Le Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère a assisté mercredi matin à l’évacuation du camp de Metz-Blida, où plusieurs centaines de demandeurs d’asile vivaient entassés. Voici son récit, que nous publions en tribune libre.
« Ce matin, mercredi 28 septembre, aux aurores, une centaine de policiers en armes se placent le long de l’avenue Blida. Le bidonville, plus exactement le cloaque dans lequel croupissaient entre 300 et 400 demandeurs d’asiles, est démantelé.
La directrice de la DDCS (Direction départementale de la cohésion sociale) est sur les lieux, avec son adjoint. Elle hurle pour essayer de dominer le bruit. Avec elle, quatre interprètes, exclusivement albanophones. Nous en déduisons que les services de la préfecture ignorent la réalité : il y a aussi des serbophones et des russophones pour qui rien n’est prévu. Ces incompréhensions, ces malentendus amplifient l’angoisse. Les enfants pleurent et leurs parents ne savent quoi leur dire pour les rassurer.
Personne ne s’est donné la peine d’informer les intéressés de l’opération prévue. Des bénévoles sur place, à partir de bruits et rumeurs glanés de ci de là les ont prévenus. Préparez vos bagages tôt ce mercredi matin. Nous vous distribuerons des sacs et valises pour vous éviter ce qui s’est passé lors du démantèlement précédent le 28 juillet. Ce jour-là, les policiers ont jeté les tentes et biens non empaquetés dans les bennes. Donc, prenez grand soin de vos affaires, ne les quittez pas des yeux quoi qu’il arrive.
Les deux fonctionnaires de la DDCS sont envoyés là au charbon sans préparation. La municipalité est absente. Ni maire, ni adjoint, pas même conseiller municipal — on aurait pu imaginer que le délégué à « l’urgence sociale » perçoive l’urgence, bref personne. Pour le maire de Metz, l’affaire est réglée. Les organisations humanitaires brillent également par leur absence. Un vent de révolte souffle, des invectives très dures sont échangées, on est au bord de l’incident. On leur annonce que les services de la préfecture font tout pour qu’ils soient logés, mais qu’aujourd’hui, il n’y a rien. Il n’y a rien dans une ville comportant 7 000 logements vides et dans un pays où existe une loi permettant au préfet de les réquisitionner sur proposition du maire. On fait tout, mais il n’y a rien, tel sera le slogan de la journée.
Comme il n’y a rien, on demande aux gens d’empaqueter leurs maigres biens et de démonter leurs tentes. Ces tentes sont le plus souvent des patchworks rafistolés dont on se demande comment ils ont pu tenir jusqu’ici. À l’intérieur, des palettes de chantiers et des amoncellements de matelas moisis dans lesquels on s’entasse jusqu’à huit personnes dans un espace de 6 m². Il y a là des enfants très jeunes, de vieilles dames sur fauteuil roulant, des femmes enceintes, des malades de tous âges.
Un bus a été affrété, et, annonce-t-on, un camion pour transporter les biens. En réalité, on verra toute la matinée ces pauvres gens transbahuter leurs tentes et paquetages sur des poussettes, des caddies, voire de vieux fauteuils à roulettes. Ils préfèrent s’en charger eux-mêmes, craignant de ne plus rien retrouver dans les bennes. Le spectacle de cette avenue bordée de policiers en armes, avec ces files interminables d’hommes, femmes et enfants, certains en pleurs, est déchirant. Sous le magnifique soleil de septembre, l’image nous renvoie à d’autres époques.
Un garçonnet fond en larmes, pris de malaise. Il a 11 ans, il souffre de cardiopathie et dyspnée d’effort. Dans une ordonnance rendue le 19 septembre, le tribunal administratif ordonnait à l’OFII (Office Français de l’intégration et de l’Immigration) l’hébergement immédiat de la famille à peine de 100 euros d’astreinte par jour de retard. On leur aurait répondu : « Nous, on préfère payer 100 euros par jour que de vous héberger ». Le fait est qu’ils sont toujours dehors. Nous les présentons à la directrice de la DDCS qui a autre chose à faire. Faire tout quand il n’y a rien, ce n’est pas donné à tout le monde.
