Au sein de la galerie commerciale d’Auchan Kirchberg et de la Cloche d’or, les commerçants attendent toujours les promesses faites par la société Ceetrus Luxembourg concernant des gratuités sur les loyers et sur des réductions de charges. Presque six mois après le début de la crise sanitaire, les commerçants peinent à se faire entendre et commencent à hausser le ton.
L’incompréhension et l’aberration montent du côté des commerçants de la galerie commerciale d’Auchan Kirchberg et de la Cloche d’or face au flou autour des déclarations et des promesses non tenues par la société Ceetrus Luxembourg, le gestionnaire des deux centres commerciaux. Six mois après le début de la crise sanitaire, les commerçants commencent à perdre patience. Explications.
Dès le début du confinement, une vague de solidarité a déferlé sur le pays en demandant aux bailleurs des fonds de commerce de faire un geste au niveau des loyers et des charges pour aider les commerces à surmonter cette crise inédite. Très vite, une semaine après le début du confinement en mars, les villes de Luxembourg et d’Esch-sur-Alzette ont annoncé renoncer aux loyers des locaux utilisés par le commerce et la restauration. Un geste suivi un peu partout dans le pays, dans la mesure du possible, que le bailleur soit privé ou public.
Dans les centres commerciaux du pays, les annonces du même genre ont eu lieu et les gestionnaires ont très vite annoncé renoncer aux loyers pendant la période de confinement en plus d’une réduction des loyers et des charges sur les mois suivants, notamment au sein de City Concorde et de la Belle Étoile.
Du côté de la Cloche d’or et d’Auchan Kirchberg, la société Ceetrus est «aux abonnés absents» a en croire l’Association des commerçants de la Cloche d’Or, ayant réussi à fédérer 40 commerces sur 130 et qui ambitionne de faire de même avec les commerçants présents au sein de la galerie d’Auchan Kirchberg. «On attend toujours un geste de la part de Ceetrus. Pour le moment, ce qu’ils font, ce n’est pas correct», assure encore l’association. «Il n’y a aucune communication avec Ceetrus. Nos courriels restent sans réponse. Nous ne sommes pas considérés et encore moins aidés, ça fait quand même plusieurs mois que l’on attend», explique une commerçante, qui ne fait pas partie de l’association des commerçants, en activité au Kirchberg depuis de très nombreuses années et qui réfléchit sérieusement à fermer boutique dans les mois à venir.
D’ailleurs, depuis le 11 mai dernier, pas moins de 9 enseignes ont tiré définitivement le rideau à la Cloche d’or et déjà 6 à Auchan Kirchberg.
Pour comprendre la situation, il faut revenir quelques mois en arrière. Dès l’annonce du confinement, le 15 mars dernier, les commerces non essentiels sont obligés de fermer.
Un stratégie contestée
Dans un premier temps, Ceetrus annonce un moratoire – une suspension – des loyers pendant la période du confinement obligatoire. «Nous avons envoyé un courriel à tous les commerçants concernant la suspension des loyers», assurent Matteo Perino, président-directeur général, et Sébastien Mercier, directeur exploitation de Ceetrus Luxembourg. «Une suspension de loyer, cela veut dire que nous devrons payer les loyers des mois de mars et avril un jour. Une suspension n’est pas une gratuité», peste l’association des commerçants alors que dans d’autres centres commerciaux comme la Belle Étoile et City Concorde, les commerçants ont obtenu la gratuité des loyers (jusqu’à deux mois), des réductions de loyer et de charges.
Du côté de Ceetrus, on s’explique. «Notre stratégie n’est pas de faire une mesure générale. Nous sommes en train de faire du « cas par cas ». Le commerce est dans notre ADN est nous voulons aider au mieux nos commerçants qui n’ont pas tous les mêmes besoins. Donc discuter avec eux, au cas par cas, afin de trouver selon les situations la meilleure des solutions est notre objectif. Mais effectivement, cela peut prendre un peu de temps de discuter individuellement avec les 200 commerces», assure Matteo Perino.
Cette stratégie du «cas par cas» est vivement critiquée par les commerçants qui y voit une injustice. Interrogés sur les modalités des aides envers les commerçants, Matteo Perino s’explique : «Aujourd’hui nous avons débloqué, pour aider les commerçants, des aides pour un total de plus de 5 millions d’euros. Cela comprend de la gratuité, des accompagnements, des différés et diverses mesures représentant un investissement très important».
Des propos qui font bondir l’association des commerçants. «De la gratuité ? Je ne sais pas où sont les gratuités. D’ailleurs, ils ne sont pas gênés pour encaisser les mois de mars et d’avril pour ma part», s’emporte une commerçante ayant une enseigne à la Cloche d’or. «Cette enveloppe de 5 millions d’euros, justement, on aimerait savoir où cela va aller, car pour le moment, nous les petits commerçants et mêmes quelques grandes enseignes luxembourgeoises, on attend toujours», souligne un autre commerçant.
«Pourquoi faire du cas par cas ?»
