Pas question pour le foyer de nuit Abrisud de fermer ses portes aux sans-abri pendant la crise. Plus que jamais, les plus démunis ont besoin de soutien et d’un endroit où être informés de la situation.
La crise du coronavirus et le confinement auront mis en exergue, si besoin était, de manière criante – et cruelle – les inégalités au sein de la population. Si beaucoup peuvent avoir la chance d’être confinés auprès de leurs proches dans un logement suffisamment spacieux, il en est d’autres pour qui l’injonction de rester chez soi ne fait pas sens : ils n’ont pas de chez eux, et bien souvent, personne sur qui compter à part le personnel associatif ou celui des structures d’accueil.
Afin d’aider les plus démunis à franchir au mieux cette période difficile, le personnel du foyer de nuit Abrisud d’Esch-sur-Alzette, qui héberge près d’une vingtaine de sans-abri, a impérativement tenu à rester présent pour cette population fragile. «Nous avons donc fait le choix de conserver les horaires d’ouverture habituels, de 17 h à 9 h en semaine et de 16 h 15 à 10 h le week-end», souligne d’emblée Mandy Ragni, échevine de la ville d’Esch-sur-Alzette en charge des structures d’accueil.
Un point de repère alors que beaucoup de structures ont dû fermer ou modifier leur accès, et surtout, un lieu d’information, véritable nerf de la guerre dans toute crise et l’une des clés indéniables en matière de prévention face à la maladie.
La police a multiplié les contrôles
«Au début, ces personnes avaient un peu peur : elles ne savaient pas où aller, beaucoup de structures ayant fermé leurs portes les après-midis. D’autres, qui travaillent ou font des stages, étaient inquiets car ils ne pouvaient plus s’y rendre. Il s’agissait de les rassurer. Mais surtout, il est essentiel de leur fournir des informations concernant la maladie, les gestes barrières à adopter, notamment la distanciation sociale, et les décisions du gouvernement.»
Si dans l’ensemble les mesures sont bien comprises et acceptées, la distanciation sociale, notamment dans la rue, est plus dure à faire respecter, reconnaît l’échevine. «Déjà, il y a parmi cette population des personnes qui consomment de l’alcool ou des drogues. Sous l’emprise de ces substances, la distanciation sociale est complètement oubliée. Et puis, à Esch, parmi les personnes démunies qui se retrouvent sur la place de la commune, il y a aussi des gens qui ont un toit mais qui ne veulent pas se retrouver seuls et veulent voir leurs amis. Ils n’ont pas le soutien d’une famille.»
Des regroupements qui peuvent susciter la suspicion, de la police notamment, qui a multiplié les contrôles. Le foyer Abrisud a donc décidé de fournir une attestation à ceux qu’il héberge. Un papier permettant de prouver qu’ils n’ont d’autre choix que de se retrouver dans la rue. Comment rester confiné chez soi quand on n’a pas de chez soi? «Nous travaillons en étroite collaboration avec la police, et nous n’avons pas eu de réclamation concernant des difficultés particulières», tient à souligner Mandy Ragni.
Port du masque obligatoire
Au sein de l’établissement, quelques aménagements ont bien sûr dû être mis en place et des gestes barrières ont aussi été adoptés, afin de prévenir tout risque de contamination : prise de température à l’entrée, suivie du lavage des mains et de l’application d’un produit désinfectant, sans oublier le port du masque, obligatoire à l’intérieur du foyer. L’Abrisud a d’ailleurs reçu il y a une semaine 250 masques cousus par des bénévoles de la Fédération nationale des éclaireurs et éclaireuses du Luxembourg (FNEL) et des Lëtzebuerger Guiden a Scouten (LGS). «Chaque habitant d’Abrisud possède donc ses masques qui sont lavés tous les jours», se réjouit Mandy Ragni.
Les draps sont changés quotidiennement, comme à l’accoutumée. Mais une deuxième femme de ménage de la commune a été réquisitionnée afin d’être en mesure de désinfecter les locaux plusieurs fois par jour, notamment les douches, et ce, après chaque passage. Ces dernières sont en effet désormais accessibles tous les matins de 10 h à 12 h à tous les sans-abri, pas seulement à ceux inscrits à l’Abrisud, depuis que la Stëmm vun der Strooss a été contrainte de réduire ses activités du fait de la crise du Covid-19, dont celles des douches gratuites. En outre, tous les sans-abri peuvent se rendre au CIGL pour laver leur linge.
L’organisation des repas a elle aussi dû être revue. Pour le déjeuner, les sans-abri peuvent récupérer un panier-repas à la Stëmm, et le soir, les résidents du foyer reçoivent un snack. Par contre, finie la préparation des repas tous ensemble le week-end, où chacun pouvait aller et venir dans la cuisine à son gré et regarder ce qui s’y mijotait. «Les repas sont désormais livrés par le service « Repas sur roues » de Servior, pour éviter une catastrophe dans l’Abrisud.»
Les suivis extérieurs reprennent petit à petit
Car c’est là la hantise du personnel et de Mandy Ragni : une contamination qui obligerait la structure à fermer ses portes et à mettre toute l’équipe en quarantaine. «Le client pourrait être relogé, mais c’est tout de même une grande responsabilité qui pèse sur nos épaules.»
À ce jour, Mandy Ragni «touche du bois», une seule personne a eu de la fièvre, qui a immédiatement été prise en charge par le Centre hospitalier Émile-Mayrisch (CHEM). Mais les tests au Covid-19 se sont révélés négatifs. «J’ai eu des contacts étroits avec la ministre de la Famille, Corinne Cahen, qui m’a guidée pour savoir quoi faire et vers quelle structure orienter une personne contaminée. Mais on espère continuer comme ça et arriver à la fin de la crise sans aucune infection!»
Avec l’amorce du déconfinement, petit à petit, les suivis extérieurs commencent à reprendre. Les anciens résidents du foyer, qui ont pu retrouver un logement, sont à nouveaux suivis de visu, et non plus seulement par téléphone, par l’équipe pédagogique composée d’une dizaine d’éducateurs. Un contact essentiel, étant donné la (longue) durée de cette période si particulière. «Les gens s’impatientent, ils ne vont pas très bien», note Mandy Ragni, il est donc important de veiller à ce que les efforts jusque-là fournis ne soient pas réduits à néant. Quant aux deux travailleurs du Street Work, le service lancé par la commune il y a un an pour aller à la rencontre des sans-abri sur le terrain et veiller aux besoins des personnes en situation de détresse en leur proposant nourriture, sac de couchage, etc., ils quadrillent à nouveau l’ensemble du territoire d’Esch, et non plus seulement les places stratégiques où se regroupent habituellement les plus démunis.
«Toutes les mesures de prévention resteront en place jusqu’au feu vert du gouvernement pour un déconfinement total», prévient toutefois Mandy Ragni.
Tatiana Salvan
Le foyer de nuit Abrisud, situé rue de la Fontaine à Esch-sur-Alzette, peut abriter jusqu’à 18 personnes, hommes ou femmes. Il est actuellement complet.
Il compte en plus trois lits d’urgence un pour femme et deux pour homme, destinés aux personnes recueillies dans la rue par la police.
«Les personnes hébergées à l’Abrisud ont un projet de vie», indique Mandy Ragni. C’est en effet la condition sine qua non pour y être accepté, et pouvoir ainsi bénéficier du suivi de l’équipe pédagogique, laquelle va aider ces personnes à remettre leur vie sur des rails, en trouvant un travail et un logement.