Déplacés quelques centaines de mètres plus loin
Un père de famille s’inquiète de la scolarisation de ses enfants qui parlent couramment français. La réponse, toujours la même, on fait tout, mais il n’y a, devinez quoi ? rien. Ses enfants attendront. Bref, l’opération se résume au déplacement d’un bidonville qui indisposait le voisinage. Pour aller où ? Quelques centaines de mètres plus loin, face au Centre de Valorisation des Déchets non dangereux, loin des appartements du maire « socialiste », Dominique Gros, qui venait de déclarer dans la presse trois jours auparavant : « Visiter ce camp vous met par terre, vous empêche de dormir. C’est un scandale humain » Désormais, il peut dormir tranquille. (Le Républicain Lorrain, édition du 26/09/2016). Le fait est que les toilettes qu’il venait d’y faire installer, toutes bouchées deux heures à peine après leur installation, avaient de quoi indisposer.
Il n’avait pourtant pas ménagé ses efforts, le maire « socialiste ». Des tonnes de pierre avaient été déversées sur la place en novembre 2015 pour tenter de dissuader les demandeurs d’asile d’y planter leurs tentes. De belles pierres jaunes, ces fameuses pierres de Jaumont qui font la fierté d’une ville qui présente sa candidature au Patrimoine Mondial de « l’humanité ». Voilà à quoi est employé le budget social de la Ville. Faute de place, les tentes se sont montées devant les parkings des bureaux du Conseil Régional et de Pôle Emploi.
Face au Centre de Valorisation des Déchets non dangereux, un nouveau bidonville sur l’ancien parking des TCRM. C’est un énorme espace inoccupé qui avait déjà servi à installer des centaines de demandeurs d’asile en juin 2013, puis en 2014. Mais, curieusement, on a réduit l’espace, on y a dressé une barrière pour que, surtout, il n’y ait pas la place suffisante. Délibérément, tout est fait pour que la misère soit ici concentrée. Ceci n’est pas un camp de concentration, même si ces cordons de policiers encadrant de pauvres gens qui s’entassent sur le bitume pourrait vous induire en erreur. Le mieux, c’est de ne surtout pas aller y voir.
On a eu la bonne idée aussi, de choisir la partie du parking qui jouxte l’aire d’accueil des gens du voyage. Trois ans plus tôt, ce voisinage s’était révélé problématique, et des coups de kalachnikov avaient été échangés. Mais on l’a oublié. Nos élus et hauts fonctionnaires sont atteints d’amnésie.
Pendant que les gens s’installent, des ouvriers terminent les raccordements d’eau et d’électricité, on est dans l’improvisation. On sait que le DPA (dispositif de premier accueil des demandeurs d’asile) de l’avenue Blida va être déplacé, mais nul ne sait où. On est dans l’improvisation générale. À un journaliste qui l’interroge, la directrice de la DDCS répond que ce campement est provisoire.
Tout le monde l’a compris. Ce camp a toutes les allures d’une solution définitive. À moins que nous nous mobilisions pour rappeler les pouvoirs publics à leurs responsabilités. Non, vous ne pouvez pas traiter des êtres humains de la sorte. S’il s’agissait de bétail, vous auriez la SPA sur le dos. Oui, des solutions existent. Des bâtiments publics vides pourraient être aménagés. Des centres d’accueil pourraient être construits, ce ne serait pas du luxe par les temps qui courent. D’ailleurs, où comptez-vous accueillir la centaine de migrants venus de Calais dont vous avez annoncé la venue ?
Le Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère, avec d’autres organisations amies, poursuivra ses actions. Il est indigne d’un pays comme la France et d’une ville comme Metz de maltraiter ainsi une population vulnérable. »
Éric Graff, Fernand Beckrich
Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère