La rue, le froid, le danger abîment. Heureusement pour les sans-abri, les associations comme la Stëmm vun der Strooss n’ont pas cessé de veiller sur eux malgré la pandémie de Covid.
Les jours et les saisons passent et ils sont toujours là, dans la rue. Pendant le confinement, alors que les rues étaient désertes, ils étaient encore là, grappillant quelques pièces aux rares passants, bouquinant sur un banc. Ils font partie du paysage jusqu’à ce qu’ils en disparaissent. La pandémie n’a guère changé le quotidien des personnes sans abri, des précaires, des clochards et autres marginaux, si ce n’est qu’elle les a, comme tout le monde, obligé à porter un masque et à respecter des gestes barrières. Le Covid ne change rien, car ils n’ont rien.
En hiver, leur journée démarre bien souvent à la Wanteraktioun où ils ont passé la nuit au chaud. Le Findel étant isolé, ils se rendent en ville, font la manche et le tour des infrastructures sociales d’accueil comme le café Courage, le Parachute, l’Abrigado, avant d’arriver à la Stëmm vun der Strooss où à différents moments de la journée, ils pourront prendre une douche, trouver des vêtements chauds, déjeuner. Leur itinéraire quotidien est fait de différentes haltes. Leurs journées se ressemblent fortement.
«D’ordinaire, nos bénéficiaires peuvent rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent chez nous pour se reposer, se laver, se réchauffer ou discuter. Avec la pandémie, aucun endroit ne les accueille plus très longtemps», indique Charles Bechet, responsable du centre d’accueil de Hollerich. «Les gens ont 30 minutes pour déjeuner à 15 dans le restaurant. Ils ne peuvent pas rester plus longtemps, sinon on ne peut pas donner à manger à tout le monde.» C’est ça ou risquer la fermeture et ne plus distribuer de repas du tout et isoler encore plus les personnes dans le besoin.
L’aide parfois refusée
Les files d’attente sont parfois longues dans la rue de la Fonderie, malgré les températures glaciales. Une demi-heure et un repas chaud, c’est mieux que rien. Les protocoles liés à la pandémie empêchent l’association de mettre en place des mesures pour protéger ses bénéficiaires du grand froid qui règne actuellement. «Certains restent toute la journée à la Wanteraktioun, raconte Charles Bechet. Notre système ne convient pas à tout le monde. Ils n’ont pas envie de se déplacer juste pour manger et se débrouillent autrement.»
Certaines personnes refusent toute forme d’aide. «Nous accueillons parfois des personnes très très isolées, en dehors de toute relation sociale normale. Leur liberté prime avant tout. Ils ont choisi la rue et refusent de s’intégrer à toute communauté humaine. D’autres sont sans-abri en raison d’addictions et refusent d’intégrer des endroits où ils en seraient privées», explique Charles Bechet. Un repas, un toit pour la nuit, des soins, rien ne peut leur être imposé.
“Le restaurant social devrait être fermé”
La Stëmm vun der Strooss a dû fermer ses locaux au printemps. Si des repas ont été distribués dans la rue, les autres services ont manqué aux bénéficiaires. «Les gens avaient du mal à assurer leurs besoins primaires comme aller aux toilettes ou prendre une douche. Leur quotidien était plus pénible, mais des services comme la Wanteraktioun avaient été prolongés et d’autres fonctionnaient toujours», note le responsable.
Malgré la pandémie, l’association et ses bénéficiaires ont pu compter sur la générosité des Luxembourgeois qui ont continué de faire des dons matériels et financiers. «Quand les restaurants ont fermé, nous avons reçu des quantités astronomiques de nourriture», se souvient Charles Bechet. Nous avons reçu des bouteilles de soda des cinémas à distribuer aux gens. Une énorme solidarité s’est installée.» Qui a permis à l’association de pouvoir poursuivre ses projets et de continuer à apporter de l’aide à ceux qui en ont le plus besoin. Seul l’atelier Schweesdreps qui nettoie les maillots des clubs sportifs, a moins bien fonctionné. «Le restaurant social devrait être normalement fermé, mais que feraient nos bénéficiaires si nous n’étions pas là?», s’interroge le responsable. Cent cinquante personnes seraient désarmées.
En temps normal, 250 repas environ sont servis chaque jour. Charles Bechet explique ainsi la baisse du nombre de fréquentation : «Nous recevons des travailleurs pauvres ou des personnes âgées avec une petite retraite qui avaient pour habitude de venir déjeuner et rencontrer des gens. Le fait de ne plus pouvoir profiter de l’aspect convivial les a éloignés. Une partie des bénéficiaires profitent des repas servis à la Wanteraktioun. D’autres vont à Esch-sur-Alzette où une grande salle paroissiale a été mise à notre disposition.»
Saxophone : une nouvelle offre
Toujours à l’affût des besoins de ses bénéficiaires, l’association s’apprête à lancer «Saxophone», un point à Hollerich qui permettra aux personnes sans abri de se reposer dans la journée. «Certains dorment peu, de peur de se faire voler le peu qu’ils possèdent. Avant la pandémie, on voyait qu’ils avaient besoin de se reposer dans le calme et en toute sécurité», explique Charles Bechet. Il y aura un tout nouveau vestiaire dédié au service où les sans-abri pourront déposer leurs affaires. La salle sera divisée en dortoirs.
Malgré les restrictions, il reste des havres où se ressourcer quelques instants, où puiser du courage quand on débute dans la rue. La pandémie en a fragilisé plus d’un et la rue finit le travail.
Sophie Kieffer
un sans-abri à se faire aider
Les sans-abri peuvent-ils être «obligés» d’accepter de l’aide ?
Non, personne ne peut obliger un sans-abri à se faire aider, même dans les conditions météorologiques actuelles.
Les sans-abri qui ont des animaux sont-ils admis dans des foyers avec leurs animaux ?
Il existe des structures, tout au long de l’année, qui acceptent les chiens et les animaux de compagnie, et d’autres non. L’hiver ne change pas les règles. La Wanteraktioun et les haltes de nuit les acceptent, par exemple.
Les femmes ont-elles confiance et vont-elles en foyer ?
Il y a une tendance à voir de plus en plus de femmes dans les sans-abri, mais si les structures concernées le constatent, elles ne disposent pas de chiffres précis sur ce sujet. Il est donc en l’état difficile de dire s’il y en a encore qui ne viennent pas par peur. Les associations comme la Croix-Rouge, par exemple, essayent de mettre tout en place pour garantir leur sécurité. Par exemple, à la Wanteraktioun, il y des dortoirs et des sanitaires un peu à l’écart, séparés par une porte.
Par grand froid, comme actuellement, y a-t-il des dispositions spéciales ?
Sur le terrain, on accepte le maximum de personnes. On peut à nouveau citer l’exemple de la Wanteraktioun. La règle générale pour y accéder est d’avoir au moins un document avec un nom, mais les personnes qui ne peuvent pas du tout s’identifier sont malgré tout autorisées à rentrer.
S. K.