Le pays a célébré dimanche la journée de Commémoration nationale destinée à se souvenir des souffrances du peuple luxembourgeois lors de la Seconde Guerre mondiale. Un devoir de mémoire toujours d’actualité.
Recueillement, solennité, gravité. La journée de Commémoration nationale a été célébrée dimanche. Cette manifestation est consacrée au souvenir de la lutte menée par le peuple luxembourgeois durant l’Occupation de 1940 et 1945. Avant la grande cérémonie organisée au Trifolion dimanche soir, la capitale a accueilli dans la matinée différents instants dédiés au souvenir des victimes de la Seconde Guerre et de tous ceux qui ont souffert durant cette terrible épreuve. Dimanche matin, le Grand-Duc Henri a déposé une gerbe de fleurs devant le Monument national de la solidarité luxembourgeoise au Kanounenhiwwel et a ravivé la flamme du souvenir. Une cérémonie s’est ensuite déroulée devant le monument à la mémoire des victimes de la Shoah en présence du Premier ministre. Le cortège s’est ensuite incliné au pied de la Gëlle Fra avant de se rendre devant la croix de Hinzert, le monument national de la Résistance et de la Déportation au cimetière Notre-Dame.
Devant le monument à la mémoire des victimes de la Shoah, l’instant était particulier puisque ce dernier a été inauguré l’année dernière et que le cortège s’y est arrêté, dimanche, pour la deuxième fois dans le cadre de la manifestation nationale. Le Premier ministre, Xavier Bettel, a estimé qu’il était important que le monument soit «définitivement inclus dans le parcours mémoriel qui nous mène du Monument de la solidarité luxembourgeoise, au Kanounenhiwwel, au monument de la Gëlle Fra». Et d’ajouter d’un ton grave : «Cependant, il ne faut jamais oublier qu’il y a deux ans ce n’était pas le cas, il y a trois ans ce n’était pas le cas, il y a quatre ans ce n’était pas le cas… depuis 1945, ce n’était pas le cas».
Les victimes de la Shoah
Pour le Premier ministre, les affres de la Seconde Guerre mondiale sont pour de nombreux Luxembourgeois bien plus «qu’un simple chapitre dans un livre d’histoire». Devant le monument de la Shoah, il a rappelé que 2 600 déportés survécurent et retrouvèrent leur maison aliénée et dévastée, leurs «biens spoliés».
Xavier Bettel a souligné qu’il n’était pas simple d’évoquer un génocide en parole. «Puisse que la difficulté de trouver des mots justes pèse tellement, un devoir de mémoire nous incombe à tous envers toutes les victimes de toute l’Europe et aujourd’hui, en particulier, celles de notre pays, a-t-il estimé. Notre devoir citoyen et de creuser notre histoire qu’elle nous plaise ou qu’elle ne nous plaise pas.» Des recherches historiques indispensables pour que les futures générations n’oublient jamais.
En reprenant le symbolisme de la sculpture de Shelomo Selinger et en résonance à l’actualité, le Premier ministre a souligné que «les gens, hier comme aujourd’hui, ne fuient jamais de leur gré. Ils fuient la guerre, la persécution, la violence, l’oppression des libertés tout en gardant un espoir d’un avenir meilleur (…) Les extrémistes et les populistes proposent toujours les fausses solutions, c’est amplement démontré par l’Histoire, a estimé Xavier Bettel. Et aujourd’hui encore en Europe, il nous faut combattre plus que jamais les moindres manifestations d’exclusion, d’antisémitisme, de haine de l’autre où qu’elles se montrent que ce soit dans un lieu public ou privé. Accepter, ne pas réagir, ne pas protester, ne pas se manifester, c’est ne pas comprendre ce qu’il s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale». Et, de fait, accepter que l’Histoire se répète.
«Nous devons agir ensemble»
Avant Xavier Bettel, le président du Consistoire israélite, Albert Aflalo, avait rappelé que des 677 déportés directement du Luxembourg vers les ghettos et les camps, seuls 53 survivront «marqués à jamais par l’horreur et par la souffrance». En prenant en compte les déportés ayant transité via Drancy ou le camp de rassemblement de Malines, plus de 1 200 personnes de confession juive ayant vécu au Grand-Duché en 1940 moururent en déportation. Le sort de 912 personnes reste à ce jour inconnu, a précisé le président du Consistoire israélite.
