Restaurateurs et cafetiers ont dû fermer leurs portes, hier soir à 23 h, et ce, pour une durée de trois semaines. Compréhensifs ou rancuniers, selon les cas, ils témoignent à cœur ouvert.
Fermeture, réouverture, refermeture… le secteur de l’Horeca ne sait plus à quel saint se vouer. Allumer un cierge en la cathédrale Notre-Dame? Certains y ont pensé, mais la plupart des restaurateurs et cafetiers ont pris la décision de s’en remettre à Xavier Bettel, dans l’espoir de pouvoir effectivement rouvrir leur établissement le 15 décembre.
Au café Interview : «Ce n’est pas cohérent»
Si certains commerçants gardent leur sang-froid, d’autres sont au bout du rouleau, voire proches de la rupture. À l’instar de Ramin Safavi, copropriétaire à Luxembourg du café Interview de la rue Aldringen, avec son associé Ioannis Stefanopoulos : «J’ai l’impression que dès qu’il y a un problème d’ordre sanitaire, nous, le secteur Horeca, sommes pointés du doigt et payons pour les autres. Ce sentiment m’enrage quelque peu, car nous avons toujours respecté l’ensemble des consignes sanitaires. Nous allons essayer la vente à emporter, pour voir si ça fonctionne, mais, de toute façon, nous sommes en situation de perte (financière). Si l’on entreprend cette démarche, c’est pour garder le contact avec nos clients, et non pour faire de quelconques hypothétiques bénéfices financiers. Car les fidèles viennent quand même. J’espère que le gouvernement nous fera survivre, car si la propriétaire n’était pas là, on serait en réelle difficulté. Je pense qu’en tant qu’indépendants, nous sommes mis à l’écart… Je ne comprends pas ces nouvelles mesures, car j’ai deux enfants scolarisés qui mangent à la cantine sans avoir besoin de porter le masque ni de respecter la distanciation. Ce n’est pas cohérent, selon moi», estime le cafetier d’origine iranienne. Avant, pour lui, de délivrer sa solution universelle : «Pour ma part, si j’avais ce pouvoir, j’aurais fermé les frontières il y a trois semaines, lorsque nos amis belges et français sont venus en masse! Bref, j’espère que le 15 décembre sera confirmé en tant que date de réouverture.»
Au café de Paris : «Des traces qui resteront indélébiles»
Du côté de la place d’Armes, Jean-Michel Desnos, gérant et exploitant du Plëss, du bar Le18, du café de Paris et du restaurant La Cristallerie, «a fait le choix de laisser l’hôtel ouvert, tandis que les prestations de restauration resteront uniquement accessibles pour les clients de l’hôtel, en room service». Le patron explique «comprendre les décisions du gouvernement par rapport à la diffusion du virus», avant toutefois de préciser que son «activité est extrêmement pénalisée depuis l’apparition du Covid-19 et il y aura des traces indélébiles chez de nombreux confrères, car on frise l’inacceptabilité…»
Jean-Michel Desnos met en avant de sombres perspectives : «Je crains que nombre de faillites soient actées cet hiver, car il est pratiquement impossible d’exister sans avoir un accord avec son bailleur. On va enregistrer une baisse de 50 % de notre chiffre d’affaires sur l’année 2020 et les aides de l’État ne suffiront pas.» Il estime qu’il faudra «faire preuve d’agilité et de force» et entend rester «optimiste pour l’avenir, car nous allons nous en sortir!».
Son optimisme est aussi nourri par le fait que sa «maison est très résiliente, parce que nous avons moins souffert que d’autres maisons en raison de notre position géographique et notre réputation». Il ajoute : «Nous nous sommes battus pour faire encore mieux connaître notre maison à l’étranger. Certes, nous n’avons plus de clients russes, chinois, américains et britanniques, mais nous avons très bien fonctionné avec les Belges, Français et Allemands ces derniers temps. Quoi qu’il advienne je reste positif et pense que notre maison fera le plein de clients en fin d’année.»
«Déception» chez Kaempff-Kohler
À quelques encablures de là, le président de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg (UCVL), Guill Kaempf, de la Maison Kaempff-Kohler, semble davantage résigné: «Mon état d’esprit actuel n’est pas très positif… Ces nouvelles mesures vont être extrêmement dures pour beaucoup de commerces et restaurants qui font les trois quarts de leur chiffre d’affaires durant les mois de novembre et décembre. Ils sont lourdement impactés et la situation à venir va engendrer un flux beaucoup moins important de clients, qui vont rester à la maison. L’absence de cette ambiance paisible et joyeuse propre aux fêtes de fin d’année pourrait faire beaucoup de dégâts. Plus généralement, je ne peux cacher ma déception, parce que les trois derniers week-ends ont bien fonctionné et que j’ai constaté, sur le terrain, que tout le monde respecte les consignes sanitaires, sauf un petit pourcentage de réfractaires de l’ordre de 5 %»
Le président de l’UCVL indique avoir eu «des échos, mardi, de commerçants stressés en raison des réorganisations et planifications à gérer. C’est catastrophique que ce couperet tombe maintenant… Cela dit, les petits commerçants sont contents de pouvoir rester ouverts, mais ils ont peur que les clients restent à la maison par peur, mais également afin de respecter les mesures sanitaires. Bref, ils sont frappés de manière indirecte. Et cette configuration travaille dans la tête des gens! Nous abordons trois dures semaines, que nous surmonterons certes, car je garde espoir et me montre optimiste quant à une réouverture au 15 décembre. Et puis, s’agissant de mon enseigne, notre boutique attenante restera ouverte, elle.»
Brasserie Guillaume : «On va s’adapter»
Le patron de la Brasserie Guillaume, David Monaco, se montre, pour sa part, plutôt serein, même s’il se dit «un peu déçu de la tournure des événements, car j’ai l’impression que c’est toujours à peu près la même chose et que seuls certains secteurs spécifiques sont touchés, dont celui de la restauration». Quoi qu’il en soit, David Monaco souligne qu’il va s’adapter à la situation : «Nous sommes prêts pour la livraison et pour les plats à emporter. De plus il va falloir rester présents pour informer notre clientèle et pour que notre chef écailler puisse inonder le Luxembourg de fruits de mer, comme il l’a toujours fait à l’occasion des fêtes de fin d’année. En conclusion, il n’y a aucune pointe de rancœur, et on va s’adapter, car nous n’avons pas le choix de toute façon! Bref, nous restons confiants et serons parés en vue d’accueillir notre clientèle pour les fêtes de fin d’année. Je leur dit : à bientôt!»
Claude Damiani