Les futurs instituteurs auraient dû être en stage actuellement, mais avec la fermeture des écoles due au Covid-19, l’université a dû trouver une solution de remplacement : les vidéos didactiques.
Depuis une semaine environ, les étudiants de l’université du Luxembourg qui se destinent au métier d’instituteur mettent régulièrement en ligne des capsules vidéos introduisant des notions de mathématiques, de langues ou encore de sciences, destinées aux enfants du fondamental. Une façon pour ces étudiants de poursuivre leur cursus scolaire malgré la crise tout en apportant une aide substantielle aux enseignants du pays, qui peuvent piocher dans cette base de données (disponible sur oer-bsce.uni.lu) pour introduire ou compléter leurs cours.
Si l’idée était dans les bacs depuis une dizaine d’années, la crise du Covid-19 a précipité la mise en place de cet exercice. Les dommages collatéraux de la pandémie sont en effet nombreux, et comme dans beaucoup de secteurs, la faculté des sciences de l’éducation a dû aviser rapidement pour en limiter l’impact négatif.
Quelque 300 étudiants y suivent en effet un bachelor (qui s’étend sur quatre années d’études) dans le but d’enseigner aux enfants de 3 à 12 ans et auraient normalement dû après Pâques effectuer comme à l’accoutumée «leur temps de terrain», c’est-à-dire un stage de 4 à 5 semaines au sein des écoles fondamentales auprès d’élèves à besoins spécifiques ou en lycée modulaire. Mais l’épidémie, avec la fermeture des écoles qui en a découlé, a changé la donne.
Un véritable manque à gagner en termes d’apprentissage de leur métier pour ces étudiants, mais aussi une source d’inquiétude quant au devenir de leur scolarité : en n’effectuant pas ce temps de terrain, ils risquaient de perdre une partie de leurs «crédits» – les ECTS – en gros, des heures qui permettent de valider leur cursus.
Spécifique au Luxembourg
«Le jeudi 12 mars, l’université nous a annoncé que nous allions fermer. Nous avons dès lors organisé des visioconférences et mis nos cours en ligne, ce qui était assez simple, une bonne partie de nos cours se déroulant déjà en « blending learning », ou apprentissage mixte, c’est-à-dire en présentiel et en ligne», explique Gilbert Busana, directeur de programme du bachelor en sciences de l’éducation (BScE) à l’université du Luxembourg.
«Par contre, ils nous a fallu chercher une solution permettant de rester au plus près des objectifs initiaux du temps de terrain. Durant cette période, les étudiants, en duo, produisent en effet des activités pédagogiques qu’ils font faire à des élèves, puis réfléchissent avec leur formateur à la façon de les améliorer. En parallèle, nous voulions aussi nous rendre utiles auprès de la communauté durant cette période compliquée.»
Le ministère de l’Éducation informe alors la faculté que les écoles auraient besoin de vidéos capsules pour introduire de nouvelles thématiques auprès des élèves. Il leur fournit une liste, complétée par certains enseignants, des besoins recherchés.
«Bien sûr,il existe des tutoriels sur internet, comme la Khan Academy par exemple. Mais il fallait proposer quelque chose de plus spécifique au contexte luxembourgeois», souligne Gilbert Busana.
Une aide pour les enseignants
Sitôt dit, (quasiment) sitôt fait ! L’équipe pédagogique travaille d’arrache-pied pour mettre rapidement en place un espace de ressources destiné à aider les étudiants dans la création d’apprentissages didactiques et de vidéos : comment scénariser, comment enregistrer, à quoi faire attention, comment faire pour avoir un bon son, etc.
Les élèves, toujours en duo, piochent dès lors dans la liste des besoins la thématique qu’ils souhaitent traiter, définissent les objectifs d’apprentissage, préparent le contenu didactique et un scénario très structuré qui doit ensuite être validé par leur tuteur et éventuellement, en sus, par un expert dans le domaine choisi. Après quoi, ils peuvent laisser parler leur imagination et leur créativité en vidéo, laquelle peut être complétée par une fiche d’exercices par exemple.
