La Grande Région va vivre un tournant de son histoire avec, le 1er janvier 2016, la fusion en France des régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne (ALCA). Quelles en seront les conséquences ?
En tant qu’administrateur, la future ALCA (Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne) intégrera la Grande Région (en jaune).
La carte des treize nouvelles régions françaises a été définitivement adoptée par le Parlement, mercredi dernier. Malgré des réticences en Alsace, celle-ci fusionnera avec la Champagne-Ardenne et la Lorraine au 1er janvier 2016, donnant naissance à un territoire de 5,5 millions d’habitants sur 57 000 km2 (deux fois la Belgique, deux fois moins d’habitants), avec Strasbourg comme capitale. D’un point de vue purement administratif, c’est donc cette nouvelle entité, en lieu et place de la seule Lorraine aujourd’hui, qui devrait intégrer la Grande Région. D’autant plus que l’échelon départemental français devrait à terme disparaître.
Ainsi, la population de la Grande Région passerait de 11,5 à 14,7 millions d’habitants, et sa superficie de 65 000 à près de 100 000 km2. Mais quelles seraient alors la cohérence et l’efficacité d’une coopération qui irait du Luxembourg jusqu’à Reims, Strasbourg, et même jusqu’à la frontière suisse ? Le sujet interroge aussi bien en Wallonie qu’au Luxembourg, et dans les Länder allemands.
> « Il faut rester sur l’espace actuel »
« Lors du dernier sommet de la Grande Région (le 4 décembre), on a pris acte de ce changement. Notre position est d’attendre de voir ce qui va réellement se passer en France. Laissons faire les choses, nous verrons ensuite quel morceau fera partie de la Grande Région », commente prudemment Corinne Cahen, ministre à la Grande Région pour le Grand-Duché. Selon elle, « la définition de la Grande Région » – comprenez sa réalité et sa raison d’être – ne saurait être remise en cause. Jean-Pierre Masseret, président de la Région Lorraine, se veut rassurant. Il voit la future ALCA comme «une holding» qui développera plusieurs stratégies transfrontalières distinctes, leurs interlocuteurs restant à identifier.
Pas question donc d’étirer les frontières de la Grande Région : « Notre coopération est fondée sur une réalité spatiale qui ne changera pas. Elle ne saurait donc être remise en cause. Cela n’aurait pas de sens de mener des projets entre le Luxembourg et Mulhouse ou Bâle. L’entité juridique de représentation dans la Grande Région sera certainement une émanation de la future région française, mais sur la carte, il faut rester sur l’espace actuel, avec l’espace Lorraine qui continuera d’exister. » Et de faire le parallèle avec la Conférence du Rhin supérieur, dans laquelle coopèrent l’Alsace, des cantons suisses, le Bade-Wurtemberg, mais aussi la Rhénanie-Palatinat (qui fait aussi partie de notre Grande Région).
Éviter la folie des grandeurs pour maintenir un partenariat de proximité, c’est aussi la position de Roger Cayzelle, président du Conseil économique et social de Lorraine : « Dans le discours officiel, on parle d’une super région qui ira de Mons jusqu’au lac de Constance. Mais cela me semble trop compliqué. Faut-il fusionner les dispositifs de la Grande Région et du Rhin supérieur ? Je plaide pour les laisser vivre et ne pas se risquer à la construction d’un monstre, d’une usine à gaz. Il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre. Il faudra voir comment on adapte l’outil Grande Région, mais il ne faut surtout pas le casser. Il est imparfait et manque de visibilité, mais il a le mérite d’exister. »
Patrick Weiten, président du conseil général de Moselle, va plus loin puisqu’il a sollicité du Premier ministre français la possibilité pour la Lorraine d’expérimenter une Grande Région avec des compétences accrues (lire ci-dessous). Il interroge : « Comment organiser une Grande Région d’une telle dimension, beaucoup moins perceptible et trop grande pour mener des politiques de proximité? L’inquiétude, quant à cette dilution, a été partagée par tous au dernier sommet de la Grande Région. Pour la Sarre, travailler avec une région qui va de Reims à Mulhouse, avec des décisions prises à Strasbourg, ça devient incommensurable! Il faudra réinventer quelque chose et expliquer à nos amis de Champagne-Ardenne la nécessité d’une coopération transfrontalière. »
Chacun partage ainsi l’envie de poursuivre l’aventure de la Grande Région dans ses frontières actuelles. Il reste à voir dans quelle mesure ce redécoupage administratif français le permettra.
De notre journaliste Sylvain Amiotte