Encore quelques jours pour admirer les œuvres de la biennale De Mains de Maîtres, l’exposition dédiée à l’artisanat et aux savoir-faire d’exception, qui se tient jusqu’à dimanche au 19 Liberté. Portrait de trois exposants installés au Luxembourg.
Marc Hubert, sculpteur et tailleur de pierre
C’est la deuxième fois déjà que Marc Hubert participe à la biennale De Mains de Maîtres. L’expérience s’était en effet révélée tellement positive la première fois que cela lui «a donné l’élan de retenter l’aventure». Ce sculpteur et tailleur de pierre exposera à cette occasion quatre œuvres, dont Tourbillon de vie au musée national d’Histoire naturelle.
La création d’albâtre aurait dû être exposée l’an passé, avant que la manifestation ne soit reportée en raison de la crise sanitaire. «C’est mon fils qui m’a suggéré de faire un tourbillon. C’était alors le début du confinement et on était tous un peu abasourdis par ce qui se passait. Il fallait que j’exprime quelque chose. J’ai donc pris un bloc d’albâtre et choisi de créer ce tourbillon dans très peu de matière, afin de laisser au maximum la matière brute. C’était une expression vitale dans cette expérience anxiogène», explique l’artiste.
Pour ce Français de 47 ans, installé depuis 2016 à Bourglinster, Mains de Maîtres est avant tout une occasion de rencontrer d’autres artisans mais également de laisser sa créativité s’exprimer. «En tant que restaurateur, je suis un copiste, là, je lâche complètement prise. Pour la première expo, j’avais présenté quelque chose de plus démonstratif, qui donnait à voir le tour de main.
Cette fois-ci, c’est plus spontané. Créer ces œuvres pour la biennale me procure beaucoup de plaisir, ça me remplit. C’est une tout autre expérience que mon travail habituel. De plus, en général, j’aime bien avoir du temps devant moi, mais là je viens juste de terminer les autres créations! C’est intéressant de ne pas avoir tant de temps, ça évite de trop réfléchir.»
Cela fait 30 ans que Marc Hubert exerce le métier de sculpteur et tailleur de pierre, un métier qui manque d’ailleurs cruellement de main-d’œuvre aujourd’hui. Son amour pour le travail de cette matière dure et froide est né à l’adolescence, après un stage en sculpture sur bois.
«J’ai beaucoup aimé ce stage. Je me destinais à devenir charpentier ou ébéniste, mais je suis allé voir les Compagnons du devoir au Mans et la fraternité qui y régnait, les outils qu’ils utilisaient m’ont fasciné. Les jeunes qui travaillaient la pierre depuis un ou deux ans seulement étaient déjà transformés par cette expérience. J’avais aussi envie de cela. J’ai donc fait cette formation puis le tour de France.»
Didac Zerrouk, luthier
La musique, Didac Zerrouk l’a dans la peau depuis toujours, bien qu’il ne soit pas issu d’une famille de musiciens. «Mon père se souvient de moi essayant de démonter la chaîne hi-fi quand j’avais 6 ans et d’écouter la musique beaucoup trop fort ! À 14 ans, après avoir longuement bataillé avec mes parents, j’ai enfin pu avoir une guitare.
Malheureusement, au bout de six mois à peine, elle a commencé à tomber en morceaux, parce que c’était une guitare de débutant. J’étais très déçu. Et tous les magasins dans lesquels j’allais n’avaient pas d’autre solution à me proposer que d’en acheter une autre. Mais il y avait toujours les mêmes problèmes. Je me suis renseigné sur internet, et j’ai alors découvert qu’il existait des personnes dont le métier consiste à réparer des guitares, ça m’a tout de suite plu.»
Mais le jeune homme et ses parents décident qu’il suivra plutôt un parcours universitaire classique et il finit par travailler dans l’informatique, ce qui ne l’enchante guère. Le déclic vient de sa rencontre avec son épouse, dont les parents sont artistes verriers au nord du Luxembourg. «J’ai vu que mes beaux-parents vivaient d’art et d’artisanat. Je voulais vraiment faire de la lutherie.»
Didac Zerrouk se lance alors dans une formation en alternance, trois années au cours desquelles il ne compte pas les heures afin de mettre toutes les chances de son côté pour pouvoir vivre de sa passion. Et c’est chose faite : aujourd’hui âgé de 27 ans, il possède son propre magasin à Clervaux, DZ Guitars, spécialisé dans la fabrication et la réparation d’instruments à cordes pincées : guitares, basses, ukulélés…
Il expose d’ailleurs pour sa première participation à De Mains de Maîtres deux ukulélés fabriqués à partir de bois luxembourgeois, essentiellement de Grünewald, ainsi qu’un oud, un luth arabe, «ancêtre de la guitare, dont l’histoire remonte à plus de 3 000 ans». Il lui a fallu 200 heures de travail pour fabriquer cet instrument dont il s’est fait une spécialité aujourd’hui à la suite d’un défi lancé par son père, d’origine algérienne.
Une chose est sûre, Didac Zerrouk ne regrette pas son changement de cap professionnel. «On entretient très peu les guitares, car elles sont vouées à être peu chères, à plaire à un maximum de gens, à suivre des modes. C’est difficile de changer les mentalités et donc la situation est plutôt compliquée dans le domaine de la réparation.
Mais pour ce qui est de l’artisanat d’art, même s’il n’y a pas des débouchés énormes, il y a de la place. Il y a toujours des gens intéressés par les beaux instruments, par des instruments uniques, ergonomiques, adaptés à leur morphologie. J’ai en tout cas de la chance que ça ait fonctionné pour moi et de pouvoir en vivre.»
Alejandra Solar, créatrice de bijoux
La passion d’Alejandra Solar, ce sont la pierre, ou plutôt les pierres, qu’elle se plaît à travailler pour fabriquer des bijoux. Des bijoux résolument contemporains, qui laissent voir des paysages dans leurs inclusions. «Je ne suis pas intéressée par l’utilisation traditionnelle des pierres semi-précieuses et au lieu de travailler avec les méthodes classiques de taille de la pierre, à travers une manière contemporaine de travailler le matériau, je révèle sa structure cristalline, sa transparence et sa couleur.
L’univers intérieur des pierres semi-précieuses m’amène à trouver des inclusions qui forment des paysages et des textures qui soutiennent des images en noir et blanc qui trouvent un nouveau sens lorsqu’elles sont imprimées dans les pierres. Ainsi, à travers l’art de la taille de la pierre, de la photographie et de l’orfèvrerie, les pierres brutes se transforment en objets d’art qui ont la qualité d’être portables», explique la créatrice.
Née en 1975 à Mexico et installée aujourd’hui à Luxembourg, Alejandra Solar a déjà remporté plusieurs prix pour son travail, mais c’est la première fois qu’elle participe à la biennale De Mains de Maîtres, pour laquelle elle présente «Ramas», une série de broches en agate et argent. «L’agate a été teinte en jaune, vert et bleu, puis imprimée avec des images de branches tordues d’un arbre, dénudées de feuilles. Parce que l’agate est une fine tranche translucide et que les images sont imprimées sur les deux faces, les ombres des branches de derrière apparaissent au travers», décrit-elle.
Alejandra Solar a bien sûr déjà utilisé d’autres matériaux. Mais c’est avec le travail de la pierre que «le matériau est devenu un véritable défi». «Au cours de mes études, j’ai eu l’opportunité de m’immerger dans le monde merveilleux de la taille de la pierre et de travailler la matière avec une approche empirique. Le travail de la pierre est devenu une véritable passion.»
Tatiana Salvan
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