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Caissières au Luxembourg : «beaucoup d’entre nous ont peur»


Les deux caissières que nous avons pu interroger, sous couvert d'anonymat, travaillent chez Auchan et chez Cactus, au Grand-Duché (Photo d'illustration : Tania Feller).

Sabrina et Elisabeth témoignent de leur quotidien derrière leur caisse de supermarché au Grand-Duché, depuis le début de la crise du coronavirus.

Sabrina et Elisabeth* sont caissières de supermarché au Grand-Duché. L’une chez Auchan, l’autre chez Cactus. Et depuis deux semaines, leur «quotidien a bien changé», confie Elisabeth (49 ans, dont 20 années à travailler dans un supermarché). «Je n’ai jamais vécu une période pareille, poursuit-elle. Il n’y a pas de mot. C’est parfois affolant.» «Les premiers jours, c’était la panique totale, souligne Sabrina (30 ans, dont 8 ans et demi dans un supermarché). Tous les rayons étaient vidés en moins de deux jours. Encore aujourd’hui, il y a une forte affluence presque tous les jours. Les clients s’engueulent, se ruent sur tout.» Presque tout est dévalisé. Les pâtes, le riz, la farine… le papier toilette. «On n’a toujours pas compris pourquoi le papier toilette, disent Elisabeth et Sabrina. On n’a pas la réponse. Des fois, on en rigole un peu avec les collègues et on se demande : « Mais que font-ils avec tout ce papier toilette? »»

Mais en ce moment, les moments de rires sont très rares chez les caissières de supermarché. En effet, depuis deux semaines et la fermeture des commerces non essentiels, les supermarchés ainsi que les boulangeries, les pharmacies ou encore les opticiens font partie des seuls magasins encore ouverts dans le pays. Résultat, les caissières sont fortement exposées au Covid-19. Certes, des mesures ont été prises par leur direction. Des gants, des masques – pas pour tout le monde car il y a des difficultés d’approvisionnement et le personnel de santé est prioritaire –, du gel hydroalcoolique ont été donnés au personnel des supermarchés, des vitres en plexiglas ont été installées dans certaines enseignes, les caisses sont désinfectées souvent, la température des employés est prise tous les matins… «On a reçu certaines choses au milieu de la première semaine et le gel hydroalcoolique au milieu de la semaine dernière, commente Sabrina. C’est bien, mais un peu tard.»

«Des clients, nous engueulent…»

Dans de nombreuses enseignes, un filtrage des clients à l’entrée et des zones de sécurité à respecter aux caisses ont également été mises en place. «La priorité de la direction est désormais l’humain, avance Elisabeth. Mais les clients ne respectent pas toujours les consignes. Certains prennent encore tout ça à la légère. Ils ne comprennent pas qu’il y a un danger pour eux et pour nous. Je n’hésite pas à faire le gendarme. Certains ne comprennent pas les règles et nous engueulent. Certains n’ont pas conscience de ce qui se passe et prennent tout ça à la légère, on en voit qui viennent au supermarché pour faire une balade. C’est épuisant.» Sabrina complète : «Même s’il y a des clients qui nous remercient, nous offrent des fleurs ou des chocolats, mais il y en a d’autres qui vont même jusqu’à nous insulter quand on leur demande de respecter les mesures de précaution. C’est fatigant moralement. On ressent aussi de l’agressivité, de l’anxiété, de la crispation… L’ambiance est très pesante et tout le monde est à bout de nerfs.» Et Sabrina, qui enchaîne les heures en travaillant six jours par semaine notamment pour pallier les arrêts maladie et les congés pour raisons familiales, n’a «pas beaucoup de temps pour se reposer».

En début de semaine dernière, Auchan et Cactus ont annoncé l’octroi à leurs salariés d’une prime pour cette période de coronavirus (lire encadré). «C’est un premier pas, avance Sabrina. Mais ce n’est pas suffisant par rapport aux risques que nous prenons tous les jours. Il y a d’autres manières de nous remercier que de l’argent.» Elisabeth renchérit : «À ce que je sache, une prime n’a jamais sauvé une vie.»

Sabrina l’avoue : «Il y a des jours plus difficiles que d’autres, mais oui, même si je relativise beaucoup, la peur est là. Et puis, il y aurait des cas déclarés au sein de la grande distribution. Tout ça est vraiment très compliqué à vivre. Mais tant que je tiens, j’irai travailler. Je ferai le maximum sans mettre ma santé en danger.»
De son côté, Elisabeth prend «toutes les précautions possibles» : se laver les mains au gel hydroalcoolique le plus souvent possible, enlever ses gants d’une manière très particulière, ôter ses habits avant de rentrer chez elle… «Nous sommes très exposés, c’est un fait et je n’ai pas envie de ramener ce virus chez moi, dit-elle. Je fais tout ce que je peux pour ne pas l’attraper, mais il n’y a pas de risque 0, notamment pour nous les caissières. Beaucoup d’entre nous ont peur.» Aujourd’hui, Elisabeth estime qu’«une peur de l’autre s’est installée» et demande aux résidents «de rester chez eux et de venir au supermarché pour chercher ce dont ils ont besoin et seulement quand ils en ont besoin. De sortir par nécessité».

Guillaume Chassaing

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.

Syndicats : «la situation est dramatique»

Secrétaire central pour le commerce à l’OGBL, David Angel estime que «les salariés de la grande distribution (NDLR : environ 10 000 salariés dans le pays) font partie de ceux qui sont les plus exposés au Covid-19 comme les soignants, les pharmaciens, les opticiens, etc.».
«Dès le début de la crise et l’annonce de la fermeture des commerces non essentiels, nous avons alerté le gouvernement, les salariés et les directions de la grande distribution et émis des recommandations afin que les mesures de protection soient respectées pour la santé et la sécurité des salariés. Via les réseaux sociaux, nous sensibilisons aussi tous les salariés au coronavirus, poursuit-il. Il a fallu réagir très vite. Tout cela a mis quelques jours pour se mettre en place dans les différentes enseignes, certaines ont été plus rapides que d’autres. Mais globalement une réaction rapide a eu lieu.» La plupart des salariés ont reçu, dans le courant de la semaine dernière et de la précédente, des gants, du gel hydroalcoolique, des vitres en plastique aux caisses, certains des masques mais pas beaucoup en raison des problèmes d’approvisionnement et des besoins prioritaires pour le personnel soignant.

Réduire les horaires d’ouverture ?

Mais plus les jours passent, plus la crise du coronavirus s’installe dans le pays et de plus en plus au sein des supermarchés. «La situation est dramatique et les salariés ne sentent plus en sécurité, avance David Angel. Des gens du secteur sont en panique car les premiers cas d’infection ont été recensés auprès de salariés de la grande distribution. À ce stress de la maladie s’ajoute la charge de travail qui a augmenté pour ceux qui sont là en raison de l’absence des salariés en arrêt maladie ou en congé pour raisons familiales. Ça commence à être très tendu et les jours à venir risquent d’être très compliqués.» Le secrétaire central pour le commerce à l’OGBL lance donc «un appel aux directions pour soulager les salariés : il faut que les patrons réduisent les horaires d’ouverture» et le syndicat «appelle aussi les clients à respecter les mesures édictées afin de ne pas exposer les salariés de la grande distribution qui sont actuellement en première ligne».

Un commentaire

  1. Encore une fois, où sont les masques?
    Ce n’est pas la peine d’avoir une entreprise de fret aérien, Cargolux pour ne pas être fichu de ramener de Chine quelques millions de masques. Les français y sont parvenus. C’est tout dire!