L’Allemagne fête samedi le bicentenaire de la naissance de Karl Marx, mais l’héritage du philosophe demeure controversé près de 30 ans après la chute du Mur de Berlin.
Pas moins de 600 événements — expositions, concerts, pièces de théâtre, conférences — sont prévus à Trèves, si proche du Luxembourg, où Marx a vu le jour le 5 mai 1818.
Clou des célébrations: l’inauguration prévue en fin de matinée d’une statue en bronze du penseur allemand, haute de 5,5 mètres et offerte par la Chine, pays toujours officiellement communiste.
De quoi faire grincer des dents dans une Allemagne où la partition du pays pendant des décennies et la répression en RDA communiste ont laissé des traces. Plusieurs manifestations sont ainsi prévues par des associations ou partis ulcérés par l’hommage rendu à celui qu’ils considèrent comme le père des dictatures communistes.
« Déboulonnons Marx! », dit l’AFD
« Nous voulons protester bruyamment contre l’inauguration de la statue et faire entendre notre voix contre la glorification du marxisme! », tonne Dieter Dombrovski, président de l’Union des groupes de victimes de la tyrannie communiste. Marx, clame-t-il, « a posé les fondations sur lesquelles toutes les dictatures communistes se sont construites jusqu’à aujourd’hui ».
« N’oublions pas les victimes du communisme – Déboulonnons Marx! », a lancé de son côté le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui a en grande partie bâti ses succès aux dernières élections législatives sur ses scores dans l’ex-RDA communiste.
Face à la formation nationaliste qui a appelé à une marche silencieuse samedi dans les rues de Trèves, des contre-manifestants organisent le même jour un rassemblement: contre l’AfD et ses positions anti-migrants, mais aussi contre la statue, cadeau selon eux d’une « dictature autoritaire ».
Le maire de Trèves, le social-démocrate Wolfram Leibe, rejette les critiques qui l’accusent d’avoir accepté la statue pour chercher à charmer touristes et investisseurs chinois: il s’agit d' »un simple geste d’amitié » de Pékin, a-t-il affirmé.
Il sait également que la statue risque fort d’être vandalisée, ce qui ne l’inquiète pas outre mesure: « Dans une grande ville, c’est toujours comme ça. Ca ne va pas m’empêcher de dormir, il faudra nettoyer tout ça », philosophe-t-il.
« Intemporel »
Plus de 130 ans après sa mort à Londres, en 1883, l’auteur du « Capital » et du « Manifeste du Parti communiste » (avec Engels) reste l’un des intellectuels les plus commentés au monde, critique visionnaire et acéré des dangers du capitalisme pour les uns, inspirateur des dictatures soviétiques, chinoise ou cambodgienne pour les autres.
Quelques pays revendiquent toujours le marxisme comme socle idéologique, à l’image de la Chine et du Vietnam. Pékin « continuera à brandir l’étendard du marxisme », a ainsi affirmé vendredi le président chinois, Xi Jinping, tandis que son homologue vietnamien Tran Dai Quang a estimé que « marxisme et léninisme sont la force matérielle et l’héritage spirituel du Vietnam ».
« Marx doit rester controversé »
Discréditée après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement des dictatures soviétiques où elle faisait figure de Bible, son oeuvre forgée au temps de la première révolution industrielle a connu depuis un certain renouveau. Elle est utilisée par les critiques des dérives du système capitaliste suite à la crise financière de 2007-2008 ou à l’accroissement de l’écart entre riches et pauvres.
« Il y a quelque chose d’intemporel avec Marx », et ce bicentenaire va donc permettre d’expliquer l’auteur du célèbre slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » sans le « glorifier ou le vilipender », assure Rainer Auts, directeur de la société chargée de superviser les expositions sur Marx. Marx fut incontestablement un « grand penseur », estime quant à lui le président allemand Frank-Walter Steinmeier. Mais « nous ne devrions pas avoir peur de (lui), pas plus que nous ne devrions lui ériger des statues dorées », a estimé jeudi le social-démocrate. « En un mot: Marx doit rester controversé », a-t-il estimé.
AFP.