Le café Scarassa, ouvert en 1928 par un immigré venu du Piémont, va devenir un immeuble d’habitation. Il était fermé depuis longtemps. C’est la fin d’un symbole malgré tout.
« Qu’est-ce que vous voulez que je raconte sur le café ? Je suis de la troisième génération, je n’ai rien à vous dire. » Le bar en question, c’est le Scarassa, café jadis mythique des Terres Rouges d’Esch-sur-Alzette. Fermé depuis longtemps, le troquet va être transformé en immeuble d’habitation.
Le bar ouvrier va disparaître et avec lui les histoires de générations de travailleurs. Toutes ces brèves de comptoir qui, mises bout à bout, font la grande histoire. On aurait bien voulu vous en raconter. Mais les derniers descendants de la famille ne sont pas très loquaces sur le sujet. C’est dommage. En même temps, ça illustre bien un problème propre aux anciennes cités industrielles : l’oubli, jusqu’au reniement parfois.
Certes des millions ont été investis pour sauvegarder les hauts-fourneaux de Belval, certes le travail touristique autour de la sidérurgie est bien fait (à la mine Cockerill comme à Belval). Mais quelle considération pour les «détails» qui font l’âme d’Esch-sur-Alzette ? Ils sont souvent balayés. «L’ancienne centrale thermique (NDLR : ruine à la frontière avec Audun-le-Tiche), on ne la regrettera pas», nous lance Guy Van Hulle, un fidèle lecteur, après la parution d’un article sur le démantèlement du site. «La disparition d’un café comme le Scarassa en revanche, ou celle annoncée du pont de fer entre Esch et Schifflange, ce sont des marqueurs qui disparaissent.» La passerelle en fer, vestige de l’ARBED, doit tomber pour Pâques. Un projet de réhabilitation trop coûteux n’a pas permis de la sauver.
Ouvriers et supporters de la Jeunesse
Du café Scarassa, il ne reste plus que les belles lettres vertes : l’intérieur est déjà démoli. Guy Van Hulle se fait passeur de mémoire pour nous. «Le propriétaire fut dès 1928 Antonio Gaudina, originaire du Piémont.» Les ouvriers prononçaient «Scarass’» pour parler du 28, rue Jean-Pierre-Bausch. «Le parquet verni et la patine du comptoir, sans oublier l’impeccable service, conféraient au lieu une noblesse rustique», décrit notre interlocuteur. Le week-end, avec le café attenant Caola (ou «Caurla» selon…), le Scarassa accueillait l’avant-match des supporters de la Jeunesse d’Esch, le fameux club fondé par les immigrés italiens en 1907. Notre Eschois pur jus raconte sa chance d’avoir pu «commander un demi au comptoir du Scarassa d’époque…» Quant au Caola, c’était un café minier «au plafond bas et à l’atmosphère tout aussi chaleureuse», raconte-t-il. On imagine l’ambiance avant les matches ! «On aurait pu sauvegarder ça», déplore Guy Van Hulle, qui avait suggéré de faire du Scarassa un café-musée à la gloire de la Jeunesse. On y aurait servi de la Battin tout en voyageant dans l’épopée des Noir et Blanc.
Pour l’anecdote, un journaliste de L’Équipe est venu à Esch il y a 15 jours, sur les traces du nouveau propriétaire du club de Lille, l’Eschois (du Fola !) Gérard Lopez. Dans l’article, on l’a senti séduit par l’atmosphère «à l’anglaise» du stade de la Jeunesse. Sa visite, comme tant d’autres, aurait été d’autant plus typique avec un Scarassa debout, mémoire du club et du quartier.
Hubert Gamelon