Dimanche, la maison de ventes Lux-Auction (Stadtbredimus) organisera une vente de vins aux enchères. L’occasion de revenir sur un marché étonnant qui, porté par l’essor du numérique, n’a pas du tout souffert de la crise sanitaire.
La crise, quelle crise? Depuis sa salle de ventes de Stadtbredimus, Adrien Denoyelle et son épouse Charlotte n’ont pas chômé depuis la fin du confinement. «Nous avons organisé sept ventes, sans compter celle qui viendra dimanche (lire ci-dessous), sourit-il. Et en 2020, finalement, nous avons battu tous nos records!»
Le 20 septembre 2020, une toile de Fahr-El Nissa Zeid a été adjugée à 250 000 euros. La cote de l’artiste turque, princesse issue de la famille royale d’Irak, ne cesse de grimper et cela se constate même sur les rives de la Moselle. «C’est un collectionneur suisse qui l’a achetée, il s’est battu sur le net avec un New-Yorkais, un Néerlandais et un Allemand», se souvient le commissaire-priseur.
Le 4 octobre, Lux-Auction organisait sa plus belle vente de vins. «Nous avons vendu plus de 80 % des lots, ce qui est considérable tant le catalogue était épais!», glisse l’expert. Deux caisses de six bouteilles de Mouton Rothschild 2000 ont été vendues à 27 500 euros chacune, tandis qu’une seule bouteille de Romanée Conti 1975 du domaine Leroy a été attribuée à 7 500 euros. «Ce sont des marchands français qui les ont eues, ils connaissaient déjà les clients à qui ils les ont revendus plus cher encore, aux États-Unis et en Chine.»
Le 13 décembre 2020, il organisait sa première vente spécialisée sur les montres de collection et, là encore, il touche le gros lot : une montre Patek Philippe de 1946 part pour 250 000 euros! «Et encore, il s’agit d’un prix d’ami, s’amuse-t-il. Nous savions qu’elle était rare et, depuis, le musée Patek Philippe de Genève a garanti qu’elle n’est sortie qu’à trois exemplaires. Il est même possible que le cadran soit une commande spéciale. Les acheteurs vont la faire expertiser dès que le musée sera rouvert et, si c’est le cas, sa valeur pourrait dépasser le million d’euros!» L’histoire de ce chronographe, qui était resté dans la même famille luxembourgeoise depuis son achat en 1947, illustre la folie qui entoure ce marché. «Aujourd’hui, les montres de collection sont considérées comme des placements financiers, elles ne cessent de prendre de la valeur.»
40 % de hausse sur le web
On le voit, le marché des ventes aux enchères se porte donc très bien même en ces temps difficiles, et cela s’explique assez bien, finalement. «Nous étions déjà prêts à affronter l’essor du numérique, puisque cela fait longtemps que l’on peut participer à nos enchères en direct sur le site de l’Hôtel Drouot (www.drouotonline.com) ou par téléphone en réservant une ligne, avance-t-il. Sans compter que nos catalogues sont disponibles sur de nombreuses plateformes en ligne en Europe (France, Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni…) ou aux États-Unis.» De fait, il a constaté une hausse de plus de 40 % des enchères passées sur le web depuis la sortie du confinement. «C’est beaucoup et cela montre que ce secteur est, aujourd’hui plus que jamais, complètement connecté et mondialisé.»
Pourtant, tout n’est pas dématérialisé pour autant, loin de là. Les ventes sont publiques et les potentiels acheteurs doivent être en mesure de venir voir les objets. Beaucoup de transactions continuent donc à se faire en salle. «Pour la vente de vins du 4 octobre ou celle des montres du 31 décembre, 90 % des lots sont allés à des personnes qui étaient présentes physiquement. Mais ces ventes représentent moins de 90 % du chiffre d’affaires, les lots les plus chers partent souvent sur internet.»
