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Vosges : la transhumance toujours en marche


Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis fin 2023, la transhumance dans le massif vosgien est perpétuée d’année en année. Une «pratique ancestrale» respectueuse des bêtes comme de l’environnement.

En ce lundi de mai ensoleillé sur le versant alsacien du massif des Vosges, plusieurs dizaines de vaches au pelage marron pour la plupart grimpent à travers la forêt, en n’oubliant pas de s’échapper quelques instants pour aller boire dans un ruisseau en contrebas. Ce déplacement des bêtes vers les alpages, à proximité des fermes-auberges des Vosges, au mois de mai, avant la désalpe (le retour des troupeaux) en novembre, est souvent festif. Amis, familles, locaux et même curieux venus de loin font d’ailleurs le déplacement pour découvrir cette tradition, où les bergers sont coiffés d’un bonnet de laine noir à pompon et d’une chemise blanche, comme les marcaires de l’époque (soit des fermiers, bergers ou ouvreurs agricoles chargés des vaches, des étables et des fromages).

D’autres ressortent parfois les habits d’antan, pour le plaisir des curieux venus redécouvrir cette expérience unique, désormais inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Stéphane Luttringer, dont la famille est propriétaire de la ferme-auberge du Freundstein sur les hauteurs de Willer-sur-Thur (Haut-Rhin), depuis les années 1950, pratiquait, depuis 2011, la transhumance en grands groupes, avec quelque «200 à 300 personnes». «C’est de l’émotion, tous ces gens qui nous suivent. Certains venaient parfois de très loin, changeaient de région pour venir.» Il a choisi cette année de la vivre dans l’intimité, avec une quarantaine de personnes. «Moins de stress» pour servir le repas le soir à plusieurs tablées, «plus de plaisir» pour l’éleveur.

Jamais je n’aurais monté mes vaches avec une bétaillère

Avec une conviction qui persiste : «Jamais je n’aurais monté mes vaches avec une bétaillère.» Quelques curieux sont venus voir les laitières faire une pause dans une ferme-auberge à mi-parcours, tout en redécouvrant des photos d’une édition qui a marqué les esprits de tous, quand en 2019, le déplacement du troupeau avait débuté par un peu de pluie pour finir sous la neige. Une autre année, la vingtaine de vaches avait décidé de rentrer une semaine avant la date prévue de désalpe, en raison de conditions météorologiques compliquées et du froid  : elles ont donc trouvé le chemin seules vers la ferme familiale. «C’était compliqué, car après la transhumance, on doit vite les traire, et là on n’avait pas encore redescendu tout le matériel», se souvient Stéphane Luttringer.

La transhumance a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en décembre, dans le cadre d’une candidature portée par la France et neuf autres pays européens comme l’Autriche, l’Italie, ou encore la Grèce et la Roumanie. «Pratique ancestrale, la transhumance découle d’une connaissance approfondie de l’environnement et implique des pratiques sociales et des rituels relatifs aux soins, à l’élevage et au dressage des animaux ainsi qu’à la gestion des ressources naturelles», rappelle l’Unesco sur son site internet. Elle avait disparu au XIXe siècle dans les Vosges, où les agriculteurs mettaient en pension leur troupeau chez des marcaires durant l’été pour fabriquer le munster.

C’est ce qu’explique Michel Meyer, un retraité présenté comme «mémoire vivante» de Willer-sur-Thur, venu voir la transhumance dans une ferme-auberge à mi-parcours. «Ça fait de l’ambiance depuis une vingtaine d’années» dans la région. Lui-même, à l’époque, emmenait se balader les vaches «de 8 h à 16 h tous les jours», se souvient-il. En 2020, plus d’une cinquantaine d’éleveurs pratiquaient la transhumance dans le massif. Au-delà de conduire le bétail en altitude, toute une préparation est de mise : dès 9 h du matin, Stéphane Luttringer devait faire briller les cloches joliment décorées et posées sur les vaches spécialement pour l’occasion. Elles tintent gaiement tout au long du parcours, d’environ 5 km et 500 m de dénivelé positif.

«Les animaux en profitent également!», souligne encore Stéphane Luttringer. «Ils ont des conditions qui sont meilleures. Et le confort des bêtes, c’est important aussi». En arrivant à 925 mètres d’altitude, les vaches retrouvent toutes leur place dans l’étable, quasiment automatiquement. Seul le taureau, un peu excité de bon matin, a été monté en bétaillère, ainsi que quelques veaux trop jeunes pour faire le déplacement. La production de fromage se fera elle directement à la ferme-auberge, dans son atelier de transformation et d’affinage. Plusieurs associations, comme celle des sonneurs de cloche des hautes-chaumes, ou encore les joueurs de cor des Alpes, sont aussi souvent de la partie.