Les clowns de l’association L’île aux clowns apportent joie et bonne humeur aux enfants hospitalisés au CHEM tous les lundis et dans de nombreuses structures à travers le pays.
Pas un bruit, lundi matin, au service pédiatrique du centre hospitalier Émile-Mayrisch. Isaac, 4 ans, est en salle de réveil, la salle d’attente des consultations est encore vide. «C’est une journée qui s’annonce plutôt calme», dit Linda Bertolino, la cheffe de service.
Puis, une voix se fait entendre, et une deuxième. Ketty et Nitouche chantonnent, gaiement. Elles sont les clowns de l’ASBL L’île aux clowns. Chapeau fleuri, nez rouge, maquillage débordant, vêtements colorés : elles ont tout l’attirail pour amuser, et l’attitude aussi. Personne ne leur résiste, ni les petits ni les grands.
C’est «une parenthèse enchantée dans la journée»
Comme tous les lundis matin, elles viennent pour faire le tour des chambres, afin de «donner le sourire aux enfants, à leurs parents, mais aussi à l’équipe médicale». Comme un rayon de soleil par temps de pluie, «une parenthèse enchantée dans la journée», poursuit Linda Bertolino.
La cheffe du service pédiatrie a 20 ans de métier et travaille en collaboration avec cette association depuis onze ans. «Nous souhaiterions que les clowns viennent d’ailleurs plus souvent», dit-elle.
Un passage à l’hôpital pas forcément agréable
Au service pédiatrique du centre hospitalier Émile-Mayrisch, il n’y a pas d’hospitalisations longues. «Les enfants viennent en consultation pour des urgences, des maladies spécifiques de l’enfant, mais aussi pour des opérations en ambulatoire, des interventions programmées en ORL, en dentaire. Il y a aussi beaucoup de fractures, d’appendicites», explique-t-elle.
Mais bien qu’il soit court, le passage à l’hôpital n’est pas plus agréable pour les enfants que pour les adultes. «Nous travaillons donc beaucoup avec le jeu, en essayant d’administrer les soins tout en leur faisant penser à autre chose. Les clowns sont donc d’une grande aide parce qu’ils participent à tout cela. Ils peuvent aussi être présents lors des soins.» Isaac n’en aura pas eu besoin.
De la douceur, du jeu… et des rires
Le petit garçon s’est réveillé «difficilement», explique sa maman, Andrea, après une opération urologique. Kelly et Nitouche frappent à sa porte. Il n’a pas vraiment envie qu’elles entrent.
Alors, les clowns se frayent un chemin jusqu’à lui, en douceur, par le jeu. Elles font mine d’avoir peur de lui, lui posent timidement des questions : «Veux-tu que l’on entre?», «Non!», répond-il! Ni une ni deux, elles se cachent derrière une porte, gesticulent, sautillent avant que la magie opère et qu’Isaac éclate de rire. L’entrée de Ketty et Nitouche devient alors un jeu auquel se prête avec enthousiasme le petit garçon : il sait qu’elles bondissent dès qu’il leur oppose un «non» et n’hésite pas à en jouer. Quelques minutes suffisent à Ketty et Nitouche pour établir un contact avec Isaac et elles repartent de la même manière qu’elles sont entrées.
Pour Andrea, comme pour Luis, le père, cette petite animation «est une très bonne chose, car elle rend l’hospitalisation moins traumatisante».
«Cela rend l’attente un peu moins longue»
Du côté de la salle d’attente pour les consultations, plusieurs parents sont venus accompagner leur enfant malade. Vincent est aux côtés de sa fille Elisa, âgée d’à peine 11 mois. Elisa tousse, elle a de la fièvre et elle est fatiguée, mais cela ne l’empêche pas de rire face aux deux clowns. Elle est particulièrement réactive aux sourires, aux grimaces et à la douceur qui émane d’elles.
«Je ne sais pas si elle se rend compte que c’est irréel, se demande son père, mais en tout cas, elle a l’air d’apprécier leur présence et cela a rendu l’attente un peu moins longue.»
C’est gagné, Guillermo sourit
Un peu plus loin, le timide Guillermo, âgé de 7 ans, a été amené par ses parents, Tais et Gabriel. Il ne se sent pas très bien. «Il a des nausées», dit sa maman. Pour lui parler, Ketty et Nitouche approchent en douceur. «Tu parles français?», demande l’une. Il acquiesce. «Luxembourgeois?», reprend l’autre. Il acquiesce à nouveau. «Tu es timide?», renchérit Nitouche.
Il hoche la tête et sa maman confirme. «Ah! mais tu es de Timidie alors!», en conclut Ketty. «Tu es comme moi! Tu es un Timidois!», s’exclame-t-elle. C’est gagné, Guillermo sourit et ses parents aussi.
Sarah Melis
«Il faut prendre la bonne distance»
Mathilde Guénard et Martine Kohn incarnent Nitouche et Ketty. L’une est clown à temps plein, l’autre travaille encore à temps partiel comme formatrice en communication et actrice. «Nos clowns sont des employés, explique Éric Anselin, le directeur de l’association. Nous prévoyons chaque mois une cinquantaine de sorties dans différentes structures du pays auprès des personnes âgées, de malades d’Alzeimer, de familles de réfugiés, d’enfants atteints de graves maladies ou en soins palliatifs. Il faut qu’il y est une régularité dans nos rendez-vous, c’est la raison pour laquelle les bénévoles ne sont pas clowns», dit-il.
« Le clown, c’est nous en meilleur ou en pire »
C’est donc tout un métier que d’être un clown. Un métier qu’exercent Mathilde Guénard depuis 15 ans et Martine Kohn depuis presque deux ans et pour lequel elles ont été formées. Car n’est pas clown qui veut. «Il faut éprouver de l’empathie pour les autres, mais aussi avoir un côté artistique», explique le directeur.
Et ce rôle de clown n’en est d’ailleurs pas vraiment un. Car le personnage «se nourrit de soi et grandit avec soi», assure Mathilde Guénard. Pas de concurrence entre clowns, car chacun a le sien, avec ses forces, ses faiblesses, son vécu. «Le clown, c’est nous en meilleur ou en pire, c’est un peu notre alter ego», s’accordent-elles à dire.
Être «en paix avec le fait que l’on peut tomber malade et mourir »
Mais que doit véritablement faire un clown? «Établir un contact», faire rire, oui, mais surtout représenter aux yeux des personnes visitées et de leurs familles un entracte dans un moment douloureux. Pendant les soins, après le réveil du bloc opératoire, pour les petites opérations, mais aussi lors de séjours plus importants, auprès d’enfants particulièrement malades ou auprès de personnes âgées confrontées à la solitude. «Il faut pouvoir faire face à cela», dit Mathilde Guénard. Pour cela, il faut être «en paix avec sa finitude, en paix avec le fait que l’on peut tomber malade et mourir. Il faut prendre la bonne distance», poursuivent-elles. «Et si c’est trop difficile, alors le binôme est là. Il doit comprendre, savoir qu’il doit prendre le contrôle.» Car le clown aussi a son parcours de vie. Et quand parfois l’une des personnes visitées n’est plus, l’heure de faire tomber le masque peut arriver. «J’ai déjà pleuré avec des parents qui venaient de perdre leur enfant que je voyais souvent. Les parents m’ont invitée à partager leur peine, j’ai enlevé mon nez», raconte Mathilde Guénard.
S. M.