Si la limitation du nombre de places disponibles en salle n’est pas une bonne nouvelle, ce n’est donc pas une catastrophe non plus. Depuis l’an dernier, l’accès est limité à trente personnes (sur réservation), alors qu’auparavant, on pouvait y voir plus d’une centaine. «Nous avons la chance de compter sur un secteur qui a misé depuis longtemps sur internet et c’est une voie que, personnellement, nous avons toujours empruntée, soutient Adrien Denoyelle. Je crois que l’exposition de notre métier a évolué en un an comme en dix et je suis persuadé que l’on ne reviendra pas en arrière : ces habitudes resteront et faire partie du bon wagon est extrêmement important.»
D’ailleurs, il ne manque pas de projets. Il prépare déjà une autre session, orientée beaux-arts, qui proposera une cinquantaine d’objets provenant des ateliers nancéiens Gallé et Daum et beaucoup de porcelaines de la manufacture hongroise Herend. La suivante surfera sur la vague du bicentenaire de la mort de Napoléon en présentant de rares meubles contemporains de l’empereur produits par les plus grands artisans de l’époque. Les enchères n’ont peut-être jamais autant eu la cote!
Erwan Nonet
Au Luxembourg, un marché encore jeune
Adrien Denoyelle est présent au Grand-Duché depuis plus d’une décennie et c’est en 2016 qu’il a créé Lux-Auction. Mais étonnamment, ce marché des enchères est très discret au Luxembourg, puisque le pays ne compte que… deux maisons de ventes, la seconde se trouvant à Howald (Kanerz Art). Pourquoi étonnamment? Parce que les petits trésors ne manquent pas chez les particuliers qui, ici plus qu’ailleurs, ont souvent les moyens de se faire plaisir en se procurant des biens qui, finalement, ne sont pas indispensables. Arts, antiquités, montres, bijoux, vins… Et lorsque l’on souhaite céder ces biens, une salle des ventes est l’endroit tout indiqué.
Le catalogue de la vente qui va avoir lieu dimanche (à partir de 14 h 30) contient uniquement des bouteilles de vin, mais quelles bouteilles! L’inventaire illustre bien les caractéristiques de ce marché luxembourgeois, si atypique. On ne trouve rien de moins que les plus belles cotes du marché, et uniquement des vins français. Tous les flacons sont des grands noms, certains étant pratiquement introuvables. Une large majorité d’entre eux provient d’une seule et même cave, un amateur qui a décidé de faire un peu de place pour ranger les crus de nouveaux horizons.
Le clou de la vente sera cette spectaculaire collection de flacons du Domaine de la Romanée-Conti (Vosne-Romanée, Côte-d’Or, Bourgogne), des bouteilles extrêmement difficiles à se procurer, puisque produites en toutes petites quantités alors que la demande internationale est au plus haut. Richebourg, La Tâche, Grands-Échezeaux, Échezeaux, Romanée-Saint-Vivant… des étiquettes mythiques aux prix forcément solides : les estimations varient entre 1 500 et 2 500 euros la bouteille. Un autre mythe bourguignon sera proposé : une non moins rare bouteille du Clos de Vougeot 2000 du domaine Leroy. Encore plus cher : la bouteille est estimée à une valeur comprise entre 3 500 et 5 000 euros!
Le Bordelais n’est pas en reste avec, là aussi, une succession des plus grands noms : Mouton Rothschild, Lafite Rothschild, Pétrus, Angélus, Pontet-Canet, Palmer, Haut-Brion (propriété de Robert de Luxembourg, le petit-fils de la Grande-Duchesse Charlotte, mère de l’actuel Grand-Duc Henri)… Les prix sont un peu moindres que les bourgognes, mais ces bouteilles partiront toutes pour plusieurs centaines d’euros tout de même…
Lorsqu’il a rencontré la personne qui lui a confié ces petits trésors, Adrien Denoyelle n’en revenait pas. «Cette cave est incroyable, il y a tout ce qui se fait de mieux, sourit-il. Honnêtement, j’étais bouche bée. Toutes les bouteilles qui m’étaient présentées étaient plus prestigieuses les unes que les autres! J’espère avoir la chance d’avoir encore tant de belles étiquettes entre les mains, mais je me dis que c’est peut-être la vente d’une vie…» Il est indispensable de réserver pour voir les lots ou participer à la vente (tél. : 621 777 101; courriel : info@lux-auction.com)