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Travailleurs frontaliers : «Michelin Allemagne me réclame 218 000 euros !»


Plusieurs travailleurs frontaliers de Michelin se retrouvent au milieu d’une affaire fiscale franco-allemande. (Photo : philippe riedinger)

Après un redressement de 1,3 million d’euros par l’administration fiscale allemande, la multinationale spécialisée en pneumatiques Michelin poursuit depuis plusieurs années 32 salariés frontaliers. Rencontre avec deux d’entre eux à qui elle réclame d’importantes sommes.

Ce lundi 28 mars 2022, Heinrich* s’imagine revenir chez lui, à Metz, avec femme et nouveau-né. La césarienne décalée de quelques jours, le couple rentre à son domicile, sans bébé dans les bras. Devant leur porte, un huissier lui tend une lettre. Cet ancien salarié de chez Michelin-Reifenwerke découvre que l’entreprise de pneumatiques lui réclame 52 000 euros d’impôts. «Ça a été une journée assez riche en émotions…»

Depuis 2019, et un redressement de 1 298 365 euros par l’administration allemande, Michelin réclame, devant la justice, à 32 salariés des montants allant de 3 000 euros à plus de 200 000 euros. «Selon la convention fiscale franco-allemande, explique Me Marion Descamps, l’avocate de Heinrich, pour bénéficier du statut de travailleur frontalier, il faut rentrer régulièrement chez soi, travailler dans une zone frontalière (NDLR : la distance entre les communes allemandes et la frontière ne doit pas excéder 30 km à vol d’oiseau) et ne pas dépasser les 45 jours travaillés par an hors de cette zone.»

Or les deux dernières conditions constituent le cœur même du litige. Avec six années d’imposition (2011-2016), Klaus*, représenté quant à lui par le cabinet ESL de Strasbourg, se trouve avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. «Michelin me réclame 218 000 euros!», explique ce Français, sexagénaire, résidant dans une petite ville située au nord de Strasbourg.

Éviter des jours «nuisibles»

L’obtention de l’attestation d’exonération de l’impôt allemand passe par le formulaire 5011. «En 2003, pour ma demande de statut frontalier, j’ai rempli et donné ce document à ma direction, assure Klaus, fort de 37 années passées à l’usine de Karlsruhe. Je n’ai jamais eu ni de retour validé, ni le moindre commentaire ou rappel.» En 2004, il affirme avoir interpellé sa direction au sujet de ce quota de 45 jours. «On m’a alors dit qu’il ne s’agissait pas de 45 jours, mais de 45 nuitées. Donc, de 90 jours…»

Or, en cas de dépassement, l’employé doit payer l’intégralité de ses impôts en Allemagne. «Pour Michelin, souligne Me Descamps, à salaire net égal, il était plus intéressant de voir un salarié payer ses impôts en France qu’en Allemagne.» Cette spécialiste dans la défense des travailleurs frontaliers plaide la responsabilité de la société. «Pour une multinationale, ne pas s’être emparé du sujet est impardonnable! Et j’insiste sur un point : il n’y a pas de symétrie possible entre les obligations et les moyens, humains, techniques et financiers de cette société et ceux d’un salarié.»

Michelin, qui va fermer les usines de Karlsruhe, Trèves et en partie celle de Hombourg, était-il conscient de la situation? Klaus en est convaincu. Pour preuve, ce courriel du 7 février 2017, entre deux membres du service «Benefits», en charge des avantages sociaux au sein d’une entreprise : «Michelin est responsable en tant qu’employeur de la déduction correcte de l’impôt sur le salaire du collaborateur, car nous connaissons les postes de travail et les activités de déplacement qui y sont liées. […] Il serait donc vivement recommandé d’informer les collaborateurs concernés et, si possible, d’introduire des consignes de déplacement afin d’éviter des jours « nuisibles ».»

Le 14 janvier, date à laquelle le conseil de prud’hommes de Metz doit rendre son délibéré, Heinrich sera fixé sur son sort. Klaus, lui, devra attendre le 25 février et la décision de son homologue de Haguenau. Heinrich, qui «ne roule plus en Michelin», revient à l’essentiel : «Ma femme et ma fille vont bien…»

* Prénoms modifiés