La haine antisémite n’a pas été éradiquée et reste tapis dans l’ombre en Europe. Albert Aflalo a lui aussi évoqué une tragique actualité : «Après 75 ans, après la Shoah, l’antisémitisme est plus que jamais présent et il se manifeste par la diffusion de thèses négationnistes et des discours de haine envers les juifs en toute impunité sur internet et les réseaux sociaux. Ils conduisent des personnes à commettre des actes antisémites irréfléchis comme celui, il y a quelques jours, à Halle où une personne a attaqué la synagogue alors que les fidèles étaient en train de prier le jour de Kippour.» Mercredi dernier, deux personnes ont été tuées par un jeune néonazi dans cet attentat dans l’est de l’Allemagne. «Le temps des discours n’est plus de mise, nous devons agir ensemble pour favoriser l’enseignement et la transmission de nos valeurs aux générations futures, a martelé le président du Consistoire israélite. S’attaquer à l’antisémitisme, c’est défendre la dignité et l’égalité de tous les êtres humains. Nous devons condamner et réprimer avec force tout acte antisémite, raciste ou homophobe.» Le combat n’est pas terminé, même 75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Laurent Duraisin
Un passé à regarder en face
Le travail de mémoire sur la Seconde Guerre mondiale se poursuit 75 ans après la fin du conflit. Le Premier ministre, Xavier Bettel, a rappelé dimanche la création par le gouvernement du Comité pour la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en 2016 et la création de la Fondation luxembourgeoise pour la mémoire de la Shoah constituée le 13 juin 2018, dont le siège se trouve à la Villa Pauly, là même où s’était établie la Gestapo pendant l’occupation nazie. Le président du Consistoire israélite, Albert Aflalo, a aussi salué dimanche la mise en place d’un groupe de travail qui permettra de régler le problème de la spoliation des biens juifs au Grand-Duché.
Où sont les jeunes ?
Les jeunes Luxembourgeois étaient représentés dimanche soir au Trifolion pour cette journée de Commémoration nationale : des élèves du lycée classique d’Echternach ont lu le poème Stolpersteine, le texte De Lëtzebuerger Zaldot. Dans la foule dimanche matin à Luxembourg, par contre, très peu d’adolescents, très peu de jeunes adultes dans le cortège. Une situation qui attriste Antoine Karpen, de l’Association des anciens combattants et des soldats de la paix et des forces des Nations unies.
Pas des invités « classiques »
Pour lui, ce type d’évènement devrait inclure plus fortement les jeunes générations. «Mais il ne faut pas inviter les jeunes comme des invités « classiques »», estimait-il dimanche après l’émouvante cérémonie devant la croix de Hinzert au cimetière Notre-Dame. L’ambassadeur français fait ça tous les ans de très bonne manière pour le 11-Novembre : les classes sont invitées à participer activement et à faire l’encadrement de cette journée. Cela permet de se préparer pour la cérémonie, de regarder l’histoire, de se mettre « dans » l’histoire, de découvrir ce qui s’est passé vraiment, pourquoi on organise ce type de cérémonies.» Et cet effort pédagogique paye, selon Antoine Karpen : «Nous avons parlé l’année dernière avec beaucoup de jeunes qui avaient assisté à ce rendez-vous. Ils étaient fiers d’avoir pu participer et en même temps beaucoup de parents sont venus les voir. Qu’il n’y ait pas de jeunes ce matin, cela m’attriste.» Le camarade d’Antoine Karpen, Thierry Kintziger, coiffé du béret bleu des Nations unies, confirme : «Les jeunes, c’est en quelque sorte les prochains « vieux ». Il faut leur transmettre cette tradition, sinon cela va se perdre au fil du temps.» Et avec tous les dangers que cela comporte.
Je voudrais que nous ayons une pensée pour tous ces hommes et ces femmes d’exception, ces combattants guizzardiens, courageux et incroyablement déterminés, qui ont donné leur vie pour que nous-mêmes puissions vivre libres.