«Nous sommes tous dans la même galerie, nous avons tous le même problème, alors pourquoi faire du cas par cas? Ils ont donc ouvert des négociations au cas par cas en proposant des réductions de loyer de quelques pourcents alors que nous demandions une réduction par rapport au chiffre d’affaires. Par rapport à la période du Covid, donc du confinement, Ceetrus ne nous a pas proposé de gratuité mais seulement un pourcentage allant de 30 à 50 % pour ma part. D’ailleurs, ce sont des chiffres et des propositions complètement différents d’un commerce à l’autre», explique une jeune commerçante de la Cloche d’or. Un flou dans leurs propositions qui n’incite donc pas à la confiance de la part des commerçants qui se sentent trahis par un gestionnaire qui avait promis monts et merveilles dès l’ouverture. «On nous avait promis des choses merveilleuses à l’ouverture de ce centre commercial avec notamment une fréquentation à 11 millions de visiteurs par an et un supermarché Auchan comme locomotive. Mais le nouveau concept du supermarché ne marche pas, les clients n’y adhèrent pas. D’ailleurs, Auchan est en train de faire de la place à Hifi International pour justement tenter de relancer la machine. Le marketing n’est pas bon non plus quand on voit que Ceetrus fait de la publicité à Longwy et pas à Bertrange. Ce que nous voulons, ce sont des clients luxembourgeois», peste encore l’association des commerçants.
Là encore, Ceetrus assure vouloir «se tourner vers la clientèle luxembourgeoise et investir cette année 2,2 millions d’euros en marketing et en publicité». Concernant les chiffres de la fréquentions, Ceetrus assure également être dans les temps avec un peu plus de 5 millions de visiteurs au premier semestre 2020. «Nous contestons ces chiffres. Selon nos estimations, nous sommes davantage sur 3 millions de visiteurs», commentent les commerçants.
Ces derniers veulent pourtant y croire et assurent ne pas être des «va-t-en-guerre. Nous croyons dans le potentiel de le Cloche d’or. Tout ce que l’on demande, c’est d’être écoutés, d’avoir un échange constructif pour travailler ensemble, que l’on écoute nos idées et notre expérience et notre connaissance du pays».
Car, en plus de cette stratégie dite «au cas par cas» pour aider les commerçants, ces derniers se plaignent de la vision trop française de la direction de Ceetrus et du manque de connaissance du client luxembourgeois.
Une situation différente au Kirchberg encore
Au Kirchberg, la situation est encore différente puisque les commerçants souffrent depuis bien avant le Covid-19. La cause? Une rénovation, toujours en cours, de la galerie commerciale. «En décembre et janvier, deux gros mois pour le commerce, nous avons souffert des travaux au sein de la galerie et nous avons perdu 15 à 20 % de la fréquentation. Nous avons joué le jeu et nous avons également, pour suivre le cahier des charges de Ceetrus, remplacé nos enseignes et fait des rénovations dans nos cellules pour un coût de plus de 100 000 euros. Puis la crise du Covid-19 est arrivée, et là, aucunes nouvelles de Ceetrus et pas de réponse à nos questions. Le flou et l’absence de réponse ne rassurent pas en général. Pour les loyers, nous avons envoyé plusieurs recommandés, là aussi sans réponse», explique avec amertume un commerçant qui a mis la clé sous la porte il y a quelques semaines. Le commerçant en question a bien eu un rendez-vous avec la direction de Ceetrus, mais cela n’a débouché sur rien. «La proposition de Ceetrus était accompagnée d’un renouvellement du bail pour une période de neuf ans. Comment dans la situation actuelle, est-il possible d’avoir une prévision sur neuf ans?», interroge le commerçant.
« À City Concorde, cela est allé très vite »
Une autre commerçante, qui possède également des commerces en centre-ville et dans la galerie du City Concorde, a pu constater la différence de considération entre les différents gestionnaires. «Au Kirchberg, nous ne sommes pas considérés. À City Concorde, cela est allé très vite, on est considérés comme une famille, il y a de la communication et on a trouvé une solution. Même en centre-ville, j’ai été mieux considérée. Sur mes deux commerces, seul un propriétaire privé m’a dit qu’il ne pouvait rien faire. Et je le comprends. Si encore Ceetrus était venu pour m’expliquer que la situation est aussi difficile de leur côté, j’aurais pu comprendre. Mais là, pas un mot. Mon rendez-vous individuel, « au cas par cas », je vais l’avoir ce mois-ci, en août. La crise a commencé en mars», peste-t-elle, avant de continuer : «Le seul geste que j’ai eu de la part de Ceetrus ? Un bouquet de fleurs au déconfinement. On se fout quand même royalement de nous.»
Interrogé sur cette relation visiblement conflictuelle, la direction de Ceetrus assure avoir mis en place des actions à destination des commerçants comme un «comité marketing» afin d’écouter leurs idées. «Ils imposent plutôt leurs idées et non l’inverse», assure une commerçante.
Optimiste, le président-directeur général de Ceetrus souligne tout de même « qu’il y a des signes encourageants» quant à une reprise. Mais là encore, les commerçants ne comprennent pas cet optimisme surtout lorsque l’on sait que les bureaux autour des centres commerciaux du Kirchberg et de la Cloche d’or sont en télétravail et que la situation devrait perdurer encore pendant plusieurs mois.
Jeremy Zabatta
Le chiffre : 15
Depuis le 11 mars dernier, 9 enseignes ont quitté la Cloche d’or, à savoir : Manalena, Un jour ailleurs, Notshy, Lego, Main Square, Rawdish, Bouton noir, la parapharmacie et Cyclable. À noter également que depuis l’ouverture du centre commercial en mai de l’année dernière, 6 cellules commerciales sont encore non louées.
Du côté d’Auchan Kirchberg, Jack&Jones, MOA, Njörd, Sales Lentz et Strellson (ancien Hugo Boss) ont déjà quitté les lieux. «Un jour ailleurs» fermera ses portes cette semaine, portant le total à 6 enseignes. Sur les deux centres commerciaux, ce sont donc 15 enseignes qui ont déjà quitté le navire. L’association des commerçants assure avec certitude que si rien n’est fait de la part de Ceetrus, «d’autres vont suivre sous peu».