«Il y a des productions excellentes !», se réjouit Gilbert Busana. «Certains étudiants produisent un PowerPoint avec une voix off, d’autres vont jusqu’à créer des montages complexes, comme des stop motions. Les élèves ne sont absolument pas obligés de se montrer – publier une vidéo sur le web est différent de faire cours dans une classe, qui reste un lieu protégé. Et ceux qui ne veulent pas non plus qu’on entende leur voix peuvent en générer une par ordinateur. Mais la vidéo n’est qu’une valeur ajoutée, ce qui compte c’est la didactique.»
Des retours positifs
Les élèves sont invités à produire plus ou moins une vidéo par semaine, et de préférence dans la langue véhiculaire de la matière (le plus souvent l’allemand), si l’étudiant la maîtrise. Certains ont en plus pris le parti de doubler leurs vidéos dans d’autres langues, comme le serbo-croate ou le portugais, un moyen de permettre aux parents issus de l’immigration de pouvoir aider leur enfant.
Aux enseignants ensuite d’utiliser la vidéo la plus adaptée à leurs besoins mais aussi à leurs élèves. «Ce sont eux qui les connaissent.»
Les retours sont pour l’instant très positifs, mais Gilbert Busana attend aussi des critiques constructives pour pouvoir améliorer ce système créé dans l’urgence. «Tout n’est pas parfait, mais je crois que ça tient la route.»
Quant à savoir si l’exercice sera poursuivi tel quel au-delà de la crise, ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour : «Pour l’instant, nous devons trouver une solution pour organiser l’examen d’entrée en juillet pour nos 400 candidats. On fera le point après.»
Tatiana Salvan
«Aucune vidéo ne remplace l’enseignant»
Futur instituteur, Andy Schammo aurait dû être en stage sur le terrain. Il témoigne de cette nouvelle expérience de création de vidéos à contenu didactique.
Comment vivez-vous le fait de ne pas pouvoir effectuer votre temps de terrain ?
Andy Schammo (27 ans, est en 3e année de bachelor en sciences de l’éducation – BScE – à l’Uni) : Comme les autres étudiants, je trouve cela très dommage car enseigner en classe, c’est le métier que nous voulons faire, et le contact avec les élèves est essentiel. C’est aussi une perte du point de vue de notre développement académique et professionnel. Mais il faut être raisonnable ! Nous avons voulu malgré tout faire quelque chose pour aider le terrain.
Que pensez-vous de la solution trouvée par l’université de créer des vidéos didactiques pour remplacer ce temps de terrain ?
Aucune vidéo ne peut remplacer l’enseignant ou l’atmosphère de la classe. Mais cette solution peut néanmoins aider les enseignants et les élèves et nous permettre à nous, étudiants, de nous engager dans un domaine un peu différent, d’apprendre un outil supplémentaire que l’on pourra peut-être mettre en place dans notre pratique même après la crise. Je développe non seulement des compétences techniques, mais j’apprends aussi à expliquer les choses d’une façon complètement différente, puisque contrairement à une salle de classe, nous n’avons ici aucune réaction des élèves. Personnellement, je trouve que c’est une bonne occasion pour apprendre et m’améliorer.
Aviez-vous de l’expérience dans la production de vidéos didactiques ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
J’en avais déjà fait effectivement, mais très différentes de celles-ci, car faire une vidéo explicative diffère énormément selon que l’on connaît ou non les élèves. Mais les difficultés les plus importantes restent globalement d’ordre technique : on ne connaît pas tous les softwares qui existent, certains sont payants – tous les étudiants ne sont donc pas en mesure de les utiliser –, il faut que le format soit compatible avec notre plateforme… Mais si les premières vidéos ont pris du temps, on est déjà plus à l’aise maintenant. On s’améliore au fur et à mesure, tant au niveau du tempo par exemple qu’au niveau du contenu. C’est un apprentissage.
Combien de temps cela vous prend-il ?
Cela dépend du sujet. J’ai déjà fait une vidéo sur le prétérit en allemand pour le cycle 4 et une sur le cube pour le cycle 3. Le temps d’élaborer un scénario, d’avoir le retour des experts, de retravailler éventuellement ce scénario, d’avoir la validation du tuteur et de produire la vidéo ainsi que le document destiné à l’enseignant, il faut compter cinq jours environ.
Recueilli par T. S.