Face au «silence assourdissant» du gouvernement luxembourgeois sur les événements récents en Russie, le collectif «Russes contre la corruption» a écrit à Xavier Bettel et Jean Asselborn.
Pas un mot : la condamnation de Navalny, les arrestations violentes en Russie, les détentions arbitraires… Le silence du gouvernement luxembourgeois sur la question russe est «assourdissant» pour le collectif «Russes contre la corruption» qui a donc décidé de s’adresser directement au Premier ministre Xavier Bettel ainsi qu’au ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn.
Dans une lettre ouverte datée du 12 février, le collectif, composé de citoyens luxembourgeois, russes et européens ayant de fortes attaches avec le Luxembourg, déjà à l’origine d’une manifestation de soutien à l’opposant russe Alexeï Navalny au Grand-Duché, demande au gouvernement «une réaction forte en conformité avec vos engagements démocratiques et la défense des intérêts fondamentaux de l’Europe et du Luxembourg».
Pour Irina, Svetlana et Alex, tous trois membres de ce collectif, l’Europe en général et le Luxembourg en particulier doivent en effet prendre des mesures strictes à l’encontre du Kremlin en imposant notamment des sanctions ciblées. «Il ne s’agit pas d’arrêter net toutes les relations politiques et économiques entre la Russie et le Luxembourg. Mais celui-ci reste silencieux et c’est inacceptable», ne décolère pas Irina. «La Russie n’est pas Poutine, et Poutine n’est pas la Russie. Il ne faut pas faire l’amalgame. Les sanctions contre un pays dans sa globalité ne produisent pas de résultats, si ce n’est une montée de la colère de la population. Mais des sanctions contre des personnes en particulier peuvent avoir un réel impact», complète Svetlana.
Ce silence cache-t-il une volonté de préserver un lien privilégié ? Le Luxembourg et la Russie sont des partenaires de longue date, aux relations de plus en plus étroites, consacrées en 2019 par la visite officielle au Grand-Duché du Premier ministre russe d’alors, Dmitri Medvedev. Quatrième partenaire du Luxembourg hors UE pour les exportations, la Russie est aussi une terre d’investissements pour le Luxembourg, qui y serait le troisième plus important, et entend développer la coopération spatiale.
Une vision «court-termiste»
«Complicité», «double jeu», «court-termisme»… Les mots pour qualifier l’attitude du gouvernement luxembourgeois ne sont guère positifs dans la bouche de nos trois interlocuteurs. «C’est vrai qu’avec des sanctions, on peut se priver d’un partenaire, d’un marché – dans l’immédiat, reconnaît Alex. Mais si on voit plus loin, après la chute du régime actuel, le pays sera un partenaire commercial et financier bien plus intéressant, ne serait-ce que parce que l’impôt corruptionnaire sera levé. On ne sera plus obligés de verser un pot-de-vin à chaque étape avant la commercialisation d’un produit sur le territoire russe».
D’autant que, estime Alex, «la situation actuelle n’est bénéfique ni pour le Luxembourg – une grande partie de l’argent y transitant n’ayant pas été gagné de façon très légale -, ni pour la Russie, puisque les investissements n’ont pratiquement pas d’effets sur le terrain. Les infrastructures sont quasi inexistantes».«Non seulement c’est l’argent russe qui est réinvesti dans son propre pays après être passé par un certain nombre de comptes, mais en plus les capitaux repartent dans la corruption !», s’insurge-t-il.
La corruption et d’une manière plus générale l’attitude du Kremlin ont en outre selon le collectif des conséquences directes sur la vie quotidienne des citoyens occidentaux, qu’ils invitent de fait à se joindre aux revendications. «De nombreux problèmes trouvent leur origine à Moscou, et cela a par exemple un impact direct sur nos impôts : les problèmes politiques, de corruption, les conflits régionaux prennent énormément de ressources et de temps que l’on pourrait consacrer à autre chose», dénonce Alex.
Pour ce frontalier, le Kremlin a «l’art de créer des problèmes pour détourner l’attention». «Moscou a créé de toutes pièces un conflit dans l’est de l’Ukraine pour pouvoir négocier avec les Occidentaux. Peut-être que la guerre en Syrie n’aurait pas duré aussi longtemps et fait autant de morts si on s’était plus préoccupés par ce qui se passe à Moscou. Ce sont là des exemples parmi tant d’autres.»
Les ministres des Affaires étrangères se réuniront ce lundi en Conseil et devraient aborder la question des relations entre l’UE et la Russie. Un sommet que le collectif attend de pied ferme, espérant une prise de parole de Jean Asselborn, avant de décider des prochaines actions.
Tatiana Salvan
Le cas Navalny
L’arrestation d’Alexeï Navalny, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pour le collectif des «Russes contre la corruption», ce ne sont pas pour ses idées qu’ils prennent position en faveur de Navalny, mais pour dénoncer l’absence de démocratie et de véritable justice. «Navalny est un opposant politique dans un espace dépourvu de politique. C’est le seul qui s’oppose et en cela il reçoit un soutien de la population. Il ne s’agit pas de le promulguer président. Mais lorsque le régime sera déconstruit et le champ politique réapparu, on pourra savoir qui il est vraiment, dans le cadre d’une compétition politique classique», résume Alex, qui s’avoue pessimiste pour la suite des événements. «Pour reprendre des propos du président Obama, les choses vont encore empirer avant de s’améliorer».