Une dentiste du pays thionvillois a accepté de témoigner sur ses conditions de travail depuis le début de l’épidémie. Entre manque de matériel, le sentiment d’avoir été mise à l’écart par le ministère de la Santé ou la lourdeur du protocole, la praticienne grince souvent des dents.
À la mi-mars, l’Ordre national des dentistes nous a ordonné de fermer nos cabinets », raconte cette chirurgienne-dentiste du pays thionvillois, qui préfère conserver l’anonymat. « On nous a alors demandé de confier nos kits de protections, gants, masques et surblouses aux personnels soignants qui en avaient cruellement besoin. On a cédé tout ce qu’on pouvait », explique-t-elle, se faisant la porte-parole de ses confrères. « Le 11 mai dernier, on nous a demandé de rouvrir. Mais comment, sans équipements ? Si on n’a pas les moyens de nous protéger et de protéger nos patients ? On se retrouvait sans rien. »
La profession intègre finalement le réseau de distribution des soignants. Vingt-quatre masques FFP2 par semaine lui sont attribués pour elle et son assistante, ainsi que « des sacs-poubelles avec manchons en guise de surblouses. » Une dotation clairement insuffisante selon elle.
« Heureusement, la pharmacie à laquelle je suis rattachée parvient à me fournir en masques, mais tous mes confrères n’ont pas cette chance. » Pour ce qui est des surblouses, en rupture de stock, elle a demandé des couturières de lui en réaliser. « C’est beaucoup de débrouille », consent-elle.
Protocole strict
Au niveau des soins, l’Agence régionale de santé a imposé aux chirurgiens-dentistes la mise en place d’un protocole strict, outre le respect des gestes barrières, la distanciation sociale en salle d’attente ou encore le port du masque une fois franchie la porte du cabinet. « Quand nous effectuons un soin tel que le traitement de caries, cela provoque une aérosolisation au niveau de la turbine ou du contre angle. Soit un spray de fines gouttelettes qui se diffuse dans l’air ambiant. Après un tel acte, il nous est donc demandé d’aérer la salle de soins pendant quinze minutes. Si vous regardez bien, vous constaterez que la majorité des dentistes de Thionville travaillent désormais avec les fenêtres ouvertes… » Pour cette raison, il est également recommandé aux dentistes de ne pas pratiquer de détartrage pour le moment.
Bien évidemment, toutes ces contraintes ont des retombées sur l’organisation du cabinet. « Certains patients ne comprennent pas qu’on ne peut pas toujours leur planifier un rendez-vous avant 15 jours. A fortiori si la douleur est là. On fait pourtant au mieux en fonction de la disponibilité de nos cahiers. »
Des conditions de travail qu’elle juge « lourdes, éreintantes et stressantes. J’ai l’impression de ne plus avoir de relations sociales avec mes patients. On est focalisés sur l’asepsie et l’hygiène. Cela ne nous empêche pas de faire notre travail consciencieusement et avec professionnalisme, mais c’est pesant », avoue la praticienne. Qui dit n’avoir pas compris « pourquoi les chirurgiens-dentistes et leurs assistantes, à l’instar des soignants, n’ont pas fait partie des catégories prioritaires pour faire, par exemple, scolariser leurs enfants… »
Olivier Menu (Le Républicain lorrain)