaires ?
(Elle rit) Au niveau physiologique, l’orgasme produit un cocktail d’hormones, excellentes pour la forme musculaire, le bien-être… Parallèlement, le stress et l’anxiété ne sont pas bons pour le système immunitaire. Tant qu’à faire, autant prendre du plaisir !
Entretien avec Gréogry Cimatti